Souleymane Cissé – « O Ka – Notre maison »

Alors que le festival de Cannes 2009 bat son plein, entre l’effervescence de la compétition officielle, le champagne qui coule à flot et autres éblouissantes paillettes de la montée des marches, une œuvre passe inaperçue. Min Ye, le nouveau film de Souleymane Cissé, qui remporte pourtant le prix du jury en 1987 pour Yeelen au cours de cette même manifestation, suscite l’intérêt de bien peu de personnes. A tel point qu’il tombe dans l’oubli, ne sort dans aucune salle, n’éveille la curiosité d’aucun critique tandis qu’une rumeur évoque sa présence sur Youtube. Comme s’il s’agissait là de sa place. Un tel traitement – et ce n’est pas comme si les journalistes n’étaient pas au courant – donne une idée de la considération qui est accordé aux cinémas issus du continent noir. Pourtant, Souleymane Cissé s’avère un grand cinéaste, un homme entier et engagé, du genre à avoir fait de la prison à cause de l’un de ses films, Den Muso.

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Huit ans s’écoulent et le réalisateur malien, toujours aussi frondeur, revient avec un nouveau long-métrage, Notre maison. Pour la seconde fois, après O Sembène consacré à l’écrivain et cinéaste sénégalais Sembène Ousmane, il signe un documentaire. La maison du titre évoque aussi bien la propriété qui l’a vu grandir que le Mali, pays en proie à la guerre et au terrorisme. A travers l’histoire de ses quatre sœurs qui se retrouvent expulsées de chez elles au mépris des lois, Souleymane Cissé raconte ses souvenirs, ses premières envies de cinéma, comment celui-ci l’a influencé tout en questionnant l’évolution politique de son pays après l’indépendance. Selon lui, cette contrée s’éloigne de ses racines culturelles, renie ses traditions pour s’enfoncer dans la corruption. Le cinéaste décrit un système où l’argent achète tout, où la justice n’a plus cours.

Documentaire engagé, témoignage sur le Mali contemporain et œuvre introspective, Notre maison offre également une réflexion sur l’image, sur son rôle dans la construction d’un individu et d’un pays. Souleymane Cissé met en avant la culture de son pays, à travers des gros plans sur des statuettes durant le générique, et l’oppose à la corruption qui gangrène le Mali. A des images bucoliques et solaires sur des arbres, sur une nature paisible et luxuriante, il répond par des plans sur des rues étroites, des bars obscurs et bruyants dans lesquels se concluent des accords véreux. Authenticité contre mensonges.

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De cette guerre des images en découle une œuvre sur le cinéma, sur la place de la culture au sein d’une civilisation. En partant de l’intime, Souleymane Cissé évoque son parcours de cinéaste, revient sur le tournage de son film Yeelen dont quelques images du tournage sont insérées au début pour montrer à quel point la jeunesse doit tenir un rôle dans le développement du Mali. Dans une direction de la photographie similaire, il se pose alors en guide, en éducateur et son film d’aller vers la grande histoire, avec les conflits qui agitent le pays depuis plusieurs années.

Le filmage se partage ainsi entre intimité et plénitude, est traversé par un souffle épique, comme Yeelen, dans lequel les mythes et l’épopée fantastique se voient traiter avec une mise en scène naturaliste. D’ailleurs, le film souffre de quelques afféteries : maladroite utilisation de Also sprach Zarathustra de Richard Strauss sur l’installation d’un écran de cinéma dans la brousse ; une caméra qui tourne encore et encore autour d’un enfant en larmes accompagnée d’une voix off un peu pompeuse.

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Malgré cela, Notre maison reste un film riche et humain, qui replace les individus dans le récit. Souleymane Cissé arrive à filmer la détresse et la douleur avec beaucoup de pudeur. Ainsi, ce passage émouvant où une agent de police refuse de prendre part à l’expulsion des sœurs du réalisateur. Sous le discours social et politique, le cinéaste n’oublie pas de ménager quelques moments de poésie, de capter des visages, des dialogues qui donnent à cette histoire d’expropriation et de malversation une dimension quasi-tragique.

Souleymane Cissé, un des premiers conquérants du cinéma africain encore en vie, porte entièrement ce film sur ses épaules avec sa société, Les Films Cissé. Même si les productions maliennes se font rares sur grand écran, il apporte ainsi la preuve qu’un autre point de vue est possible sur ce que traverse actuellement le Mali, qu’un cinéma malien original et rétif au pouvoir en place et aux images venues de l’extérieur existe.

Notre maison
(Mali – 88min – 2017)
Titre original : O Ka
Scénario et réalisation : Souleymane Cissé
Directeurs de la photographie : Xavier Arias, Fabien Lamotte, Thomas Robin, Hamady Diallo
Dans leur propre rôle : Magnini Koroba Cissé, Aminata Cissé, Badjénèba Cissé, M’ba Cissé, Souleymane Cissé…
En salles, le 6 septembre 2017.

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