"Aladdin Sane" de David Bowie (première partie) : 40 ans et toujours décadent…

Il y a quatre décennies, le 13 avril 1973, sortait le fantastique album Aladdin Sane, assurément l’un des plus réussis de David Bowie – le meilleur, pour certains parmi lesquels nous sommes. Il faisait suite à The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars, sorti l’année précédente et qui avait commencé à placer Bowie sur les rails de la gloire, au moins en Grande Bretagne [On pourra lire ici notre texte consacré à la réédition de Ziggy Stardust en 2012].

Les chansons, qui ont été écrites durant la première tournée de Bowie aux Etats-Unis – elle a lieu du 22 septembre au 22 décembre 1972 -, sont enregistrées entre la fin du mois de décembre 1972 et le mois de janvier 1973, au Studio Trident de Londres et avec le producteur Ken Scott (1), comme pour les deux albums précédents – Hunky Dory, et, donc, Ziggy Stardust.
Y est ajouté le titre The Jean Genie – sorti en single en novembre 1972 et qui reste treize semaines dans les charts britanniques et atteint la 2e place. The Jean Genie avait été enregistré dans les studios RCA de New York le 6 octobre 1972.
Le 45 tours Drive In Saturday a été publié le 6 avril 1973. Il reste dix semaines dans les charts britanniques et monte jusqu’à la troisième place. Le morceau avait été proposé au groupe Mott The Hoople – qui avait remporté un grand succès en 1972 avec All The Young Dudes, écrit par Bowie, et produit par lui et Mick Ronson comme l’album homonyme -, mais Ian Hunter et sa bande l’ont refusé. La chanson Time sort en single le 13 avril, et la reprise des Rolling Stones, Let’s Spend The Night Together, dans le courant du mois de juillet.

L’album est une consécration pour le glam rocker : les préventes atteignent le chiffre de 100.000 exemplaires, ce qui ne s’était jamais vu depuis les Beatles et la Perfide Albion le conserve soixante-douze semaines dans les charts, dont cinq semaines en pole position. C’est le premier n° 1 de l’artiste.
Bowie a présenté Aladdin Sane, le disque et le personnage, comme le prolongement de Ziggy Stardust, comme la transformation de la star fictive due à son voyage aux Etats-Unis. Les Ricains refusent cependant de se laisser séduire. L’album ne reste que huit semaines dans les charts et n’atteint que la 17e place. Il faudra attendre Diamond Dogs (1974) et surtout Young Americans (1975) pour que les choses changent.


Mike Garson

Les mêmes musiciens qui ont joué sur Ziggy Stardust, les Spiders From Mars, sont là : Mick Ronson à la guitare, Trevor Bolder à la basse et Mick « Woody » Woodmansey à la batterie. La nouveauté importantissime, c’est la présence du pianiste américain Mike Garson. Garson a une formation jazz. Il joue en 1972 sur l’album d’Annette Peacock I’m The One – du piano sur le morceau éponyme, et de l’orgue sur One Way. Peacock refuse la proposition de Bowie de tourner avec elle, mais lui parle de Garson. Bowie engage celui-ci après audition.
Lorsque Ronson et Bowie se séparent à la fin de l’année 1973 et que celui-là enregistre son premier album solo, Slaughter On 10th Avenue, il reprend I’m The One. Garson joue sur ce morceau, comme sur tout le disque d’ailleurs (2).
L’apport de Garson sera décisif sur la chanson Aladdin Sane… Le pianiste a déclaré :
« Well, I did tell Bowie about the avant-garde thing. When I was recording the famous Aladdin Sane track for Bowie, it was just two chords, an A and a G chord, and the band was playing very simple English rock and roll. And Bowie said : « Play a solo on this ». I had just met him, so I played a blues solo, and then he said : « No, that’s not what I want ». And then I played a latin solo. Again, Bowie said : « No no, that’s not what I want ». He then continued : « You told me you play that avant-garde music. Play that ! »
. And I said : « Are you sur ? ‘Cause you might not be working anymore ! » (laughter). So I did the solo that everybody knows today, in one take. And to this day, I still receive emails about it. Every day. I always tell people that Bowie is the best producer I ever met, because he lets me do my thing » (3).

