Stephen Hopkins – « Blown Away » (1994)

En 1994, trois semaines après Speed et un an avant Die Hard 3 aka Une journée en enfer, Blown Away (« époustouflé, soufflé » si l’on cherche à traduire en français) de Stephen Hopkins débarquait sur les écrans de cinéma. Désaveu critique manifeste, comparaisons défavorables et échec en salles, le film ne pu tenir ses prétentions commerciales (le budget s’élève à 50 millions de dollars) et sa position d’événement annoncé du box-office estival. Près de trente ans plus tard, L’Atelier d’images édite ce divertissement d’action mal-aimé typique des nineties en Blu-Ray et DVD, nous invitant à reconsidérer son statut. Réalisateur d’origine jamaïcaine ayant passé sa jeunesse entre l’Australie et le Royaume-Uni, Hopkins débute en signant plusieurs clips et spots publicitaires qui lui valurent des prix en festivals et une certaine reconnaissance. Si Dangerous Game, thriller tourné en Australie, fait figure de coup d’essai, il connaît le succès deux ans plus tard outre-Atlantique où il va durablement poser ses valises, en s’attelant à la mise en images du cinquième Freddy, L’enfant du cauchemar en 1989. Ses résultats décevant par rapport aux scores des précédents opus, mais factuellement solides, lancent idéalement sa carrière. Il effectue un passage à la télévision le temps de mettre en boîte trois épisodes des Contes de la crypte avant de se voir confier la réalisation de Predator 2, avec la lourde tache de passer derrière John McTiernan. Le résultat, un brin sous-estimé, se révèle plus qu’honorable. Une série B burnée et efficacement emballée, qui parvient plutôt bien à s’émanciper de son imposant modèle. Le cinéaste cherche alors à se détacher de l’image de faiseur de suites, cantonné aux franchises et revient au thriller en 1993 pour La Nuit du Jugement avec Emilio Estevez, Cuba Gooding Jr, Denis Leary et Stephen Dorff dans les rôles principaux. Blown Away marque ses débuts dans l’action, il récupère un scénario du tandem John Rice et Joe Batteer (L’escorte infernale de Dennis Hopper, plus tard Windtalkers de John Woo), tiré d’une histoire sur laquelle a également planché un invité surprise, Jay Roach, à qui l’on devra plus tard Austin Powers et Mon Beau-père et moi. Le réalisateur retrouve son fidèle chef opérateur Peter Levy (à la photo de tous ses films à l’exception de L’Ombre et la proie) et orchestre un affrontement entre Jeff Bridges et Tommy Lee Jones. Le premier sort d’État second de Peter Weir tandis que le deuxième marche sur l’eau, Le Fugitif d’Andrew Davis a cartonné et lui a permis de remporter l’Oscar l’année passée. Secouée par une série d’attentats sans précédent, la ville de Boston rappelle sur le terrain le démineur Jimmy Dove (Jeff Bridges) sur le point de quitter son poste. Les premiers éléments révèlent que le terroriste qu’il doit affronter est plus habile et vicieux que tous ceux auxquels il a dû faire face. Ce redoutable adversaire, Ryan Gaerity (Tommy Lee Jones) n’est pas un inconnu et surgit d’un passé que Jimmy préfèrerait oublier. Leur affrontement est désormais inévitable…

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L’introduction en deux temps, intronise le bad guy avant le héros, au détour d’une séquence d’évasion de prison jouissive et déjà explosive, ne faisant aucune ambiguïté sur sa nature de psychopathe. Changement de tonalité et d’humeur au moment d’assister à l’entrée en scène de Jimmy Dove, placée sous l’angle de la détente et de la coolitude, deux caractéristiques que Jeff Bridges a incarnées à maintes reprises au cours de sa carrière du Canardeur à The Big Lebowski. Démineur star apparemment infaillible, il inspire confiance, justifie naturellement et instantanément qu’on l’autorise à transgresser les règles de conduite comme lorsqu’il s’allume une cigarette sur les lieux d’un sauvetage à risque, qui se soldera par un acte héroïque. La mise en place étonnement patiente (l’intrigue ne démarre pleinement qu’au bout d’une trentaine de minutes), souligne une volonté de faire exister ses personnages et épaissir les enjeux, dans l’optique de basculer ensuite vers le crescendo d’action espéré. Un jeu de traque ludique, à forte teneur pyrotechnique entre un gibier et sa proie à échelle d’une grande ville, la promesse est excitante, l’exécution n’est en revanche que partiellement tenue. La faute à un script balisé et trop gourmand, qui d’une part ne lésine pas sur les invraisemblances (la façon dont Ryan Gaerity semble se téléporter d’un endroit à l’autre sans la moindre explication) et les facilités narratives (le passé caché de Jimmy qui a tendance à tomber comme un cheveu sur la soupe). D’autre part, l’arrière fond politique, zone potentielle d’originalité de ce scénario, ne se révèle être qu’un banal prétexte censé épaissir des psychologies qui demeurent sommaires et instrumentalise un conflit encore brûlant à des fins mercantiles. De plus, les flashbacks en noir et blanc, visant à amorcer au préalable le trauma du protagoniste, ne sont pas plus heureux. Convenus et partiellement grossiers, ils tendent à maintenir le spectateur à distance, quand les premières minutes ont réussi à créer une attache, facilitée par le flegme de Jeff Bridges. Au naturel de ce dernier, s’oppose une composition ultra cabotine de Tommy Lee Jones, plus proche de sa performance dans Piège en haute mer que de celle du Fugitif (tous deux réalisé par Andrew Davis). À sa manière, l’acteur maintient le doute quant au degré par lequel aborder ce Blown Away, assurément imparfait, bancal et même ringard par aspects. Reste que se focaliser uniquement sur ses limites et défauts, reviendrait à omettre ses sources de satisfaction et le plaisir candide que procure son visionnage. Issu d’une formule de cinéma aujourd’hui disparue ou désuète, il assure le divertissement avec une honnêteté qui n’a pas vocation à être remise en question et une efficacité appréciable, auxquelles s’ajoute une once de nostalgie.

