Carlos Diegues – « O Grande Circo Místico »

Inspiré d’un poème brésilien de Jorge de Lima, O grande cirquo mistico renoue avec un réalisme magique, cher à l’Amérique latine et si (d)étonnant dans nos contrées francophones. Carlos Diegues emmène son spectateur à l’entrée d’un chapiteau de cirque brésilien pour mieux lui lâcher la main et l’inviter à se perdre dans ce monde luxuriant et coloré, riche de mille et un détails. On suivra la vie de ce cirque mystique, des premiers spectacles à la décrépitude mélancolique en passant par les années fastes et glorieuses. Le film, construit comme une fresque baroque brasse un siècle et plusieurs générations d’une famille frappée par la grâce autant que par le malheur. Difficile de ne pas penser à Gabriel Garcia Marquez et son siècle de solitude tant les gestes portent la même douce folie, la même inventivité et la même virtuosité. L’entrée -réservée aux insensés et aux cinéphiles- offre un monde à part. Pousser la toile cirée c’est ouvrir le champ des possibles tant le film suit sa propre logique et sa propre narration : il n’est pas question de voie royale, d’un chemin bien tracé mais bien d’innombrables tours et détours, de ruelles, de bifurcations, d’ impasses qui ont pour but de saisir la poésie. Celle-ci est au rendez-vous et surgit de diverses manières :en musique, en poème déclamés, en dialogues, en danses, en positions sexuelles déjantées. Les chansons, composées pour un ballet en 1980 par Chico Buarque et Edu Lobo sont connues par les habitants du brésil, font partie du patrimoine et participent au côté populaire et rassembleur du film. Elles possèdent un charme malicieux, l’art de dire avec le sourire que la vie est parfois bien cruelle.

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Copyright Bodega Films

Tout cela est filmé par l’œil mutin d’un réalisateur septuagénaire qui retrouve ici-douze ans après son dernier film- le bonheur de faire du cinéma.
Ce plaisir est communicatif et générateur d’émotions, si bien que l’on ferme les yeux sur les incongruités de scénario. Le cinéaste saisit la vie dans toute sa brutalité, c’est parfois confus, souvent bordélique mais c’est dans son exagération, dans ses envolées lyriques que le réalisateur excelle. Les rares scènes de salon sont écrasées car sa mise en scène réclame de l’ampleur, de l’espace, de l’amplitude, qu’il parvient à trouver dans les scènes de cirque.
Le mérite en revient à la photographie de Gustavo Hadba qui ose aller chercher les couleurs et les contrastes pour composer un cadre qui déborde et fourmille d’accessoires, de nuances, chaque plan composant une mosaique de détails, un monde miniature comme un mini-métrage en soi.
En mixant le théâtre, le cirque, la danse, en les disséminant sur plusieurs générations, le film peut déstabiliser, mais Diegues travaille à décloisonner les arts, à ôter les œillères du spectateur pour offrir un film somme, réunissant ses obsessions et ses passions. Le tout ressemble à un grand gâteau, il est parfois un peu trop sucré mais il est toujours appétissant.

O Grande Circo Místico : Photo Bruna Linzmeyer

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Les protagonistes sont éphémères. Ils surgissent le temps d’une poignée de minutes, ils viennent, apportent leur pierre à l’édifice du récit, puis s’en vont aussi vite. Pas de héros particulier mais une pléthore de personnages gravitant autour du chapiteau, véritable épicentre et personnage principal du récit. Quand on sait que le réalisateur a eu énormément de mal à réunir le financement nécessaire au film, on voit le chapiteau s’ériger en métaphore du cinéma. C’est un bastion magique et précieux, qu’il faut entretenir, défendre et garder en vie malgré les intempéries, les coups du sort. Le voir vieillir, tomber en désuétude est aussi émouvant que de voir un cinéma abandonné, une salle déserte et des sièges délabrés. Diegues apparaît peut-être sous les traits de Célavi, le monsieur Loyal qui traverse les époques, éternellement jeune. Fil rouge, il est le point de repère, celui par qui jaillit l’histoire. Il contemple et commente les évènements de l’histoire. Il a l’art de se transformer physiquement (cheveux, expressions, costumes) mais surtout la science de transcender les histoires qu’il raconte pour en faire surgir l’enchantement. De la même façon qu’il métamorphose un âne en zèbre, il combat le réel, s’extirpe du réalisme et lui oppose l’excentricité, la folie lunaire. La réalité semble trop triste ou trop fade pour Diegues qui lui préfère la fantaisie, l’imagination et le cinéma, mais son cinéma déborde de vie.

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Le film se construit comme un spectacle permanent . Les personnages sont soumis aux regards du public et des clowns qui peuplent le film. Bouffons joyeux, pitres tristes, ils errent et regardent la vie défiler sous leurs yeux maquillés. Ici, c’est sous la chaleur des projecteurs que l’on se demande en mariage, que l’on annonce un enfant, que l’on accouche, que l’on meurt. Les femmes règnent en maitresses du monde, elles dominent les hommes soumis à leurs bas instincts. Ils se comportent comme des enfants face à la puissance du prétendu sexe faible.
Elles choisissent de se donner ou au contraire de résister aux hommes et par la même de prolonger l’héritage de la famille ou d’y mettre fin. Elles dansent, chantent,virevoltent, se contorsionnent, elles sont félines, voluptueuses, insaisissables, à l’instar de Béatriz qui trône en contre plongée sur son trapèze. Elle semble tenir le monde dans la paume de sa main, dans le creux de ses cuisses. La lumière qui les habille de volupté est chaude et sensuelle et les érigent en créatures divines. Plus tard, Charlotte, Margaret et d’autres répondront à Béatriz dans un style différent, donnant chacune une image de la féminité. Les générations se succèdent et aboutissent sur Helena et Maria, jumelles sans grand talent qui vendent leurs corps pour subsister. Le cirque est voué à disparaître, mais c’est quand tout semble perdu que le miracle advient : une danse aérienne et angélique d’une grâce absolue. Dans un final aussi kitsch que beau, aussi naif que magique, les jumelles enchantent une dernière fois le chapiteau.

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Le facétieux réalisateur rend possible l’impossible et oppose au scepticisme ses danses innocentes et pures. O grande Cirquo mistico est peut-être son film testament, celui dans lequel il s’apprête à sourire à la mort. Face à la grande faucheuse il ne tremble pas. Bien au contraire, dans un geste généreux et humaniste, il ose les derniers plans narquois et ouvre grand les portes de son chapiteau, de son cinéma, de son coeur.
Célavi le proclame alors, haut et fort : « Aujourd’hui c’est gratuit ! Célavi. C’est la vie. »

 

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A propos de Julien Rombaux

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