Le (Jean) Genie d’Aladdin

Le riff de The Jean Genie est célèbre pour son efficacité. Mais aussi parce qu’on l’entend plus ou moins à l’identique sur nombre d’autres morceaux pop-rock. Beaucoup de gens citent La Fille du Père Noël de Jacques Dutronc (1966) comme une probable source d’inspiration pour l’Anglais. Le chanteur belge Arno a d’ailleurs fait un medley des deux morceaux en 1999 : Jean Balthazaarrr. Mais Bowie a, selon nous, plus sûrement copié le I’m A Man des Yardbids (1965) : même type de phrasé, présence dans les deux titres d’un harmonica, montées rythmiques comparables (4). Le morceau des Yardbirds est une reprise de Bo Diddley (1965 également) qui s’est lui-même inspiré du Hoochie Coochie Man (1954) écrit par Willie Dixon et interprété par Muddy Waters. Notons qu’en 1973, le groupe Sweet utilise lui aussi un riff similaire pour la chanson Blockbuster.
On connaissait depuis longtemps le vidéo-clip du morceau réalisé par le photographe Mick Rock – celui-là même qui a également réalisé la vidéo de Life On Mars ? Probablement dans le courant de l’année 2011, le cameraman John Henshall se rend compte qu’il est le seul à posséder une copie du passage de Bowie et des Spiders à l’émission Top Of The Pops, le 3 janvier 1973. La BBC aurait effacé la bande, comme pour d’autres enregistrements, dans le but de la réutiliser – des raisons économiques justifiant ce type de pratique. Le groupe et son leader jouent The Jean Genie.
L’enregistrement est d’abord projeté par le British Film Institute au « National Film Theatre » (South Bank), le 11 décembre 2011, en conclusion de sa manifestation annuelle « Missing Believed Wiped ». Puis diffusé à la télévision dans le cadre de l’émission de Top Of The Pops 2 « Christmas Special », le 21 décembre 2011 (5).
Henshall utilise un objectif « fisheye » ce qui permet un effet étonnant… les musiciens se retrouvent ainsi, à certains moments, dans un cadre circulaire évoquant une boule de Noël !
De mauvaises langues affirment que le « film » aurait été mis sous le boisseau car le bassiste Trevor Bolder se trompe à un moment dans son jeu, la prestation vocale bowienne n’étant pas réalisée sur un play-back, les musiciens jouant en direct. Le 19 novembre 2012, EMI sort un « picture-disc » en vinyle et en édition limitée pour fêter les 40 ans du single. En face A, il y a la version studio du morceau, en face B la version live jouée lors de l’émission Top Of The Pops.

 

Aladdin Sane et son « image » aujourd’hui

L’incroyable actualité 2013 de Bowie a poussé un grand nombre de médias, mais aussi le V&A Museum de Londres qui consacre actuellement une fort belle exposition à l’artiste, à utiliser l’image de la pochette d’Aladdin Sane et, hors de son contexte précis, la zébrure bleue et rouge qui était au départ dessinée sur le visage de Bowie.
En fait, depuis que le photographe Brian Duffy a rendu publiques ses archives, peu avant son décès en mai 2010, la planche-contact de la session photos destinée à la réalisation de cette pochette circule. Et parmi les clichés pris, il y en a un où le chanteur est de face, les yeux ouverts. Sur la photo choisie pour la pochette, il a les yeux fermés. Plusieurs magazines ont fait leur une avec cette image et joué sur le retour de Bowie comme étant une résurrection : le chanteur passé pour mort pendant de nombreuses années se réveille ! Ainsi en est-il des Inrockuptibles : Bowie ressuscité, mais aussi, avant lui, de Q magazine : Bowie lives !
La zébrure est désormais devenue un symbole grand public… Lady Gaga l’a copiée pour quelques uns de ses maquillages. Les stylistes et magazines l’ont utilisée : il y a notamment eu la couverture de Vogue UK en 2003 avec Kate Moss. La compagnie Eurostar la fait apparaître actuellement sur des affiches publicitaires.

EMI réédite le disque Aladdin Sane le 15 avril 2013. Cette édition du quarantième anniversaire a été remasterisée par Ray Staff aux Studios AIR à Londres. Ray Staff avait déjà remasterisé Ziggy Stardust en 2012. On pourra évidemment regretter que cette publication ne comporte pas de « bonus » comme celle qui avait célébré les trente ans du disque en 2003 (6).

Notes :

1) Ken Scott a récemment publié son autobiographie : Abbey Road To Ziggy Stardust, Alfred Music Publishing, London, 2012.
2) Annette Peacock : I’m The One / La reprise par Mick Ronson : I’m The One
3) Interview Mike Garson
4) Communiqué de la BBC
5) The Yardbirds : I’m A Man
6) Cette réédition était constituée de deux CD. Le second comportait les « bonus » suivants : John, I’m Only Dancing (« sax » version) / The Jean Genie (single mix for single A-side, 1972) / Time (edit for single A-Side, 1973) / All The Young Dudes (mono mix) / Changes (Live) Boston Music Hall, 1 October 1972 / The Supermen (Live) Boston Music Hall, 1 October 1972 / Life On Mars ? (Live) Boston Music Hall, 1 October 1972 / John, I’m Only Dancing (Live) Boston Music Hall, 1 October 1972 / The Jean Genie (Live)  Santa Monica Civic Auditorium, 20 October 1972  (From Live Santa Monica ’72) / Drive-In Saturday (Live) Cleveland Public Auditorium, 25 November 1972.

Le lecteur pourra lire, dans la deuxième partie de ce texte, l’analyse d’Aladdin Sane que nous avons publiée dans notre ouvrage David Bowie – Le Phénomène Ziggy Stardust et autres essais (Camion Blanc, Rosières en Haye, 2009)… Légèrement augmentée pour l’occasion.
https://wp.me/p4Ex3q-14o


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A propos de Enrique SEKNADJE

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