Entretien avec Fabrice du Welz, réalisateur de « Message From The King »

À l’occasion de la présentation de son nouveau film Message From The King (Critique) lors de la 10ème édition des Hallucinations Collectives, nous avons pu nous entretenir avec Fabrice du Welz. Sans langue de bois, il est revenu sur cette première expérience Hollywoodienne mais aussi ses projets à venir, les nouveaux modes de diffusion, le numérique…

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Quelle est l’origine de Message From The King ?
C’est un pur concours de circonstances. Depuis Calvaire il m’arrive d’être approché par des producteurs Américains pour faire des films là-bas, généralement des remakes de films d’horreur. J’ai longtemps résisté, je trouvais que ce qui m’était proposé n’était pas forcément à faire ni à voir. Il se trouve que j’ai rencontré David Lancaster, le producteur de Drive, Whiplash & Night Call, il y a quelques années lorsqu’il travaillait chez Bold films. Nous avions un projet ensemble, un post-nuke assez violent qui devait se tourner en Afrique du Sud. Ce film ne s’est jamais fait, David a quitté Bold films et est devenu indépendant. Il s’est mis à travailler comme exécutif pour différentes structures américaines, notamment eOne, où il chapeautait les productions. Il a hérité du scénario de Message From The King, écrit par les frères Cornwell (les fils de John Le Carré). Chadwick Boseman était déjà rattaché à ce projet, et comme il venait d’être engagé par Marvel pour cinq films, il y avait une date limite, il devait quitter le tournage en Avril ou en mai, je ne sais plus exactement. Il fallait donc absolument tourner avant. On m’a appelé au mois de Novembre, j’ai reçu le scénario dans la foulée. J’ai rencontré Chadwick à Los Angeles, il m’a validé et non l’inverse puisqu’il était sur le projet avant moi. Très vite on a commencé à travailler, j’ai eu une latitude assez complète sur le reste de la production, surtout sur le tournage. Les choses se sont ensuite un petit peu « culturellement » compliquées en post-production. Il faut savoir qu’aux États-Unis, énormément de gens investissent la salle de montage, discutent, disent ce qu’il faut faire et reprennent le montage dans ton dos. Beaucoup de choses t’échappent. Il faut à mon avis beaucoup d’humilité pour accepter ce système et essayer de louvoyer, de tenir au plus près de ta vision. Il faut rester très déterminé dans des circonstances qui sont parfois un peu dures mais je ne suis pas le premier ni le dernier à les affronter. C’est la loi Américaine, c’est comme ça que ça marche.

Qu’est ce qui t’attirait sur ce projet ?
Déjà les acteurs qui étaient quand même assez fabuleux. J’ai eu un vrai coup de cœur artistique pour Chadwick Boseman. On s’est très bien entendus, j’ai eu énormément de chance, énormément de bonheur de travailler avec lui. C’est un acteur très exigeant, très méthodique, très concentré, entier. Ensuite l’autre élément déterminant, c’était cette possibilité de plonger en apnée dans un Los Angeles un peu interlope. Puis j’aimais bien le script, il était standard mais pour donner deux pôles, il y avait moyen d’aller soit vers un néo-Taken soit vers un néo-Drive. Bien entendu, je ne voulais faire ni l’un ni l’autre, je voulais faire un truc plus personnel, plus poisseux, plus humain. J’ai milité pour tourner en 35mm, David Lancaster connaissait mes films, il savait très bien que je ne voulais pas tourner en numérique. J’ai donc réussi malgré un budget assez restreint à tourner en 35mm. Le choix de la chef opératrice a été aussi très compliqué. Je n’ai pas pu prendre mes chefs opérateurs habituels, il a fallu que je trouve un chef opérateur là-bas. On voulait m’imposer des gens, j’ai résisté et j’ai réussi à trouver la perle rare avec Monika Lenczewska. Pour faire bref, c’était compliqué mais j’ai pu faire ce que j’avais envie de faire sur le tournage, avec un budget très court, et en très peu de jours de tournage. J’ai pu également humaniser les personnages. J’avais l’avantage d’avoir les comédiens avec moi, j’ai essayé de développer le rapport entre Kelly (ndlr : Teresa Palmer) et Jacob King. Pour moi c’est d’abord l’histoire d’un deuil, l’histoire d’un homme qui arrive trop tard, qui doit aller au bout de son travail de deuil. Il le fait aussi en rencontrant et en sauvant Kelly. Il me semblait essentiel d’essayer d’investir la dimension humaine du script.

