Révélée par sa danse du ventre dans La Graine et le mulet d’Abdellatif Kechiche, Hafsia Herzi mène une carrière d’actrice à l’internationale et va de co-production en co-production. De la France à la Grande Bretagne en passant par l’Allemagne, l’Algérie, le Maroc ou encore Israël, elle déambule du drame historique au drame intimiste. Parfois, dans ses films, comme celui de ses débuts, ou encore L’Apollonide, de Bertrand Bonello, Sex Doll de Sylvie Verheyde et Mektoub, my love : canto uno, d’Abdellatif Kechiche, la chair se fait le reflet de la société. Tu mérites un amour s’engage dans cette voix d’un cinéma à la fois social et sensuel, où les corps dessinent un portrait d’une jeunesse contemporaine, fortement influencé par l’œuvre d’Abdelatif Kechiche.

Ainsi, après un premier court-métrage en 2010, La Rodba, elle continue de conter avec ce premier long, la quête amoureuse d’une jeune femme. Scénariste et réalisatrice, Hafsia Herzi incarne également le rôle principal, celui de Lila, qui vit mal la rupture d’avec son petit-ami. Malgré ses trahisons et son côté volage, elle va tenter de le reconquérir. Au gré de ses espoirs et déceptions, elle va aller d’aventure en aventure, à la découverte de sa sensualité et de ses envies.

Assistant cadreur sur Mektoub, my love : canto uno, Jérémie Attard dirige la photographie et assure une filiation stylistique entre le film d’Abdellatif Kechiche et celui d’Hafsia Herzi. Pourtant, la caméra à l’épaule, les dialogues insipides et le jeu naturaliste des comédiens qui ouvrent Tu mérites un amour le font ressembler à une œuvre clichée au discours maintes et maintes fois rabâché. Passé ce prologue, au fur et à mesure que le film avance, se dessinent un projet, des intentions, un univers. La jeune femme choisit le cinémascope, une caméra très mobile, des cadres serrés pour mieux capter la fluidité des sentiments entre les personnages et leur état d’esprit. Par cette approche naturaliste, elle évite la facilité du pathos, le sensationnalisme bon marché. Aucune note de musique ne vient surligner les émotions que ressentent les personnages, accentuant l’aspect réaliste de cette quête amoureuse. Même si la mise en scène du film, rythmé par un montage cut, s’avère sèche, le ton général penche vers une certaine douceur. Débarrassé des accents fiévreux d’un Abdellatif Kechiche, traversé d’instants mélancoliques et de moments contemplatifs, le film fait preuve de délicatesse et d’émotion.

L’ascendance avec le cinéma d’Abdellatif Kechiche, cité sans surprise dans les remerciements dans le générique de fin, ne se réduit pas à la seule façon de filmer, Hafsia Herzi s’intéressant elle aussi à une jeunesse non pas insouciante, mais en quête d’amour et de jouissance. Avec le même regard bienveillant, parfois teinté d’humour, sans juger, elle propose une galerie de personnages très différents sur les queutards, les baratineurs, les timides, les maladroits, les soupirants… Surtout, elle capte la sensualité des corps et des ébats avec l’aide d’un minutieux travail sur le son. Alors, ces simples marivaudages, cette tendre poursuite de l’amour absolu se transforment en ode épicurienne à la bonne chair et à la liberté. Dans cette œuvre où le rituel de la cuisine se mêle aux cabrioles les plus intimes dans un érotisme distillé tout en pudeur et ellipses, les conventions ne sont pas admises. La petite bourgeoisie en prend pour son grade, ses manifestations les plus mesquines sont tournées en ridicule. Seulement, la subtilité manque durant ces passages esquissés à gros traits. Quelques maladresses ou clichés peuvent alors apparaître ici et là, comme le personnage stéréotypé du meilleur ami et confident homosexuel.

Il reste ces beaux moments, ces passages en suspens plein de sensualité, un baiser sous la pluie, le personnage incarné par Hafsia Herzi posant, pour une séance-photos, les cheveux dénoués, une scène d’amour au détour d’un couloir… Voilà autant de scènes qui donnent au film tout le piment qui permet de pallier son manque de fond. Avec son scénario un peu décousu et elliptique, qui traduit aussi l’état d’esprit de Lila, avec sa façon de filmer les corps, Tu mérites un amour pourrait rappeler le cinéma de Claire Denis sans pour autant pouvoir rivaliser avec. Pour l’instant, Hafsia Herzi signe cependant un film beau et envoutant, naïf et émouvant qui s’annonce comme la promesse d’une œuvre libertaire.

 

Tu mérites un amour
(France – 2019 – 102min)
Scénario et réalisation : Hafsia Herzi
Direction de la photographie : Jérémie Attard
Montage : Maria Giménez Cavallo et William Wayolle
Interprètes : Hafsia Herzi, Djanis Bouzyani, Jérémie Laheurte, Anthony Bajon, Sylvie Verheyde, Karim Ait M’Hand, Myriam Djeljeli, Sophie Garagnon…
En salles, le 11 septembre 2019.

Photos : © Les Films de La Bonne Mère

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