© Malavida Films

Rose est à l’origine d’une invention révolutionnaire : un sérum qui permet de transformer les pires cauchemars en doux rêves. Mais la savante n’avait pas prévu un fâcheux effet secondaire : les cauchemars effacés se matérialisent dans la réalité. Par exemple, les taons qui importunaient dans son sommeil la brave vache cobaye de l’expérience envahissent le laboratoire.

Et lorsque le mari de Rose, Henri, cauchemarde à son tour, son épouse en voulant le soulager fait apparaitre les trois personnages de bande dessinée dont il rêvait : la plantureuse Jessie, poursuivie par deux dangereux bonshommes : Superman et un cow-boy.

Réalisé en 1966, Qui veut tuer Jessie ? témoigne de l’insolente vitalité de la Nouvelle Vague du cinéma tchécoslovaque et d’une certaine libéralisation qui aboutira au Printemps de Prague en 1968. Avec ce récit fantaisiste, Vaclav Vorlicek signe une comédie pop pétulante teintée d’onirisme. Il faut voir, dans un premier temps, la substitution du cauchemar de la vache par un rêve où l’animal se repose tranquillement dans un hamac, entouré de musiciens pour réaliser à quel point ce cinéma doit autant à la BD qu’à une forme de surréalisme dont la branche tchécoslovaque fut très active.

Menée tambour battant, l’intrigue se révèle vite délirante. D’un côté, Henri cherche à découvrir le secret des gants antigravitationnels de Jessie, de l’autre, sa femme Rose, jalouse des rêves de son mari, cherche à le faire mettre en prison. Pendant ce temps, Superman et le cow-boy poursuivent également Jessie. Vorlicek arrive à retrouver le rythme de la BD (courses-poursuites, rebondissements incessants) et sa fantaisie : les personnages s’expriment à l’aide de bulles (l’une d’entre elles doit être tournée lors d’un procès pour que le greffier puisse en prendre connaissance), l’héroïne sexy (Olga Schoberova, la « Bardot tchèque ») peut soulever de lourds rochers tandis que Superman échappe sans difficulté à une crémation… On songe aux adaptations cinématographiques des « fumetti » italiens (Kriminal de Lenzi, Danger Diabolik de Bava) mais Qui veut tuer Jessie ? s’avère supérieur, à la fois par l’inventivité de sa mise en scène et par sa dimension satirique sous-jacente.

En effet, l’expérience de Rose sur les rêves s’inscrit dans le cadre d’un vaste programme de rationalisation scientifique. Les savants-flics se disent qu’une telle trouvaille pourrait permettre de contrôler les rêves des citoyens et de supprimer les songes trop anarchiques. On devine ici une jolie critique du régime soviétique tentant d’inculquer par tous les moyens à ses ouailles les bienfaits d’une idéologie « rationnelle ». Ce contrôle des consciences allant jusqu’à la surveillance de l’inconscient (dans C’est Gradiva qui vous appelle, Robbe-Grillet imaginera aussi une « police des rêves » qui interdirait les rêves pédophiles, par exemple) est évidemment une remise en question ironique du totalitarisme communiste et de sa mainmise sur tous les aspects du quotidien. L’ironie est d’autant plus prégnante que c’est la culture américaine, via les personnages de comics, qui provoque la panique générale. Ces BD qu’Henri lit en cachette avant d’en rêver disent quelque chose de ce rapport ambigu à la pop culture : à la fois rejetée comme impérialiste et un tantinet idiote (les deux super-héros s’avèrent totalement crétins et Jessie est une bimbo dont les principaux attraits sont la poitrine et les jambes) mais également désirée comme symbole d’une certaine liberté et pour son insolence.

Face aux flics, aux juges, aux austères scientifiques, l’espiègle Jessie fait souffler un salutaire vent de folie. Et ce n’est sans doute pas un hasard si la rigoureuse Rose, menant à la baguette le couple (la bagatelle, c’est uniquement le jeudi), finira par se laisser envouter par le charme musculeux de Superman.

Totalement farfelu et constamment enlevé, Qui a tué Jessie ? fait partie de ces petites perles de la nouvelle vague tchèque à (re)découvrir toutes affaires cessantes.

© Malavida Films

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Qui veut tuer Jessie ? (1966) de Vaclav Vorlicek avec Olga Schoberova

DVD 9 – 78 minutes – Tchécoslovaquie – 1966 – N&B – VOST et Version Française

Bonus : Dernière interview de Vaclav Vorlicek à la TV Tchèque (2018-VOSTF)

Éditions Malavida Collector

Sortie le 4 Mai 2022

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