Message From The King est ton deuxième film de commande, est-ce que les contraintes de post-production que tu as rencontrées étaient similaires à celles que tu as connues sur Colt 45 ?
Non, c’est très différent, Colt 45 c’est le fond du panier. Je me suis retrouvé avec des gens qui ne travaillaient pas, avec trop d’argent et surtout de l’argent qui ne part pas dans le film mais là où il ne faudrait pas… Je pense que tu le sais, j’ai eu beaucoup de mal sur ce film. Aux États-Unis, l’argent c’est important et il est vraiment investi dans le film. Les mecs ne sont pas des fainéants, ils travaillent énormément pour faire le meilleur film possible, en tout cas leur idée de ce que peut-être le meilleur film possible dans un marché très particulier. Ce qui leur importe c’est de faire la meilleure vente possible. C’est sûr qu’on a pas toujours les mêmes regards, mais il faut accepter la contrainte. J’ai essayé d’aller au bout de la vision du film que je voulais défendre et que je voulais voir.

Le montage final est ta director’s cut en quelque sorte ?
Non, il n’y aura pas de director’s cut, disons que je suis satisfait du film.

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Tu as travaillé avec une nouvelle chef opératrice, quelles indications lui as-tu données pour avoir ce Los Angeles très chaud, cette ambiance qui pèse sur les personnages ?
À partir du moment où on m’engage, où on me demande de faire un film, je ne peux faire que ce que je sais faire. Mon cinéma est, en tout cas je l’espère et je le crois, très atmosphérique donc je dois absolument rendre compte de tout l’environnement. Dans pratiquement tous mes films les environnements fonctionnent comme des antagonistes aux protagonistes, ce sont des personnages à part entière. Sur ce film j’avais en tête les romans d’Ellroy et leur coté poisseux, ce Los Angeles des déshérités qu’on voit très peu mais qui existe. Ma rencontre avec Monika a été déterminante. J’investis mes chefs opérateurs comme des acteurs. Je suis très directif avec eux, j’ai une idée très précise des contrastes, des matières que veux obtenir. Un bon décor c’est une bonne lumière, une bonne lumière c’est un bon décor et tout ça doit être incarné ensuite par les acteurs. J’ai découvert le travail de Monika, j’ai vu son site et le film sur lequel elle a travaillé (ndlr: Difret). Elle n’avait fait qu’un film, mais j’ai remarqué tout de suite un œil, une manière d’appréhender les décors, les textures. On s’est très vite entendus, j’ai compris qu’elle serait mon partenaire et que je pourrai lui faire confiance. Quand tu fais un film à l’autre bout du monde que tu ne connais personne, que tu es vraiment tout seul, tu as besoin de gens de confiance. J’avais une certitude avec les acteurs, mais on ne sait jamais comment ça peut se passer parce que les acteurs américains, je n’avais pas vraiment pratiqué. Monika est Polonaise, elle vit à Los Angeles depuis des années mais elle a une vraie sensibilité européenne, j’ai pu ainsi l’investir de manière totale. Après les producteurs l’ont entourée de techniciens très expérimentés, c’était parfois plus compliqué entre nous mais entre Monika et moi ça a été parfait.

