Alain Musset – « Station Metropolis direction Coruscant »

Et demain ? Comment habiterons-nous cette planète, ou une autre ?

Ainsi pourrait débuter « Station métropolis direction Coruscant » d’Alain Musset, nouvel opus de la collection « Parallaxe » des décidément dynamiques Le Bélial’, qui a pour projet, sous la direction de Roland Lehoucq (astrophysicien au CEA, enseignant à Polytechnique et Sciences Po et président du festival nantais des Utopiales, entre autres), d’offrir un abord ludique et dynamique à une discussion qui pourrait émerger entre la science-fiction et la science dans des domaines variés, en l’occurrence ici la géographie urbaine.

Et c’est peu dire que, de Fritz Lang à Georges Lucas (les deux villes du titre), en passant par la ville surpeuplée de Soleil Vert (et sa gestion toute personnelle de la surpopulation et des manifestations) ou la mégalopole humide de Blade Runner ou les cauchemars éveillés, qu’ils soient à l’échelle d’un immeuble (I.G.H.) ou d’un quartier (Sauvagerie) par exemple chez Ballard, les œuvres de SF offrent à première vue un magnifique exemple d’enseignement d’un cours magistral que l’on pourrait appeler « comment foirer sa montée démographique et exemples à ne pas suivre ».

  • Urbanophobie et pouvoir.

En montrant comment les auteurs de SF ne font que perpétuer une réflexion qui puise ses sources dans une urbanophobie séculaire (de Rousseau à Thoreau, puis Ovide qui ne supportait plus Rome jusqu’à la lointaine Babylone), Alain Musset les place alors dès le début de sa réflexion dans un continuum de penseurs à même de questionner non seulement les formes, mais la légitimité même de ce type d’habitats, au vue des disparités qu’il génère.

Tissant alors sa toile de la question du pouvoir et de l’argent, générant une structuration verticale reproduisant le faux ruissellement de la société (la seconde partie), interrogeant ensuite les limites et dérives qu’une telle concentration de pauvreté pourra générer (crimes, ghettos, économie parallèle, quartiers interdits ou murs de séparation) et son pendant classique de Surveiller et punir (une ville totalitaire, panoptique, où la liberté réduira peu à peu son emprise en laissant place à la « sécurité »), l’auteur se paye même le luxe d’une fin faussement radieuse qui, en prenant prétexte des rares exemples positifs d’architecture urbaine du futur, montre à quel point le seul espoir de réinvention passe par une tabula rasa, et un appel à la révolution des formes : non pas lutter pour le pouvoir et les derniers étages, mais tout faire péter, pour recréer.

  • Dystopie de demain, cauchemar d’aujourd’hui

La belle intelligence de l’ouvrage, c’est d’éviter chacun des écueils que l’on pourrait attendre d’un tel projet : ni trop l’un (la horde nerd), ni trop l’autre (l’amicale des géographes anonymes), il se tient à l’exact équilibre des deux pôles. En utilisant pour sa démonstration au maximum des ouvrages/œuvres connus de tous (ou du moins de quiconque lirait un tel livre et aurait donc a minima un mini tropisme pour la SF, filmique, bédéesque ou livresque), il utilise notre imaginaire pop (et notre expérience de citoyen actuel, dans ce monde en crise) pour nourrir immédiatement d’images mentales une réflexion qui paraitrait sinon par trop aride.

Pollution, sécurité, accès à l’eau, surveillance informatique : il passe alors en sautillant de Star Wars à Valérian et Laureline, de Ballard au film Time out ou Equilibrium, de Dan Simmons à Luc Besson et son 5e élément, en passant par Asimov, Fritz Lang, Kurt Vonnegut, Arthur C. Clarke ou même Jean-Christophe Ruffin, en les plaçant sous le regard ombrageux de Mexico, Rio ou Delhi (les futures grandes mégalopoles de demain).

Si on peut lui reprocher une sorte de ventre mou au milieu du livre, où les exemples finissent par s’accumuler en donnant la sensation d’un inventaire plutôt qu’une articulation (donc la pauvreté, cela se passe comme cela chez X, comme cela chez Y, mais aussi chez Z), ainsi qu’une forme de tropisme Starwarsien un peu écrasant où Coruscant vient sans cesse prendre le pas sur les autres exemples (oripeaux sans doute d’un ancien ouvrage de l’auteur titré « De New York à Coruscant, essai de géofiction », les fans de Lucas seront servis, les autres un peu laissés sur le côté à ces instants), on ne peut que saluer la victoire sur cette gageure : parvenir à rendre stimulant mais jamais abrutissant un sujet à première vue réservé aux décideurs (et aux amoureux de Sim City), et réussir à engendrer, en montrant, par des exemples que tous partagent par pop culture, à quel point s’y joue l’avenir non seulement du vivre-ensemble et du bien-vivre, mais simplement du survivre. Enjeu politique, enjeu de chacun : aux plans cadastraux, citoyens !

Editions Le Bélial’, 272 pages, 16.90 euros. En Librairie.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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