Une perspective minimaliste voire évidée rencontrant un certain foisonnement du montage et de la plastique. Un désir de brasser les références mais également de les prendre aussi à contre-pied… Dans ces entre-deux, David Lowery peine à faire fructifier les paradoxes et ces Amants du Texas versent finalement dans la platitude.
Quelques révélations sur l’intrigue sont présentes dans cette chronique.
S’il y a bien un cadrage qui est devenu un cliché ces quinze dernières années, c’est sans doute celui qui va capturer son protagoniste au travers d’un véritable « plan nuque » pour le suivre un moment le long de son trajet : peu importe sa source, Dardennes ou ailleurs, c’est progressivement devenu une espèce de gimmick. C’est pourtant ce que propose d’emblée le cinéaste, une image tellement vue et revue dans la signature auteurisante qu’on aurait envie de se braquer immédiatement. Pour le reste si le buccolisme de cette première séquence entre Bob et Ruth, des « Bonnie and Clyde » qui ne le sont que très brièvement, peut rappeler Terrence Malick, immédiatement pourtant le montage se propose plutôt de confronter les situations et dramaturgies ambivalentes que les points de vue.
Projetant dans la foulée par une ellipse son spectateur dans ce qui serait le « climax » tout trouvé d’une autre œuvre, Lowery fait sauter ce qui aurait pu faire l’objet d’un mystère traumatique courant tout le film, une révélation, s’opposant ainsi à la logique du rebondissement. Mais du coup Les amants du Texas a sans doute le tord de faire de l’antidramaturgie un système un peu programmatique… On contemple le travail du monteur, on se laisse facilement envahir par une bande originale envoûtante, tout en ne parvenant pas vraiment à saisir ce que fait le cinéaste de cette injonction en permanence luxueuse à l’écran à ne plus y croire… Souvent David Lowery paraît s’évertuer à aller à rebours du romantisme mais en fin de compte garder de côté un lyrisme éteint et sous-jacent qui referait surface comme par magie (puisqu’il reste un « drame » ici finalement, celui de Ruth et Bob devenus parents et confrontés aux responsabilités qui les sépare en sourdine en dehors de l’épreuve de la prison: le dernier flash-back sera sur Bob face au ventre de Ruth, non une tuerie romanesque…). Mais on ne fabrique pas mécaniquement de tels miracles…
L’envie d’amplifier ce qui est souvent en creux, en explorant ce qui ferait l’objet de scènes intermédiaires dans un récit classique est clairement une intention (louable) forte chez Lowery, mais elle dépasse rarement ce stade, toute habillée d’une certaine afféterie qui rend le procédé assez ronflant inutilement… ajoutez à cela un nouvel ersatz de l’ épuisement du western post-Peckinpah et des revisitations mélancoliques des fifties qui paraissent plus des poses éculées qu’autre chose, et le réalisateur qui se dit inspiré par une histoire d’amour personnelle livre peut-être à son corps défendant un objet filmique de plus en plus conformiste.
Le cinéma indépendant US semble ces deux dernières décennies avoir de plus en plus de mal à se renouveler, en révérant en permanence les mythiques années 70 et quelques grandes références qui restent écrasantes, tout en voulant produire des sensations nouvelles. Il a fallu ainsi du temps à Paul Thomas Anderson pour sortir de l’ombre d’Altman et des poses de sa maestria très fabriquée, espérons qu’il en sera de même un jour pour Lowery, qui a un autre récit de couple prêt à sortir dans ses bagages, l’intriguant Upstream Colour.
Produit au sein de la machine Sundance dés son développement, Les Amants du Texas possède hélas malgré son contexte bien des tics de tous ces « mumblecore » citadins ou ruraux, produits à foison ces dernières années. Notamment ces longs tunnels dialogués et une mise à plat des situations qui nécessitent un talent non prédigéré ou trop calculé pour prendre vie.Kelly Reichardt est l’une des rares actuellement à tracer avec réussite sa voie dans cette production, sans doute car elle traite l’ambivalence idéalisme / pragamatisme en faisant des choix plus clairs, en se référant aussi à Thoreau et Emerson directement plutôt qu’à une cinéphilie assez sclérosée. Ainsi, la plupart des scènes avec Keith Carradine sont très pénibles, symptomatique d’un cinéma indé qui contemple sa contre-histoire tout autant que celle d’Hollywood. Elles prennent une propension envahissante au regard de l’intérêt de son personnage, véritablement surdéveloppé. L’acteur n’a souvent droit qu’à des déblatérations monolithiques et plaquées qui gâchent le plaisir de le retrouver, et rien ne se crée quand à son rapport au couple de protagonistes…
La présence de Casey Affleck renvoie forcément au souvenir d’un autre néo-western, le Jesse James signé Andrew Dominik, film également imposant d’intentions mais plus compact, et qui laisse une trace parmis dans la masse d’influences se bousculant. L’acteur en lui même n’est pas désagréable en soit, mais son jeu habituel semble appuyer un peu tous les problèmes formels du film, avec son éternelle nonchalance un peu posée, mixée à un regard quasi enfantin. Rooney Mara quand à elle persévère après Fincher et Soderbergh dans des rôles teintés d’ambiguïtés, ici celui d’une jeune femme pris dans un énorme dilemme mais qui ne laisse pas forcément cerner facilement son état psychologique.
Quand les personnages d’Affleck et Carradine parlent souvent beaucoup trop, enchaînés dans leurs rêves et des clichés contre lesquels le film aimerait proposer quelque chose de nouveau, elle se dévoile pour sa part assez peu, du moins elle reste dans un registre de simplicité et d’apparent conformisme qui semble contraster avec son passé (idéalisable), sans pour autant être aussi stéréotypé et fonctionnel que le transi Ben Foster à ses côtés. C’est avec elle qu’aurait pu se créer le plus beau trouble en contrase, mais le film le manque totalement… à l’image de cette séquence maladroite où Ruth tire en l’air devant des enfants comme une poupée réanimée l’espace d’un instant, Ain’t Them Bodies Saints ne peut s’empêcher d’être signifiant dans ses procédés, même s’ils fonctionnent à rebours.
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