Sortie le 9 avril 2014

 

Ne pas se fier à l’affiche et à son visuel inoffensif : "Heli" est le récit d’une famille mexicaine qui est impliquée malgré elle dans un violent trafic de stupéfiant. La singularité et parfois l’étrangeté du film – pour nous spectateurs éloignés de certaines réalités mexicaines – vient du télescopage abrupt entre un quotidien très trivial (les problèmes conjugaux, le travail ouvrier, les flirts adolescents) et l’extrême brutalité qui vient le traverser précipitamment (torture, pendaison). "Heli" n’est donc pas de tout repos. Le film dérange, interroge, mais ce faisant, il rend compte par la fiction, d’un climat de peur et de violence éruptive, qui s’inclut, quasi uniformément, dans le cours de la vie.
 
Heli est le prénom du personnage principal, un jeune père, marié mais encore adolescent, qui partage l’humble maison familiale dans la promiscuité, avec son père et sa sœur de douze ans, Estrela. Heli travaille à la chaîne, comme son père, dans l’usine automobile de General Motors. En l’absence d’autres parents, c’est lui qui assume le rôle du chef de famille, d’autant plus pesant qu’il traverse une crise avec sa femme, consécutive à la naissance de leur nourrisson, et que sa sœur Estrela entre dans la puberté. Son père, visiblement usé, s’en remet à lui. La jeune Estrela flirte quant à elle avec Beto, une recrue de la police militaire. Pour pouvoir s’arracher à sa condition et épouser Estrela, Beto va tremper dans une affaire de drogue qui aura des répercutions dramatiques. Le film enregistre cet évènement traumatique, mais n’en fait qu’un épisode passager.
 
 
Le film a été distingué à Cannes par le Prix de la Mise en Scène en 2013, alors qu’Escalante, qui est trentenaire, n’en est qu’à son troisième long métrage. Le réalisateur bénéficie aussi d’un soutien de taille à la production : celui de Carlos Reygadas, figure importante du cinéma mexicain contemporain, dont il a été l’assistant. Escalante partage avec son mentor la même radicalité, un goût du dépouillement, et une grande rigueur formelle. Pourtant la leçon de mise en scène – forcément attendue par le spectateur – décevra dans un premier temps pour son manque de démonstration. Le réalisateur fait le choix de l’économie : il opte pour un parti de transparence quasi documentaire. Les acteurs sont en majorité des non professionnels ; les scènes sont peu dialoguées, sans exposition ni développement explicatif ; l’objectif de la caméra est proche de la vision humaine ; la lumière naturelle est privilégiée. Mais on verra aussi, ponctuellement, qu’Escalante ne se refuse pas des effets de montage et de composition qui l’éloignent du naturalisme, ou d’une stricte efficacité narrative. Ce faisant, le réalisateur affirme aussi les artifices et la plasticité de sa mise en scène.
 
Le film a donc l’aridité trompeuse d’une chronique, associée à la brutalité cinglante et abrutissante du fait divers. Dans le détail, il s’avère complexe, y compris dans la narration, plus sinueuse et composite qu’elle ne paraît, surtout dans la seconde partie. Une fois le drame advenu – au terme d’un violent pic qui boucle la première partie du récit – le quotidien reprend le dessus. Un nouveau volet du récit s’ouvre, presque détaché de ce qui a précédé, malgré le traumatisme et les efforts de réadaptation. On ne voit donc pas le film attendu, ni celui qui prend pour sujet les cartels de la drogue, ni son pseudo avatar, policier ou psychologique. En faisant de la vie d’Heli le centre du récit, et en ne choisissant pas entre les problèmes qui l’affectent, du plus dramatique au plus trivial, Escalante semble dire que la violence n’est qu’une composante du quotidien. Il faut donc y faire face, par la force des nécessités : la famille, le travail, se nourrir, et la surmonter comme un accident ordinaire. Le parti d’égalité, plutôt pertinent, choque par son traitement et déroute. Il brouille la conduite d’un récit qui devient erratique. Ce geste fait la singularité du film, entre grande construction dramatique et aboutement de séquences plus libres ou disjointes. L’élan fictif du début est neutralisé par le relâchement qui suit. En se fermant sans véritable conclusion, le film ne semble avoir accompli au final qu’une épopée ordinaire.
 
 
"Heli" n’est pas exempt de défauts ou d’invraisemblances de scénario. Il est un peu écrasé par sa violence, et par des scènes de sexe appuyées. Montrer avec autant de frontalité et de banalité, participe du propos, mais cette radicalité est à double tranchant. On peut en questionner la sincérité et y voir une forme de roublardise (en somme, le même type de reproches que ceux adressés à Carlos Reygadas récemment). Mais le film ne se limite pas à éprouver ou à "impacter" le spectateur. Le personnage d’Heli donne consistance à la fiction, et l’interprétation dans son ensemble est très crédible. Il y a enfin la mise en scène, très laconique, avec le rythme singulier des scènes et du montage. "Heli" aurait pu très bien être le drame promis mais Escalante en désamorce tous les éléments : la compassion, la convalescence, l’enquête… Heli n’est, somme toute, qu’un garçon très ordinaire, buté, et presque antipathique. Au final, un sentiment de justesse et de grande tenue se dégage du film, malgré ses déséquilibres et ses excès. On est donc assez curieux de suivre l’évolution d’Amat Escalante.

 

photos  © 2013 Martin Escalante – Mantarraya – Tres Tunas

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A propos de William LURSON

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