Comment as-tu abordé les scènes de chorégraphies de combat qui étaient une première pour toi ?
Il y avait un très bon chorégraphe même si son nom m’échappe, ensuite je voulais faire les choses en plans-séquences, non pas pour chercher un coté arty, mais je voulais donner une dimension profondément réaliste, que les coups fassent mal, que la violence soit soudaine et brutale. Nous avons tourné en plans-séquences mais après j’ai eu des difficultés avec les producteurs qui m’ont demandé de tourner des inserts. Ils n’ont pas fait ça dans mon dos, j’ai pu les tourner moi-même, maintenant très honnêtement je m’en serai passé. Après, encore une fois même si ça fait mal, je suis au service d’un projet, j’essaie d’influer, d’être le plus présent possible mais parfois je suis impuissant, je n’ai pas le contrôle. Je ne regrette pas, j’ai appris énormément sur ce film. Hollywood fonctionne comme ça depuis les années 30, il y a énormément de metteurs en scène que j’aime, Andre de Toth par exemple qui ont travaillé dans ces conditions dans les années 50… Tu essaies de donner une singularité puis des choses t’échappent mais je ne regrette pas du tout et j’aime beaucoup le film. C’est un film important parce que je crois qu’il va me nourrir dans mes prochaines expériences. J’ai travaillé en bonne intelligence avec tout le monde mais je me suis confronté à quelque chose de culturellement violent. Ceux qui arrivent à survivre à cet environnement sont des gens qui à un moment donné arrivent à être les plus souples et les plus humbles possible. Je ne suis pas sûr que j’aurai fait le même film, si je l’avais réalisé avant Colt 45 par exemple. Colt 45 m’a au fond appris énormément, notamment à être plus diplomate, moins brutal dans mes décisions, dans mon entêtement ou dans ma propre âpreté. Je peux m’emporter très vite, je n’ai pas beaucoup de filtres mais sur Message From The King j’ai essayé d’en avoir plus. C’est peut-être un peu l’âge aussi, je ne sais pas.

Quelles sont tes influences en général et ensuite plus particulièrement pour Message From The King ?
Il y en a beaucoup. Je suis un cinéphile avant d’être un cinéaste, pour être franc je suis davantage obsédé par le cinéma des autres que par le mien. Les influences évoluent constamment, mais à chacun de mes projets j’ai toujours une espèce de matrice. Un film dont l’exigence, la teneur ou la grandeur est une sorte de référent, de guide que j’essaie d’atteindre sans y parvenir, mais ça me permet de me fixer un cap. Sur Message From The King il y a forcément beaucoup de blacksploitation, Shaft notamment mais il y avait aussi Hardcore de Paul Schrader – un film que j’aime beaucoup – pour l’aspect poisseux. Ensuite je pense que je suis en train de me libérer de beaucoup de choses. Je me libère de mes référents, de mes influences et j’essaie de creuser une voie la plus singulière possible. Message From The King en quelques sorte c’est un « phénomène », je suis pas sûr que je referai trente film comme ça. Si je retourne aux États-Unis ce qui arrivera très probablement, j’essaierai d’avoir davantage de contrôle, d’être plus entouré, moins seul.

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Il y a un motif qui revient dans toute ta filmographie si on met de coté Colt 45, c’est ta façon de  faire sans cesse s’entrecroiser l’amour et la folie…
C’est un moteur important l’amour, pas uniquement dans mon cinéma, dans la vie je constate que c’est le grand sujet. Je ne vais pas faire une auto-analyse mais je pense que le sentiment amoureux peut être une pathologie, qu’il l’est même probablement souvent. Ça peut être léger, ça peut être grave mais on est toujours dans une projection, une sorte d’aveuglement. C’est le moteur d’histoires qui me fascinent. J’aime creuser les tourments de l’âme et les tourments amoureux parce que j’y vois énormément d’humanité, ça me bouleverse. Je suis toujours touché par les gens qui aiment plus que de raison, ce qui me fait peur ce sont les gens qui n’aiment pas, ça pour le coup ça m’angoisse terriblement.

Dans Message From The King par instants tu te livres à des sortes de digressions poétiques qui échappent au coté plus « balisé » du film. Je pense notamment à ce passage où le jeune homme se met à chanter chez Alfred Molina…
Pour le coup c’est vraiment un truc que j’ai amené. Il y a deux-trois autres passages comme ça, comme la séquence de rêve quand Jacob est défoncé… Les producteurs ont été sympas, ils ont quand même gardé ces passages mais tout cela était initialement beaucoup plus développé. Cette séquence dont tu parles est une séquence que j’aime beaucoup, pour laquelle je me suis énormément battu. Elle était importante pour moi car je ne suis pas un cinéaste réaliste. Je trouve que le cinéma Français et Européen est sous une terrible influence réaliste. Tout a basculé avec l’influence de Maurice Pialat qui a gangréné le cinéma Européen, le cinéma que l’on peut voir à Cannes d’une manière ou d’une autre se revendique toujours de Pialat. Moi, j’aime bien Pialat au demeurant, je n’ai pas de problème, ce qui m’embête c’est que tout soit réaliste. Mon cinéma n’est pas réaliste, si je m’ancre dans l’ultra-réalisme c’est pour aller au-delà, basculer dans l’abstraction, l’abstraction cinématographique et poétique d’une certaine manière. Mes modèles et mes référents ne sont pas réalistes, si le cinéma Français m’intéresse ce sera davantage Melville, Cocteau et surtout Franju que Pialat, que j’aime bien par ailleurs.

