Ohran Pamuk – « Le musée de l’Innocence »

Avec ce récit, Orhan Pamuk se joue de la tendance littéraire en assumant un romantisme effréné passé de mode. Il livre un immense roman d’amour avec en toile de fond les mutations d’une Turquie moderne. Un amour forcement impossible devant l’antagonisme des sentiments et la force des différences sociales. Dans son style minutieux habituel, attentif aux moindres détails laissant penser à une certaine lourdeur du texte, il se plait à décrire la complexité du sentiment amoureux, inhérente à tout être humain, d’un homme jusqu’à la fin de sa vie. Kemal, trente ans, voit sa vie bouleversée par sa rencontre avec Fusum, une lointaine cousine dont la famille s’est vue éloignée par la sienne du fait de sa pauvreté. Ses fiançailles seront d’autant plus réussies qu’elles seront un moyen de croiser Fusum. « Comment décrire le bonheur qui se peignit sur son visage lorsque, ne pouvant feindre de ne pas m’avoir vu, elle remarqua que j’approchai hardiment, avec amour ? ». Cette rencontre va avoir pour effet de bouleverser ses sens, se détachant progressivement de sa fiancée qui lui était promise, il va tomber à corps perdu dans un amour qui lui échappe.
Ce sacrifice d’une vie est d’autant plus éloquent qu’il se déroule au sein d’une jeunesse stambouliote attirée par la modernité de l’Europe mais ne pouvant se détacher de son identité turque. L’ambigüité d’une société partagée entre la conservation des valeurs musulmanes et traditionnelles et l’incroyable séduction qu’exerce sur elle la vie fantasmée de la société européenne se révèle tout long de la dramaturgie.
Ainsi, l’intérêt de ce roman réside dans le contexte où évolue Kemal, aux affres de son amour s’ajoute son isolement du reste de la société qui l’a vu grandir. La pression sociétale est telle qu’il s’affranchit de son ancien mode de vie pour vivre son destin. Membre de la bourgeoisie stambouliote, l’homme va se révolter au fil du roman : contre son milieu d’origine d’une part et d’une manière plus générale contre les conventions sociales qui s’élèvent devant son bonheur. Pour se rapprocher de l’être aimé, il sacrifiera sa destinée. Il s’adaptera à un nouveau milieu plus pauvre mais chargée de bienveillance et d’affection retenue à son égard (notamment la mère de Fusum). Le héros va ainsi traverser les classes sociales et ses codes avec une aisance guidée par un amour intangible.
A travers le récit, se découvre l’histoire récente de la Turquie, des coups d’états des années 1980, de la peur prégnante face à la violence politique, de l’essor culturel à travers le cinéma. Orham Pamuk revisite sa ville comme il l’avait déjà fait via son roman de souvenirs « Istanbul ».
Mais « Le musée de l’Innocence » reste avant tout une somptueuse description de la passion amoureuse, relatant avec minutie malgré un soupçon de kitsch la tension que fait naitre le sentiment amoureux dés lors qu’il ne peut pleinement se réaliser. L’amour jusqu’à la folie de Kemal s’enrichira par la conservation des objets liés de prés ou de loin à l’être aimé (des allumettes à la salière de la maison de Fusum en passant par les poignées de porte). « A mesure que je contemplais les objets ainsi que les mégots accumulés, je me rappelais chacune des choses que nous faisions lorsque nous étions assis à la table des Fusum » Ces objets seront vus comme des catalyseurs, lui permettant de vivre son amour même séparé d’elle, d’atténuer sa peine au fond de son appartement où ils vécurent les ivresses de leur amour. A la fois nostalgiques et porteurs d’espoirs, ils lui permettront de conserver intacte sa passion tout au long de sa vie. L’innocence du bonheur qu’il n’avait su percevoir dans les instants passés au coté de Fusum sera ainsi le titre de son musée à la gloire infinie de son amour. Un musée pour « vivre avec les morts, où le visiteur perdrait le sens du Temps, et qui serait fondé sur une impulsion du cœur ».
Paru aux
Editions Gallimard.

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A propos de Julien CASSEFIERES

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