Mais quand le cinéma français sera-t-il enfin débarrassé de son décorum chromo, de sa nostalgie de pacotille et de ce sentimentalisme dégoulinant où les enfants sont si gentils et les parents compréhensifs ? Nous ne désirons ni cynisme, ni méchanceté, mais juste un peu moins de gros sabots, de psychologie moisie, d’écriture archétypique et de regard si sommaire sur l’humain. Ceux qui apprécient Les choristes, Les Vacances du Petit Nicolas, ou Amélie Poulain, les adeptes du « le monde (et le cinéma), c’était mieux avant », seront sans doute sensibles à En attendant Bojangles, nous, un peu moins. Attention il ne s’agit nullement de mépriser le cinéma populaire qui nous a donné des chefs d’œuvre de fantaisie, de poésie, de lyrisme avec Philippe De Broca et Robert Enrico par exemple, mais de s’interroger sur cette obsession de ressusciter une imagerie révolue qui brosse dans le sens du poil. Romain Duris ne sera clairement jamais un homme de Rio. Régis Roinsard trahit des ses premières séquences son désir d’insuffler un vent de folie dans son film, désir tellement voyant qu’il sonne totalement faux. Il ne suffit pas de faire gesticuler ses acteurs, de jeter des couleurs vives et d’envoyer la musique pour élaborer un univers excentrique. Encore faudrait-il que la mise en scène suive.
En attendant Bojangles exploite pourtant des thématiques passionnantes autour d’une existence menée en dehors des contingences du monde, en en refusant les règles, y compris celles de la « norme » du citoyen. L’histoire reste en effet fascinante : jusqu’où une famille peut elle se soustraire au fonctionnement social, ne pas reconnaître la constitution, créant une forme de mini utopie où l’enfant ne va plus à l’école et l’individu n’ouvre plus son courrier et ne paye pas ses factures ? Où finit le rêve et ou commence la folie ? L’échappée de l’aliénation sociale n’est-elle pas elle-même une douce chimère ?  Mais lorgnant tout autant du côté de la fable du John Irving de Hotel New Hampshire que de l’excentricité teintée de douce folie de Wes Anderson, il n’a ni la profonde subversion de l’un ni la puissance inventive de la mise en scène de l’autre. En matière de rencontre de l’absurde et du romantique, on est plus proche du plus mauvais Gondry, son adaptation de L’Ecume des jours, que de Moonrise Kingdom.

Copyright Roger Arpajou/Curiosa Films

Plongé dans une esthétique colorée de vintage-numérique, En attendant Bojangles courtise en permanence son public au point d’en devenir manipulateur, plongeant allègrement dans un sentimentalisme sucré et violoneux, étouffé par des dialogues insipides à la poésie aussi toc que du Jean-Pierre Jeunet. Un tel sujet, évoquant la folie comme mode de vie, aurait nécessité un traitement déstabilisant qui joue jusqu’au bout la carte du fantasque. Malheureusement, en adaptant le bestseller d’Olivier Bourdeaut, Régis Roinsard cherche tellement à rester gentil qu’il en devient douteux. Pour traiter de la folie comme d’une possibilité d’évasion des codes et du conformisme, il aurait fallu ne jamais la montrer comme telle et persister dans un troublant entre-deux. Or, Régis Roinsard rate notamment le virage du drame y compris dans des saillies d’humour assez embarrassantes.

Copyright Roger Arpajou/Curiosa Films

Qu’une telle esbroufe visuelle et narrative puisse faire illusion chez les plus jeunes (le film a obtenu le Prix des Lycéens au Festival de Royan), nous pouvons le comprendre, mais qu’il ait remporté le Prix de la meilleure mise en scène auprès du jury professionnel nous laisse un peu perplexes. On sauvera néanmoins de cette confiserie indigeste une Virgine Efira toujours parfaite et un Grégory Gadebois formidable.

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