Après un appel au crowdfunding fructueux (auquel Culturopoing avait participé ardemment) voici enfin le coffret événement Nicolas Roeg, accompagné des sorties en Blu-Ray des deux chefs d’oeuvre que sont Ne vous retournez pas et Enquête sur une passion.

Nicolas Roeg a beau être l’un des plus importants cinéastes britanniques des années 70-80 il reste curieusement l’objet d’un culte trop confidentiel. La folie provocatrice et sacrilège de son compatriote et contemporain Ken Russel aura sans doute eu plus d’impact sur les foules pour en faire le cinéaste culte des Diables, de Tommy ou de Crime of Passion. Si Roeg est indéniablement subversif, son explosion formelle est plus subtile, peut-être moins accessible car moins ouvertement hallucinatoire que celle de Russel. Il ne faut pas ignorer la carrière de directeur photo de Roeg qui avant d’être réalisateur put offrir toute la beauté du Masque de la mort rouge de Corman mais également celle de Loin de la foule déchainée ou de Fahrenheit 451. Il y a des la première œuvre de Roeg un vrai désir de changement, d’envoyer valser la linéarité, et de chercher à traduire les labyrinthes de la conscience, en en épousant les formes. Il suffit de se repencher sur ses premières œuvres pour constater combien son cinéma était novateur, élaborant un langage où le maelstrom des images devient le moteur même de la construction, le paysage mental devenant un moteur thématique et esthétique. Dès Performance, la linéarité se fissure ; elle continuera à éclater au fil des ses films, la narration se libérant sous le poids du fantasme, libérant des images-puzzle, qui s’assemblent sous nos yeux de manière hypnotique. Qu’on ne se méprenne pas, le cinéma de Roeg n’est jamais rébarbatif ou hermétique. Les films de Nicolas Roeg n’élude pas l’intrigue ; plus encore, ils évoquent toujours une aventure humaine, une plongée au fond de soi, de sa psyché, pour l’Eden ou pour l’enfer… deux lieux qui ne sont peut-être pas si distants qu’ils en ont l’air. Dans Walkabout, dans Eurêka, dans Ne vous retournez pas il sera question d’une quête, d’une initiation décisive. C’est par cette entremise que le cinéma de Roeg ne cesse de s’échapper le plus librement du monde, invitant le spectateur à récréer, reconstruire le film avec lui. En cela, rarement une œuvre n’aura jamais été autant en connivence avec son public, l’incitant à l’éveil, à l’attention constante. Comme des énigmes à résoudre, chaque film de Nicolas Roeg nous invite à un voyage sensoriel qui nous atteint comme une transe. Dans son génie du montage, il privilégie une alternance des plans, un fusionnement dans lequel l’axe chronologique paraît souvent aboli, passant d’emblée à la fin de la séquence pour revenir à ses prémisses. Roeg invente un cinéma de l’anticipation et de la prémonition.

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Rien d’étonnant alors à ce qu’il s’immerge si bien dans le fantastique avec Ne vous retournez-pas, adaptation magnifique d’une nouvelle de Daphné Du Maurier, dans lequel un couple hanté par la mort de leur petite fille se retrouve plongé dans le vertige d’un Venise déliquescent. Ici tout n’est que fantasmes et prophéties, et l’errance, la perte, l’égarement dans les rues étroites paraît épouser le flottement de l’esprit. Nul ne peut oublier ce visage halluciné de Donald Sutherland, peuplé de visions qu’il ne parvient pas à décrypter, de messages dont la signification arrive toujours trop tard. Le couple qu’il forme avec Julie Christie est d’une folle intensité, d’une véracité psychologique et sexuelle étonnante, provoquant en outre un trouble inouï lors des séquences érotiques. Et l’épouvante, lentement de s’installer, jusqu’à un final tétanisant. Don’t Look Know reste à ce jour un des plus beaux films fantastiques jamais réalisés, et également l’un des plus terrifiants.

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Dans L’homme qui venait d’ailleurs la séduisante présence androgyne et hypnotique de la Star Bowie nous induirait presque en erreur : parfait mirage pour une œuvre déroutante en appelant à la vigilance du spectateur, parfois plongée dans un bain de sensualité confondu à son étrangeté. Peut-être plus démonstrative et didactique dans ses métaphores, L’homme qui venait d’ailleurs n’en demeure pas moins une parabole acerbe sur l’état de notre monde, autocentré, bouffé par l’égoïsme et le règne de l’objet. Avec son constat écologique et politique, sa vision d’une société de consommation repoussante, le film de Roeg sonne maintenant comme une prophétie. Aux antipodes des envahisseurs vindicatifs, en paraphrasant le titre original (The Man Who Fell to Earth) on pourrait dire que l’extra-terrestre de Roeg est tombé au bien mauvais endroit : le danger, c’est l’homme, le danger c’est l’espèce humaine. L’homme qui venait d’ailleurs va encore pousser plus loin la désynchronisation, expérimentant un cinéma fait de signes à décrypter, d’images fugitives à stocker par l’esprit pour qu’elles fassent sens, enfin, dévoilant une partie du mystère.

MILENA FLAHERTY (TERESA RUSSELL) LIES ON THE BED AFTER HER SUICIDE ATTEMPT AS ALEX LINDEN (ART GARFUNKEL) STRUGGLES WITH HER *** Local Caption *** Feature Film

Cet Art de l’anticipation, on la retrouve dans Enquête sur une passion, peut-être le film le plus abouti de Roeg, qui débute sur le questionnement de la fin, laissant Theresa Russel entre la vie et la mort dans une ambulance, puis élabore son film comme une œuvre à rebours, revenant sur la construction d’un amour avant qu’il ne se délite. Rencontre, découverte sexuelle, fossé entre les sexes, instinct de domination masculine. Rarement film n’aura autant exploré les méandres du couple, telle une cruelle et splendide autopsie. On se laisse porter par cet assemblage de morceaux de mémoire revenant petit à petit, comme adoptant le rythme haché de l’électrocardiogramme de l’héroïne. Tout en soubresauts, en éclairs intenses, en pics émotionnels, Enquête sur une passion est un chef d’œuvre dominé par sa tragique ironie, qui développe ses interrogations psychologiques parallèlement à son expérimentation formelle.

On jubile donc de pouvoir redécouvrir l’œuvre de Roeg dans des conditions optimales, et tout particulièrement de la sortie en blu-ray d’Enquête sur une passion et de Ne vous retournez pas (le DVD studio Canal était depuis longtemps épuisé). Couplé aux deux autres éditions Potemkine que sont les splendides Walkabout et Eurêka, espérons que cette sortie permettra à Nicolas Roeg d’être reconnu à sa juste valeur. On se prend à espérer que Potemkine aura l’envie de sortir des films aussi passionnants que scandaleusement inédits en dvd en France, comme Track 29 ou Insignifiance.

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

1 comment

  1. Cocco Antonello

    Bonjour,

    Belle chronique, malheureusement Walkabout n’est plus disponible chez Potemkine.
    Avec la ressortie en salle de la version restaurée, peut on attendre une nouvelle édition en blu ray ou DVD de cette oeuvre qui ne fait pas partie de ce, néammoins, magnifique coffret ?
    Peut-être avez vous des infos

    Merci d’avance pour votre réponse

    Antonello

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