Sortie du Blu-ray + DVD de L’Honorable Angelina dans la Collection Make My Day (Studio Canal).

En 1946-1947, l’Italie est en pleine saison néo-réaliste. Pour réaliser son film, le cinéaste Luigi Zampa, qui est proche du Parti Communiste, s’inspire d’un fait réel : « (…) nous avons interviewé une femme qui vivait à Città Giardino [1], une roturière qui nous a dit que le jour où ils n’ont pas distribué le pain avec la carte, elle avait pris la tête d’un mouvement pour occuper les bâtiments, et que tout le monde voulait maintenant la faire élire au Parlement. Mais elle ne voulait pas y aller parce qu’elle était quasi analphabète. (…) elle a fait un discours et a dit : « Je sais à peine lire et écrire. Tant que nous avons dû nous battre pour obtenir du pain, occuper les bâtiments, je l’ai fait, parce que je savais le faire, mais je ne peux pas aller au Parlement, parce que je sais à peine lire et écrire. Donnez ce poste à quelqu’un qui est plus préparé que moi, qui a de la culture » » (2).

Là se trouve l’essentiel du récit de L’Honorable Angelina. Mais détaillons un peu. 
La protagoniste, Angelina Bianchi, vit dans le quartier – « borgata » – de Pietralata (3), à la périphérie de Rome. Elle occupe une petite maison de deux pièces avec son mari, sous-brigadier, et 5 enfants de différents âges. La famille a le plus grand mal à joindre les deux bouts. Mais c’est toute la population locale qui vit dans la pauvreté, dans l’inconfort et l’insalubrité. Qui n’est pas assurée de manger correctement chaque jour. C’est, entre autres, en mettant en scène une équipe de journalistes enquêtant sur la situation à Pietralata, que Luigi Zampa permet au spectateur de comprendre ce qui se passe.

Angelina prend effectivement la tête d’une cohorte d’habitants décidée à protester contre les injustices, à dénoncer ceux qui profitent de la faiblesse des pauvres, les exploitent, à réclamer des améliorations de leurs conditions d’existence. Les résultats sont satisfaisants et la presse se fait l’écho des exploits de cette partie de la population et plus spécifiquement d’Angelina. Celle-ci est donc poussée par ses compagnons de combat à se faire élire comme Députée.
Précisons que, dans le film, devant la caméra de Luigi Zampa, ce sont les femmes qui agissent. Elles se battent d’ailleurs aussi contre la domination exercée par leur mari. Il y a une poussée féministe en cette lutte menée à Pietralata. Les hommes sont moqués et ironiquement mis dans des situations difficiles.

Les choses se compliquent lorsqu’Angelina est confrontée à Callisto Garrone, riche propriétaire de logements en cours de construction, manifestement pas destinés à la population qui en a besoin. Cette population subissant régulièrement des inondations décide d’occuper les locaux déjà pratiquement habitables et plus sûrs. À cette occasion, Luigi Zampa propose un montage d’images documentaires, en utilisant peut-être – nous n’en sommes pas sûr, c’est une hypothèse – celles d’une inondation importante qui a eu lieu à Rome en 1937.

Le propriétaire essaye d’acheter Angelina Bianchi. Celle-ci refuse, mais la population de Pietralata a l’impression que leur égérie a trahi. Finalement, avec l’aide du fils Garrone qui est amoureux de la fille Bianchi et qui n’apprécie pas les méthodes de son père, tout rentrera dans un ordre bienheureux. Les pauvres se réconcilieront entre eux et auront l’assurance de la part des riches d’être logés dans les bâtiments salubres récemment construits.

À la fin, Angelina explique aux habitants qui la soutiennent à nouveau qu’elle ne briguera pas un mandat de députée, préférant continuer à se battre comme elle l’a fait jusqu’alors, à vivre sereinement en famille, en gardant son mari qui s’est senti humilié par la place qu’elle a prise et qui s’apprêtait à quitter le domicile familial. Elle estime devoir laisser la place à quelqu’un de plus « préparé » qu’elle.

On pourra considérer qu’Angelina et les habitants du quartier se contredisent, eux qui ont montré la plus grande défiance vis-à-vis des partis politiques tout au long du récit. On pourra aussi considérer que son parcours est celui d’une prise de conscience que la politique est un domaine demandant des compétences qu’elle n’a pas. Que, pour elle, l’activité d’élu implique une perte d’intégrité, et que, en se tenant à l’écart, elle ne nuit pas à la sienne. Mais le propos de la protagoniste et de Luigi Zampa serait ici plus implicite.

Constamment teinté d’humour, représentant une forme d’entente entre bourgeoisie et prolétariat, L’Honorable Angelina fait partie de ce que l’on a appelé le « néo-réalisme rose ». Un réalisme optimiste et divertissant, parfois fantaisiste, annonçant la « comédie à l’italienne », et dont Vittorio De Sica, Luigi Comencini ou Dino Risi sont quelques uns des autres représentants.
Ce style peut irriter, mais force est de reconnaître qu’Anna Magnani est impressionnante, émouvante dans son rôle de femme du peuple ayant chaud aux yeux et sa langue bien loin hors de sa poche ; qu’elle sauve l’ensemble de l’œuvre. LA Magnani, actrice de caractère s’il en est, qui a participé à l’écriture du scénario…

Dans l’interview déjà citée plus haut, Luigi Zampa a expliqué que la fin du film peut paraître conformiste, mais qu’elle correspond au choix de la citoyenne romaine ayant inspiré le personnage d’Angelina. Il a également déclaré ne pas avoir voulu tomber dans la « rhétorique révolutionnaire » en enveloppant son héroïne dans « drap rouge » et en l’envoyant « contre toutes les barricades » et à la Chambre des Députés (4).

Notes :

1) Il s’agit de la «  cité-jardin » de Monte Sacro, au nord de Rome. Après la guerre, ce ne sont plus des villas qui y sont construites, mais de grandes unités résidentielles.
2) Cf. l’interview de Luigi Zampa, in L’Avventurosa storia del cinema italiano, a cura di Franca Faldini, Goffredo Fofi, Feltrinelli, Milano, 1979. Notre traduction.
3) Pietralata est un quartier célèbre au nord-est de Rome. Parmi les écrivains qui l’ont représenté de façon significative, il y a Pier Paolo Pasolini avec Une vie violente (1959).
4) Cf. L’Avventurosa storia del cinema italiano, op.cit.

La collection Make My Day est dirigée par Jean-Baptise Thoret.
Le BR/DVD est constitué du film et d’un bonus dans lequel le critique présente celui-ci.


 

 

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