En dehors de la France, le film va sortir sur Netflix dans une majorité de pays. Quand l’as tu appris et comment as-tu fait le deuil de la sortie sur grand écran alors que le film a été pensé pour, à commencer par le choix du 35mm ?
En France depuis peu, on commence à percevoir, à appréhender « la tentacule » Netflix alors qu’aux États-Unis c’est complètement assimilé au système. Il y a Amazon, Hulu, Netflix et les studios traditionnels commencent à s’organiser voire même à se penser autrement depuis un moment. Quand j’ai fais le film, je débarquais aux États-Unis, je n’imaginais pas que le film serait acheté par Netflix. J’espérais qu’il soit acheté par LionsGate, OpenRoad ou je ne sais quel studio traditionnel Américain. Il se trouve que lorsque le film a été terminé et montré à Toronto, Netflix a proposé le double d’argent. Netflix en ça est hallucinant, c’est le casse du siècle, ils ont mis la main sur le cinéma mondial. Ils ont six milliards d’euros à dépenser par an, c’est limite invraisemblable. En France on commence à comprendre parce qu’il y a deux films au festival de Cannes et on se met à crier « qu’est ce qui se passe ? ». Mais à mon avis c’est irréversible, c’est une machine de guerre qui va tout écraser. Ce n’est pas forcément un mal. J’y vois aussi une manière de contrer la dictature des exploitants, des distributeurs, des chaines de télévision ou même ce moralisme épouvantable en France sur le bien et le mal en permanence. Je pense que ça peut être une manière de créer beaucoup plus de diversité. Les studios traditionnels vont devoir s’organiser, pourquoi pas attacher les metteurs en scène comme dans les années 50 avec des contrats pour plusieurs films et donc leur laisser peut-être davantage de créativité. J’essaie de voir ça avec beaucoup d’espoir en tout cas. Maintenant, par rapport à ce que tu dis, c’est sûr que ça me coûte de faire un film en 35mm qui sera diffusé sur des tablettes ou des téléphones de merde mais c’est comme ça. J’ai des gamins et ils ne regardent pas la télé comme je la regarde, ils ne consomment pas la salle de cinéma comme je l’ai consommé quand j’avais leur âge. C’est comme ça, il faut l’accepter.

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Penses-tu que la salle va perdurer face à ces nouveaux modes de diffusion ?
Oui, je pense. L’art et essai va continuer, mais pas forcément pour tout le monde. L’art et essai va continuer en Europe pour les super auteurs, ceux qui vont à Cannes, « les metteurs en scène Arte » on va dire, et ce terme n’est pas du tout péjoratif de ma part. Après pour ceux qui ont un pied dans le cinéma de genre, un pied dans le cinéma auteur, qui sont un peu « cross-over », je pense que Netflix, Amazon, Hulu ça peut être un portail qui ouvre des possibilités. La France est attachée depuis toujours au cinéma d’auteur donc les salles art et essai continueront. Je me souviens d’une lettre de Steven Spielberg et Georges Lucas, il y a quelques années, ils pensaient que le cinéma allait complètement changer et devenir un peu comme l’opéra, qu’on allait payer cinquante, soixante euros pour une projection. C’est véritablement ce qui est en train de se passer. Là on va bouffer du Star Wars tout les Noëls pour quinze ans et ça va être des spectacles de plus en plus incroyables. Il y a aussi la réalité virtuelle qui arrive. Je pense que dans les dix prochaines années on va voir des changements dans l’industrie et des choses assez fascinantes .

