Ceux qui connaissent un tant soit peu les films du natif de Missoula, ses déclarations, les exégèses de son travail, savent l’importance qu’a revêtu et que revêt pour lui Le Magicien d’Oz (The Wizard of Oz, 1939). Dès la sortie de Sailor & Lula (Wild At Heart, 1990), il en a été question, d’autant que les références au film de Victor Fleming y sont pléthoriques et très explicites. Mais aussi, pour prendre un autre film en exemple, à l’époque de celle Mullholand Drive, en 2001.
On peut, entre autres, renvoyer aux conversations avec Lynch menées par Chris Rodley pour l’ouvrage paru en 1997, quand les deux interlocuteurs évoquent justement le film réalisé avec Laura Dern et Nicolas Cage (1).

En ce sens, le documentaire-essai qu’Alexandre O. Philippe consacre au sujet peut laisser sceptique ou décevoir. Nous dirons qu’il se laisse voir, pourtant, car il donne la parole et, en quelque sorte l’image, à sept personnes qui connaissent bien le cinéma, qui aiment sincèrement l’auteur de Blue Velvet, et qui offrent un regard personnel, libre.
Il y a la critique de cinéma Amy Nicholson, le documentariste Rodney Ascher – auteur entre autres d’un film consacré à Shining : Room 237 (2012) -, les cinéastes John Waters, Karyn Kusama, Justin Benson, Aaron Moorhead et David Lowery.

Lynch/Oz est divisé en six chapitres à travers lesquels un intervenant relève des aspects constitutifs du film de Fleming qui trouvent des échos, des correspondances dans des films de Lynch, et évoque le lien qu’il entretient avec ceux-ci et avec Le Magicien d’Oz. Mais cite également des œuvres cinématographiques d’autres auteurs. Et ce, notamment à travers l’utilisation du split-screen, du montage parallèle. Le titre de chaque chapitre résume bien sûr ce dont il est question, mais sert parfois simplement de point de départ pour un commentaire digressif – nous pensons à l’intervention d’Amy Nicholson intitulée « Vent » -, ou vient fixer une petite partie du commentaire pouvant très bien se situer en toute fin – nous pensons à l’intervention de Justin Benson et Aaron Moorhead intitulée « Judy », dans laquelle un lien est établi entre la Judy de Twin Peaks et l’actrice à l’existence chaotique Judy Garland.

Image tirée du film : John Waters, la méchante sorcière de l’Ouest, David Lynch

Toutes les parties ne présentent pas le même intérêt. Celle dans laquelle on entend Rodney Ascher tourne un peu à vide ; par exemple quand, pour évoquer un « personnage innocent » qui est embarqué « dans un univers chaotique » avant de finir par rentrer chez lui, il cite visuellement Matinee (Joe Dante, 1993), Babe (Chris Noonan, 1995), The Matrix (Lana et Lilly Wachowski, 1999), Forest Gump (Robert Zemeckis, 1995), The Lord of The Rings : The Fellowship of the Ring (Peter Jackson, 2001)… et beaucoup d’autres ! Ses histoires personnelles de chat carnassier et de père décédé, mises en relation avec des visions de films de Lynch, nous laissent – désolé de le dire – indifférent. Celle confiée à John Waters est, elle, réjouissante. Cela vient bien sûr de la personnalité piquante de l’auteur de Pink Flamingos et de ce qu’il montre de façon vivante son propre attachement au Magicien d’Oz, et un rapport tout à fait proche de celui de Lynch aux années 50 et aux personnages de méchants. Cette partie s’intitule significativement « Parenté ».

Au bout du compte, on a plus que bien compris que le film de Fleming a constitué un moment fondateur dans l’existence, le parcours de Lynch (2), qu’il est pour lui une sorte d’œuvre matricielle, une source d’inspiration à laquelle il s’est abreuvé et continue de le faire de façon quasi obsessionnelle.
On regrettera que n’est pas ne serait-ce qu’effleurée la riche pratique référentielle lynchienne, laquelle dessine un large paysage artistique et mémoriel personnel… N’y a-t-il pas, aux côtés du Magicien d’Oz, comparables en quelque sorte à lui, le Vertigo d’Alfred Hitchcock ? Et qu’en est-il de Sunset Boulevard de Billy Wilder, d’Orphée de Jean Cocteau, de la peinture de Francis Bacon, d’Edward Hopper… ?
Autre regret : la non prise en compte du Magicien d’Oz comme lui même inscrit dans une histoire, un contexte culturels qui l’englobent, comme obéissant à une structure, à des règles narratives et visuelles permettant d’en expliquer la force et l’impact. Et ce, au-delà de son originalité, de ses spécificités bien réelles. Nous sommes étonné que le roman de Lyman Franck Baum dont le film de Fleming est l’adaptation, The Wonderful Wizard of Oz (1900), ne soit pas mentionné, non plus que l’une des sources d’inspiration importantes du romancier : Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll (Alice’s Adventures in Wonderland, 1865).
Justin Benson et Aaron Moorhead ont le mérite d’évoquer une approche conceptuelle applicable au Magicien d’Oz, même si elle est critiquée et critiquable : celle de Joseph Campbell appelée le « monomythe »… Mais quelques allusions, même légères, rapides, aux travaux éclairants de Vladimir Propp – la « morphologie du conte » – ou d’Algirdas Julien Greimas – le « schéma actantiel » – n’auraient pas forcément été inutiles, inintéressantes.

Notes :

1) Lynch On Lynch, edited by Chris Rodley, Faber & Faber, New York, 2005 (première édition : 1997), pp.194 à 196.
2) Il n’est pas le seul. Salman Rushdie a écrit, dans un petit ouvrage consacré au film de Fleming : « La découverte du Magicien d’Oz a fait de moi un écrivain » et : « J’ai écrit ma première histoire à Bombay quand j’avais dix ans ; elle avait pour titre Over the Rainbow (…) ». Cf. Le Magicien d’Oz, Nouveau monde éditions, Paris, 2002 [première édition en anglais : 1992], pp. 24 et 9.


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