Nous n’attendions pas grand chose de la part de Jean-Paul Salomé (La Daronne, Belphégor, Les Braqueuses) dont la filmographie nous avait laissés, au mieux, pour rester polis, indifférents. Et pourtant, La Syndicaliste est une vraie bonne surprise qui part du film de lutte sociale sociale à la Ken Loach pour bifurquer vers une aventure intime de survie, du combat d’une femme pour faire valoir ses droits dans un monde d’hommes, au milieu d’un tourbillon d’injustice.

Le film s’inspire de la vie de Maureen Kearney, responsable syndicaliste au sein de l’entreprise Areva. Déterminée, dévouée, presque sacrificielle, Maureen, incarnée avec une véracité époustouflante par une Isabelle Huppert au meilleur, se bat pour préserver les emplois, en partie féminins, de l’entreprise, sur fond de manigances politiques et d’enjeux dépassant largement le cadre professionnel. Approchée par un ingénieur électrique qui souhaite faire des révélations, Maureen devient peu à peu un danger pour la sphère nucléaire. La Syndicaliste prend alors un virage de thriller psychologique en faisant monter la tension autour des pressions subies par Maureen, des appels anonymes, des menaces, des intimidations. Un jour, elle est retrouvée chez elle par la femme de ménage, bâillonnée, attachée, violée. Mais le choc ne s’arrête pas là. Au fil d’une enquête désastreuse, Maureen est accusée d’avoir monté la scène de toute pièce, et est mise en examen. Un écho avec Elle de Paul Verhoeven, sorti en 2016 et porté par la même interprète, ne tarde pas à poindre, et l’on peut mesurer – ou pas – si l’on penche du côté pessimiste – l’avancée de l’opinion publique en matière d’agression féminine. Combien de temps encore faudra-t-il se justifier de ne pas s’être débattu ? Vers la fin du film on notera la mention salutaire, par le second avocat engagé par Maureen pour défendre sa cause (car après s’être résignée à être désignée comme coupable celle-ci trouva la force de défendre ses droits en faisant appel) de la notion de « sidération » qui se produit en cas d’agression attentant à la vie de la personne. Un pas important en termes de dramaturgie et d’humanité. Si l’on doutait encore de l’impact de ces évènements sur la vie de Maureen Kearney, il faut rencontrer la véritable Maureen (lire notre entretien), pour être frappé par l’immense force et la dignité de cette femme qui s’est toujours battue pour les autres, a été anéantie, et s’est relevée pour continuer à aider les femmes victimes de violences.

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Copyright 2022 Guy Ferrandis – Le Bureau Films

La syndicaliste est concis et carré, sans éclat formel, mais bien construit, glissant du politique qui ne néglige par l’humain à l’intime, l’introspectif qui ne délaisse pas le combat. Le récit alterne profondeur des ressentis et douleur de l’injustice, personnelle, sociale, politique. Isabelle Huppert est quasiment de toutes les scènes et elle nous happe littéralement dans sa fragilité et sa force, petit bout de femme ayant l’audace de s’attaquer à plus gros qu’elle, David au féminin se dressant contre un Goliath systémique et misogyne, écrasant, injuste mais toujours gagnant.

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Si elle irradie, les seconds rôles sont parfaits, de son ancienne directrice ambiguë campée par Marina Foïs à son mari présent mais impuissant incarné avec toute la délicatesse que l’on attend de Grégory Gadebois, en passant par les personnalités politiques qui égrènent le récit, les policiers chargés de l’enquête (on aimera détester Pierre Deladonchamps) et le pathétique directeur remplaçant sous les traits de Yvan Attal. Éminemment contemporain concernant les corruptions politiques et le patriarcat increvable, La Syndicaliste fait le pont avec les époques, montrant qu’en 20 ans rien n’a bougé, même si les murmures de la rébellion et de la transformation grondent de plus en plus fort.

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Copyright 2022 Guy Ferrandis – Le Bureau Films

En ne visant qu’ efficacité du récit et fidélité au ressenti, La Syndicalisme délaisse l’ambition esthétique en optant une direction photo HD un peu trop anonyme (c’est un peu le tout venant du cinéma réaliste à la française), une mise en scène très classique et c’est parfois dommage. Bref, nous ne côtoierons jamais le Michael Mann de Révélations. Mais peu importe. En colère sans être tonitruant, dénonciateur mais subtil, à la fois haletant et tragique, La Syndicaliste est le film d’un cinéaste qui jusqu’à maintenant ne nous avait  pas habitué à de telles réussites.

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A propos de Audrey JEAMART

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