Il aura fallu un sordide détail pour sortir Greg Iles de sa torpeur. Depuis quelques années, le romancier, auteur notamment de 24 Hours en 2000, n’écrivait plus. A la suite d’un accident de voiture particulièrement grave, Greg Iles retrouve le chemin de l’écriture et se plonge dans une trilogie romanesque ambitieuse. En prenant pour cadre le Sud des États-Unis, une région qu’il connaît particulièrement bien : « Un endroit que la plupart des gens aux États-Unis considéraient comme étant différent du reste du pays alors qu’il incarnait précisément l’âme torturée de l’Amérique. » Pour ce premier roman, son intrigue s’étend sur plus de 1000 pages. La suite reprendra-t-elle les mêmes protagonistes ou plongera-t-elle le lecteur dans un tout autre cadre ? Aucun indice ne permet de se prononcer sur l’avenir de cette fresque. Néanmoins, une remarque s’impose d’emblée : le premier tome, par sa puissance littéraire et sa maîtrise de l’intrigue, laisse le lecteur avide de découvrir la suite.

L’intrigue de Brasier noir se déroule quelque part au fin fond du Mississippi. Cette précision n’est pas dénuée d’intérêt, tant l’histoire semble être en vase clos au sein d’un territoire relativement imperméable à l’extérieur. Est-ce symptomatique du Sud des États-Unis ? Le lien semble distendu, si ce n’est absent avec l’Etat fédéral. La nature a horreur du vide. Profitant du manque d’autorité du pouvoir fédéral, les organisations les plus radicales étalent leur mainmise sur le territoire, avec l’assentiment des autorités locales. C’est le cas des Aigles bicéphales, émanation radicale du Ku Klux Klan. Dans les années 1960, alors que le mouvement des droits civiques émerge, le Sud des États-Unis choisit la fuite en avant. Porté par une violence et un racisme extrêmes, ce groupuscule, à la solidarité exemplaire entre ses membres, soumis à des rites, a fait prospérer ses affaires en terrorisant la population. De fait, des années après, leur domination ne s’est pas effacée et leur capacité d’action effraye toujours autant la population.

Pour Penn Cage, le souvenir oublié de ce racisme refait surface à l’occasion de la mort de Viola Turner. Cette infirmière noire avait quitté la ville de Natchez pour refaire sa vie à Chicago. Elle travaillait dans les années 1960 avec son père. Et ce dernier se trouvait également à son chevet dans les derniers moments… Les événements s’emballent et l’accusation de crime est prononcée par le procureur de l’Etat. Loué pour ses qualités humaines par l’ensemble des concitoyens, le docteur Tom Cage est apprécié au-delà des communautés. Penn Cage ne peut pas se résoudre à la culpabilité de son père. Afin de se débarrasser de cet acte d’accusation, il décide de résoudre le crime. « J’ai l’impression que si j’avance d’un pas, je vais chuter dans les ténèbres sans fond. Et maintenant ? Dois-je aller retrouver mon père pour lui soutirer la vérité ? A quoi cela servirait-il ? S’il m’a menti hier soir, il mentira de nouveau aujourd’hui. Je pourrais questionner ma mère mais ça ne ferait qu’ouvrir un gouffre devant ses pieds à elle, et ça l’obligerait à envisager que sa vie n’ait pas été ce qu’elle a toujours cru qu’elle était. » Devant le mutisme de son père, les doutes affleurent. Son père a-t-il pu, d’une manière ou d’une autre, être mêlé aux Aigles bicéphales et même, partager leurs opinions ?

Le récit va ainsi convoquer l’histoire ancienne pour éclairer le présent et ramener sur cette terre du Sud des États-Unis une justice trop longtemps ignorée par ses habitants, habitués à la ségrégation raciale. Pour mener à bien ce récit dantesque, Greg Iles, de sa plume brûlante, maintient un rythme tendu et pesant. Cette plongée dans l’histoire enfouie de l’Amérique permet d’exhumer ses vieux démons : du racisme structurel aux traumatisés de la guerre du Vietnam, la vision de Greg Iles n’est pas angélique mais dépeint la face sombre de ce pays. Vivement la suite !

Brasier noir

Greg Iles

Actes Sud

 

bandeau-dialogues-blanc

 

© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

A propos de Julien CASSEFIERES

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.