Entretien avec Zachary Cale pour l’album Blue Rider

Zachary Cale est originaire d’Enon, une petite ville de Louisiane. Depuis quelques années, il vit à Brooklyn. Il est l’auteur de cinq albums parus entre 2005 et 2013, ainsi que de nombreuses collaborations avec d’autres musiciens new-yorkais (Prudence Teacup, Psychic Lines…). Blue Rider, son dernier album a été unanimement acclamé par la presse anglo-saxonne qui a pu le présenter comme « le meilleur chanteur-compositeur travaillant aujourd’hui » (Pop Matters). Comparées au Bob Dylan première époque, les compositions de Zachary Cale sont ancrées dans une longue tradition de la musique folk, rock et blues parfaitement assumée et maîtrisée. Par ailleurs remarquable musicien de concert, c’est au retour d’une tournée européenne chargée que nous avons eu l’occasion de l’interviewer.
A quel âge avez-vous commencé à jouer et composer de la musique ? Vos parents étaient-ils eux-mêmes musiciens ?
J’ai commencé à composer quand j’avais 15 ans, je jouais de la guitare dans un groupe tout au long de ma scolarité. J’écrivais les accords et la structure des chansons. Très vite cependant, j’ai commencé à écrire également les paroles. Mon père joue encore actuellement de la guitare.  J’avais l’habitude de coller les oreilles à ses amplis et d’écouter les sons qu’il produisait.
Plusieurs de vos chansons évoquent des liens amoureux et familiaux comme « Wayward Son » ou  « Blood Rushes On ». Quelle est la part personnelle, autobiographique, de vos textes ?
Je ne dirais pas que ces chansons sont directement liées à moi personnellement. C’est plus un sentiment universel dans lequel chacun peut se retrouver. Bien sûr, il y a des morceaux de ma vie dans mes chansons, mais aussi de la vie d’autres personnes que je connais, ainsi que des situations et des personnages que j’ai créés. Il ne s’agit jamais d’une seule chose, je n’écris pas de chansons « confessions ». Mes chansons sont plus associatives et impressionnistes.

