Bruno Mattei – « Virus cannibale »

© Rimini films

Dans la mesure où nous allons évoquer un film peu banal, nos aimables lectrices nous permettront de débuter par une confidence : je n’aime pas du tout le terme « nanar ». D’une part parce qu’il permet aux petits malins (certains ont même exploité le filon en consacrant des ouvrages à cette catégorie de films) de ranger dans un fourre-tout improbable des films totalement ratés (style Le Jour et la nuit de BHL), des films qu’ils n’aiment pas personnellement (et allez hop ! Je vous mets un Resnais au milieu de tout ça) et les petits films fauchés souffreteux relevant de la série Z. D’autre part, parce que cette désignation participe d’une culture du second degré qui peut être parfois plaisante (reconnaissons -moi le premier- que nous y avons tous succombé à un moment ou un autre) mais qui favorise une position surplombante un peu facile sur les œuvres, mettant de côté ce que ce cinéma bis peut receler comme beautés (songeons au mépris dont furent l’objet des cinéastes aussi passionnants que Jess Franco ou Jean Rollin).

Pourtant, et parce qu’à chaque règle il faut bien une exception, le terme « nanar » semble avoir été façonné pour le cinéma de Bruno Mattei en général et pour Virus cannibale en particulier. Le film s’inscrit dans cette grande tradition d’un artisanat italien toujours prompt à recycler les grands succès du cinéma américain ou européen : après le péplum, le western, ce furent l’érotisme (la saga des « Black Emanuelle après le triomphe d’Emmanuelle de Jaeckin), le fantastique (les possessions diaboliques – L’Antéchrist d’Alberto de Martino- après L’Exorciste) et l’horreur sanguinolente. Dans ce cas précis, on sait l’importance qu’a eue la sortie du Zombie de Romero puisqu’elle marqua le début d’une déferlante de morts-vivants transalpins particulièrement féroces. Il est d’ailleurs assez symptomatique que Mattei ait choisi comme pseudonyme Vincent Dawn en hommage au film du maître (dont le titre original est Dawn of the Dead).

Tourné en 1980, Virus cannibale arrive juste après les premiers pas de Lucio Fulci dans le genre (L’Enfer des zombies). La comparaison s’arrête là tant le film de Bruno Mattei sera un assemblage improbable d’éléments disparates. Tout débute dans une centrale nucléaire en Nouvelle-Guinée où une fuite provoque de nombreux morts qui reviennent pourtant à la vie pour s’en prendre aux humains.

Deuxième séquence : un groupe de terroristes a pris en otage des membres de l’ambassade américaine et réclame la fermeture de la centrale. L’intervention musclée de la police se termine par un carnage et ce passage peut éventuellement faire songer aux poliziotteschi – polars bis- de l’époque.

Troisième séquence : quatre flics partent enquêter dans la jungle sur ladite centrale tandis que des journalistes trainent également dans le coin. C’est à partir de ce moment que le film de Mattei atteint des sommets dans le n’importe quoi. Si le film s’inscrit essentiellement dans le courant du cinéma de morts-vivants popularisé par George Romero, avec un hommage direct à La Nuit des morts-vivants (le petit garçon zombifié qui attaque les adultes), Mattei conserve toujours un pied dans le « Mondo movie », ces documentaires sensationnalistes et racoleurs qui finirent par accoucher d’une autre grande tradition italienne : le film de cannibales. En effet, avant d’être à nouveau attaqué par les zombis, notre groupe se rend dans une tribu et assiste à un rite funéraire. Outre le côté improbable de l’arrivée de l’héroïne qui décide de se foutre à poil au milieu de la jungle pour arborer les peintures tribales et infiltrer la communauté indigène, le récit est entrecoupé par d’innombrables « stock shots » venus de documentaires animaliers voire même du film de Barbet Schroeder La Vallée. Et autant prévenir d’emblée que l’étalonnage de ces images empruntées est le cadet des soucis de Bruno Mattei.

Le film donne alors le sentiment d’un bric-à-brac quasiment dadaïste où les morts-vivants apparaissent très asthmatiques et statiques tandis que ceux qui leur font face restent extrêmement figés (il leur faut toujours cinq bonnes minutes avant de se décider à s’enfuir). On peut aussi citer les scènes totalement folles qui ont fait la légende du film, à l’image de ce flic qui enfile un tutu et entame un petit pas de danse alors que les zombis encerclent la demeure (dans la version française, le vice est poussé encore plus loin car c’est l’air de Singing in the Rain qui est entonné !). D’autres relèvent de la plus pure tradition gore bien craspec : un chat qui sort des entrailles d’une vieille femme décédée, une langue arrachée en gros plan suivie d’une main qui farfouille l’intérieur d’un crâne pour provoquer une énucléation comme les aimait également Lucio Fulci… Ces effets-spéciaux tiennent d’ailleurs plutôt bien le coup même si parfois, on sent que l’équipe est allée chercher un peu de barbaque à la boucherie du coin et que les figurants font mine d’arracher ces morceaux sanguinolents d’un bras ou d’une jambe en masquant le subterfuge avec leurs deux mains ! En revanche, pour le maquillage, on se contente souvent d’un petit coup de peinture verdâtre ou d’un peu de gris (un peu comme dans Le Lac des morts-vivants, un autre fleuron du genre signé Jean Rollin).

Alors évidemment, face à ce genre d’œuvre, on se dit qu’il vaut mieux se réunir entre copains et prévoir quelques bières pour l’apprécier pleinement. Il n’empêche que sans vouloir le réhabiliter à tout prix (ça serait quand même bien excessif), Virus cannibale a des allures de créature de Frankenstein à la fois effrayante et émouvante. L’assemblage de pièces détachées (une bonne louche de gore, des zombis à foison, une pincée d’action, une larme d’érotisme, des condiments volés çà et là – notamment la musique que les Goblins composèrent pour Zombie ou Blue Holocaust de Joe d’Amato) est assurément très aléatoire et monstrueux et place le film dans une catégorie qui interdit tout discours critique. Il est au-delà du Bon et du Mauvais. Mais à sa manière, il témoigne  aussi d’un âge d’or du cinéma bis italien où les artisans ne s’interdisaient rien. Ce cinéma racoleur, excessif, déviant voire malsain a tellement disparu de nos radars à l’heure actuelle qu’on ne peut pas s’empêcher d’être gagné par une certaine nostalgie en (re)découvrant ce jalon totalement aberrant.

NB : Pour ceux qui aimeraient poursuivre leur découverte du cinéma de Bruno Mattei, on recommandera l’intervention amusante (en supplément du Blu-ray) et riche en anecdotes de Christophe Lemaire. On signalera que David Didelot a consacré un ouvrage de référence au cinéaste, incroyablement riche et exhaustif : Bruno Mattei : itinéraires bis, toujours disponible chez Artus Films.

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Virus cannibale (198o)

Réalisation : Bruno Mattei

Scénario : Bruno Mattei, Claudio Fragasso, José Maria Cunillés, Rossella Drudi

Photographie : John Cabrera

Musique : Goblin

Production : Sergio Cortona, José Maria Cunillés

Interprétation : Margie Newton, Franco Garofalo, Selan Karay, José Gras, Gabriel Renom

Rimini Films.

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A propos de Vincent ROUSSEL

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