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S’il n’a jamais été un immense cinéaste, Stephen Hopkins a pu, selon les projets, démontrer plus d’une fois un certain savoir-faire lorsqu’il s’agit de générer la tension, tenir le spectateur en haleine ou orchestrer des temps forts enthousiasmants. Cette cinquième réalisation conforte cette réputation de faiseur capable, dont la pertinence des copies varie en fonction de la qualité de ses matériaux de départ. Ici, en dépit de carences précédemment évoquées, le script, prédisposé aux répétitions s’avère inventif au niveau de ses séquences d’action et climax. En atteste la variété de pièges et surtout des opérations de déminage, dispersées à intervalles réguliers du récit, de plus en plus longues, tendues et spectaculaires à mesure que l’intrigue progresse. Le réalisateur ne manque pas de délivrer des visions inspirées à l’instar de cette explosion dévoilée dans le reflet d’une vitre ensuite observée au loin puis à travers la pupille de son héros, ou encore la reconstitution « mentale » d’un attentat, où passé et présent se répondent brutalement. Il affirme (non sans subtilité) un désir de générosité filmique stimulant, qui se manifeste par des recherches de cadrages et de mouvements sophistiqués, des ajouts sonores appuyés et paradoxalement redoutables, un usage en renfort du bon score d’Alan Silvestri et des procédés stylistiques pas toujours du meilleur goût, mais assurément efficaces (les ralentis emphatiques). Malgré des débuts similaires, Hopkins appartient à une génération pré-Michael Bay, soucieuse de donner du cachet et un semblant d’envergure à ses images, sans pour autant tourner le dos aux règles de découpage élémentaires. En ce sens, aucun souci de lisibilité, de spatialisation de l’action ou même de storytelling, il s’inscrit dans les pas de ses aînés, se démarquant par à-coups et sans faire de vagues. Sa maîtrise des scènes en montage alterné fait office de point culminant de son artisanat, entremêlant sobriété relative et accès bourrins réjouissants, il n’en faut pas plus pour que le contrat soit rempli. Le film peut également s’appuyer sur quelques répliques savoureuses agrémentant l’ensemble de petites touches d’ironie ainsi que la réunion à l’écran des Bridges père et fils, occasionnant quelques beaux passages dans un registre plus émouvant. Au rayon des petites surprises que réserve le scénario, la place de la musique interpelle : Jimmy joue de la guitare, sa femme est violoniste, sa fille a un mini-piano pour son anniversaire et Ryan découvre U2 (« j’ai vécu en marge pendant un moment » dit-il en achetant la cassette de The Joshua Tree). Blown Away et son affrontement décomplexé, improbable et réjouissant, à défaut de révolutionner le genre, ne démérite pas.

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L’édition s’accompagne de deux suppléments en compagnie de Philippe Guedj, une présentation enthousiaste du film (sans pour autant minorer ses limites) et une analyse de séquence. Le journaliste évoque les nombreuses comparaisons qui ont joué en la défaveur de Blown Away dès sa sortie ainsi que sa postérité. Il rapproche le méchant campé par Tommy Lee Jones de celui qu’incarnait auparavant Sean Bean dans Jeux de Guerre, célèbre figure négative du début 90 prétendant œuvrer au nom de l’IRA. Il revient sur le choix d’aller filmer à Boston, appréhendé par Hopkins comme un personnage à part entière, ayant nécessité d’embaucher quatre mille figurants et occasionné quelques remous durant le tournage. On apprend par ailleurs que le final contient la plus grosse explosion de l’histoire du cinéma ! Un making-of d’époque et la bande-annonce viennent compléter le contenu du disque.

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A propos de Vincent Nicolet

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