Dans plusieurs interviews, vous évoquez vos lectures de Rimbaud, Kafka… Vous dédiez une de vos composions à William Blake, « Blake’s Way ». Quelle est l’importance de la littérature sur votre écriture ?
C’est certain que cela nourrit beaucoup de mes chansons, pour certaines plus directement que pour d’autres comme pour Blakes’ Way. Je lis beaucoup, donc la littérature se glisse dans ma musique, de la même manière que lorsque j’écoute des disques d’autres musiciens. J’aime le son des mots, j’aime les structures narratives, mais j’aime aussi transformer les mots et leur sens. Les paroles sont importantes pour moi, même s’il semble que, de nos jours, elles ne le soient plus autant dans le monde de la pop en règle générale. Mais moi je ne peux pas interpréter une chanson si je pense que les paroles ne sont pas terribles. C’est le vrai test quand on chante en solo, je pense.
Vous reprenez régulièrement en concert Love in vain de Robert Johnson. Votre travail s’inscrit dans une certaine tradition américaine folk, blues, country… Pouvez-vous évoquer ces liens entre vos compositions et cette histoire de la musique américaine ?
Je suis fortement influencé par toutes sortes d’anciennes musiques américaines. Quand les  gens me décrivent comme chanteur folk, je pense que c’est trompeur. Oui, je joue souvent en solo de la guitare acoustique, mais ça ne signifie pas nécessairement que je joue de la musique folk. J’ai grandi en Louisiane donc j’ai entendu beaucoup de country, de blues et du jazz pendant mon enfance. En prenant de l’âge et en faisant du rock et de la musique expérimentale, j’ai réalisé que tous ces genres sont liés à cette même racine de la musique née en Amérique dans la première moitié du 20e siècle. Tout ça, c’est la même chose pour moi. Cela dépend juste de la manière dont vous la présentez. Pour moi une bonne chanson est une bonne chanson. Ma façon de jouer de la guitare et ma voix peuvent être influencées par une époque plus ancienne, mais je ne pense pas que ce que je fais sonne comme des reprises. Beaucoup de musiciens sont comme des copies carbones de string bands folk des années 60 ou de groupes country de la vieille école. Pour moi, c’est comme se déguiser et vivre dans un fantasme. J’ai sans aucun doute écrit des chansons qui ressemblent à ça, mais ce sont des chansons que, généralement, je jette. Après avoir joué plusieurs années, je crois pouvoir dire que j’ai trouvé mon propre son.
Plus surprenant, vous reprenez également une chanson de Jacques Brel, La Mort. Pourquoi ce choix ? Admirez-vous Brel ou certains musiciens francophones ?
Oui, tout à fait ! Mes connaissance en musique française sont assez limitées mais il y a beaucoup d’artistes, de chanteurs que j’admire. Brel est l’un d’eux. C’était un grand poète et chanteur. Il y en avait peu comme lui. On pourrait dire la même chose de Piaf ou Gainsbourg, ils sortaient du lot. C’est évident pour moi que la langue française est très musicale, elle est plus fluide que l’anglais, je pense. Il en est de même pour la poésie.
Vous vivez à New-York, appartenez-vous à un collectif de musiciens ? Est-il évident de vivre aujourd’hui de sa musique ?
Je ne sais pas si on peut parler de communauté. Je vis dans une grande ville et il y a des milliers de groupes, c’en est écrasant parfois. Mais oui, il y a des musiciens parmi mes amis que je vois régulièrement en concert et pour lesquels j’ai joué lors de leur enregistrement. Quand je joue avec un groupe, c’est généralement avec l’un ou l’autre de mes amis de New York, comme les musiciens qui ont participé à mes enregistrements. Pour certains, il est possible de vivre de sa musique, mais c’est assez rare. Je travaille tout le temps, il le faut. Même quand j’arrive à me faire un peu d’argent lors des concerts en Europe, il y a toujours beaucoup de dépenses pour le voyage. Au final, je rentre tout juste dans mes frais, mais c’est comme ça que ça va.
Vous terminez une tournée européenne. Quelles différences voyez-vous entre les concerts que vous avez faits en Europe et aux Etats-Unis ?
C’est plus facile pour moi de faire une tournée en Europe. J’ai des agents désireux de me réserver des tournées. Aux états-Unis, je suis plus ou moins underground. Les distances entre les villes sont plus grandes et les salles de concert ne paient pas aussi bien les artistes inconnus. Aux Etats-Unis, le seul moyen de faire une tournée professionnelle est d’être populaire. Alors qu’en Europe, il est possible d’être relativement underground et de faire une bonne tournée. Le public est plus ouvert aux musiques nouvelles. Aux Etats-Unis, les salles de concert sont beaucoup plus concernées par la vente d’alcool que par la qualité du groupe et il y a tellement de groupes qu’ils n’ont aucun mal à en trouver un chaque soir.
Abordons Blue rider. Comment cet album a-t-il été enregistré ? Qui l’a produit ? Qui sont les musiciens qui interviennent sur l’album ? La durée de l’enregistrement a-t-il été long ou au contraire rapide ? Blue rider est un album assez court. Est-ce un choix ? Si oui, pour quelles raisons ?
L’album a été enregistré dans un studio à Brooklyn appelé Vacation Island. Une grande partie y a  été enregistrée et le reste l’a été dans ma maison. Il a été produit par Matt Boynton dont nous avons utilisé le studio, mon ami Ryan Johnson (qui joue de la batterie sur l’enregistrement) et moi-même. Il n’y a pas beaucoup de musiciens. C’est assez minimaliste comme son. Ryan joue des percussions, James Preston (qui fait partie de mon groupe) joue de la basse sur la moitié des chansons, Alfra Martini qui m’accompagnait dans ma tournée précédente, chante les choeurs sur certaines chansons et mon ami Brady Sansone joue de la guitare lapsteel sur une chanson. J’ai fait tout le reste moi-même. L’enregistrement a duré à peu près un an et demi. Tout n’a pas été fait en même temps, donc ça a pris du temps pour le terminer. Je ne trouve pas que ce soit un album si court. C’est la longueur idéale pour moi. Je n’aime pas les longs albums. Un album ne devrait pas durer plus de quarante minutes. C’est le temps qui convient à un disque vinyl donc je fais toujours en sorte d’être en dessous de ce temps.
En quoi Blue rider représente-t-il un prolongement de votre travail et de vos album précédents ou une rupture par rapport à ceux-ci ?
Mes albums se nourrissent l’un de l’autre, donc oui c’est un prolongement, mais il y a aussi toujours des différences stylistiques entre eux. J’écris beaucoup de chansons de styles différents. Blue rider a un son minimaliste, c’était voulu mais on peut également retrouver des similitudes dans d’autres enregistrements. Nous avons de manière consciente pris la décision de ne pas ajouter trop aux chansons. Quelquefois, ajouter trop de choses peut masquer la mélodie et les mots. Mais j’aime varier sur chaque album, je n’ai pas une formule toute prête pour ma musique. Peut-être que ce serait plus facile si je n’avais qu’un seul son, mais je m’en lasserais, surtout en jouant en solo. Le prochain album sera un peu différent, plus proche du son d’un groupe complet et moins de jeu de guitare fingerstyle, mais il me ressemble, c’est ce qui compte.
Si vous disposiez de tous les moyens possibles pour réaliser votre prochain album, avec qui voudriez-vous travailler et quel projet envisageriez-vous ?
Il y a des producteurs et des studios avec lesquels j’aimerais travailler. Brian Eno et Daniel Lanois sont deux de mes fantasmes, mais je dois faire avec ce que j’ai et je suis reconnaissant envers les personnes qui m’ont aidé à créer ce que je veux. J’ai des centaines de chansons que je n’ai pas encore enregistrées donc je suis toujours occupé avec cette montagne. Le nouvel album aura un  son « dark western« . Il s’agit plutôt de la mélodie et de la narration dans la chanson que du jeu de guitare. C’est toujours minimaliste mais avec plus d’ampleur : les chansons ont en elle une cadence spirituelle. J’espère le terminer dans le courant de l’année.
Le site de Zachary Cale
 
 

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A propos de Alain Hertay

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