Pour la suite tu aimerais revenir sur des projets où tu seras plus libre en Europe ou tu vas continuer aux Etats-Unis ?
Je reviens en Belgique, normalement je tourne même dès cet été. Je boucle ma petite trilogie Ardennaise autour de l’amour fou. C’est un tout petit budget, je travaille avec mes camarades de cinéma, Manuel Chiche et Vincent Tavier. Je suis dans un environnement très heureux, très serein et très constructif. Par contre, j’ai toujours ce petit démon en moi qui me pousse à aller vivre des aventures à l’autre bout du monde, à me confronter à l’inconnu. Je suis un metteur en scène donc d’un coté je développe mon univers un peu personnel et j’essaie de faire au mieux mais j’ai besoin pour nourrir cet univers de me confronter à la machine. Gamin je me suis toujours vu comme un metteur en scène et je me suis toujours projeté en me disant «  je ferai des films à la maison mais je ferai aussi des films à Hollywood, dans les îles, en Thaïlande, en Chine ou ailleurs… ». Je continue à consulter mon petit « moi », je pense que c’est important.

Pour ce prochain projet, tu vas travailler à nouveau avec Benoit Debie ?
Non, je travaille avec Manu Dacosse avec qui j’ai fait Alleluia. Benoit et moi avons divorcé à l’amiable. On va probablement se retrouver un jour comme ça arrive dans les vieux couples. On reste en très bons termes mais là je suis un peu plus maqué avec Manu Dacosse, en tout cas pour terminer cette trilogie là.

Pense-tu un jour tourner en numérique ?
Le plus tard possible! Mais je pense qu’un jour je devrai probablement y passer. Franchement le format m’ennuie profondément, je pense qu’on nous a vraiment entubé avec le numérique, pour moi c’est un attrape-couillon. J’ai revu tout à l’heure Hitcher en 35mm (ndlr : la projection avait lieu juste avant l’entretien), la copie n’était pas forcément très bonne mais ce qui m’a frappé en le revoyant, c’est à quel point dans les années 80 tout était matière, tout était texture. Mon obsession sur la texture vient probablement de mon enfance. Je suis fasciné de voir à quel point il y a de la pluie, de la poussière, des brillances, de la fumée… Tout était matière, tout le temps dans le cinéma de cette époque. Il y a presque un coté Antonioni là-dedans. Si on avait dit dans les années 80 qu’Hitcher était un film antonionien, je pense qu’on se serait fait décapiter. Il y a une dimension profondément sensorielle, le film est là, il pénètre, il est sensuel. Aujourd’hui le digital ne permet jamais ça. C’est comme la pornographie dans les années 70, très franchement c’est un parallèle que je fais souvent mais quand adolescent dans les années 80 je regardais les films avec Brigitte Lahaie c’était quand même autre chose que les trucs de merde qu’on voit sur YouPorn aujourd’hui. Ça n’a pas du tout la même sensualité, la même texture. Je trouve qu’on vit une époque terrible sans poésie justement parce qu’il manque ce sens là. Dans mon processus de cinéaste, le coté alchimiste, le fait de devoir attendre un jour pour constater ce que j’ai pu filmer, est quelque chose qui me réjouis vraiment. J’essaie de travailler comme un plasticien. Aujourd’hui quand je vois ces gens qui travaillent en numérique, qui n’éclairent même plus et qui à l’étalonnage mettent des caches, ça me déprime vraiment. Je trouve regrettable de constater à quel point en trente ans le cinéma a pu évoluer et pas forcément en bien.

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Propos recueillis par Vincent Nicolet, le 15 Avril 2017 à Lyon. Un grand merci au cinéma Comoedia, aux équipes du festival Hallucinations Collectives ainsi qu’aux journalistes Guillaume Gas de Courte-Focale, Carine Trenteun de Benzine Magazine, Lucas Nunes de Jean Moulin Post, Josh Lurienne de WeirdMovies, Paul Siry de Sueurs Froides, Karim Souiah de DocCine, Aurélien Zimmermann de Watching The Scream, dont certaines des questions ont été reprises ici.

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