Eric Rondepierre – « Laura est nue »

Le sexe et ses voix

Laura est nue est un livre fragmentaire. Eric Rondepierre y laisse entendre une voix singulière portée par un rythme, un souffle , une incandescence. Cette voix substitue au fil continu de la narration , qu’elle brise , des rapports de diffraction. A la voix singulière de l’auteur se superposent des voix plurielles comme autant de constellations qui, dans l’éventail des tonalités , de la plainte aux cris de jouissance, des reproches aux mots d’amour, des questionnements philosophiques aux doutes critiques,  discutent , se relancent, dialoguent, déplacent. Constellations d’une conversation toujours recommencée, rompu par les éclats d’amants «  qui ne connaissent pas la douceur, la civilisation , (s)’ écorch(ant)comme des bêtes sauvages échappés du paradis terrestre »1 .

Le récit liminaire déjà  s’ouvre comme un lieu d’écoute. Après la disparition de son père, Camille Morelli découvre dans ses papiers un «  manuscrit » à deux voix. Fabrice Morelli y dépeint la liaison qu’il entretient avec Laura, l’une de ses étudiantes, disparue sans laisser de trace. Sa narration est entrecoupée par les interventions d’un cinéaste, Vincent Niével, auteur d’un film dans lequel Laura joue un rôle…

Ce manuscrit , Ciné-club, sous titré roman , part de quelque-chose dont le germe vient moins du développement d’un récit que d’une condensation de sensations et d’intensités. Son écriture ne recherche pas une vérité mais elle est comme un recul qui semble prendre l’ampleur d’une remontée jusqu’à l’origine de cette rencontre  avec Laura. Remontée jusqu’à l’origine pour saisir cette femme , dans la proximité, presque dans la transparence de son être, au lieu même de son éveil : Laura est une femme nue.

Laura Berger vit à Paris. Elle travaille dans une revue de théâtre Tous en scène. Mais ce qui fait événement est son arrivée , à l’automne 1998, en première année de master à l’université dans le séminaire de Fabrice , ancien comédien devenu enseignant en histoire et esthétique du spectacle. Leurs entrevues au départ retardent le plaisir et diffèrent les brûlures de la chair , «  plutôt se tenir sur le seuil, garder ce penchant qui les fai(t) vibrer »2 même si «  cette caresse fragile de deux entités étrangères sur un point de tangence p(eut) se dissoudre au moindre courant d’air »3. Ils instaurent entre eux un rituel : une séance de «  ciné-club pour deux personnes ». Fabrice montre alors nombre de films à Laura , où «  on y parl(e) de l’imposture, de la comédie »4 , de Lang, Mankiewicz, d’Hitchcock ou de Lars von Trier. Les deux amants y questionnent là, en creux , leur propre imposture et comédie, les liens entre le cinéma et le théâtre, entre le réel et sa doublure. Cette part de jeu au cœur des relations humaines . Des cinéastes mais aussi des artistes peintres ou plasticiens , des critiques de cinéma comme Astruc ou Rivette y sont convoqués . Ce ciné-club sera aussi «  une sorte de baume à la plaie du sexe 5» lorsque leur complicité devient sexuelle. Et une autre langue alors s’immisce dans le manuscrit comme pour accomplir une jouissance propre à sa matière. Ce qui s’écrit  n’est plus seulement des questionnements philosophiques ou esthétiques mais vient du fond des cavernes et des parois du corps. La crudité ouvre abruptement sur une relation primitive, effrayante de volupté,entre cet homme et cette femme «  toujours excitée entre les jambes 6» . Langue dédoublée par l’intrusion d’une autre voix, celle de ce cinéaste Vincent Niével pour qui Laura «  aurait fait bander des murailles 7». Ce manuscrit est alors la caisse de résonance de tout ce qui fait peur et de tout ce qui fait désir.

La composition de Laura est nue échappe et pourtant une cohérence vertigineuse tient à ses reprises et ses modulations thématiques.  Le jeu de ses voix rapportées déborde sur la voix qu’est le texte lui-même laissant advenir la beauté. C’est à ce déploiement que tient la possibilité d’une réception dans d’autres sites que celui d’une énonciation première , dans le corps, au plus profond de nous-même. Et celle de se laisser entraîner dans «  ce labyrinthe fluctuant, dansant, plein de ressources , supérieurement pourvu en surprises »8.

Laura est nue montre combien les éditions Marest se risque de la plus belle façon qui soit à donner une voix à la singularité même.

Eric Rondepierre, Laura est nue, Paris, editions Marest, mars 2020, p. 213.

Ibid, p.90

3 Ibid.

Ibid, p.128

Ibid, p.132.

Ibid, p.159

Ibid, P.181

8. Ibid

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A propos de Maryline Alligier

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