La guerre, monstre invisible placé hors champ, pèse sur le quotidien des habitants calfeutrés dans le grand appartement : explosions et tirs isolés rythment le quotidien de la famille dont le refuge précaire parvient à peine à apaiser les peurs. Repliée sur elle-même, la tribu tente de survivre et de préserver un semblant de normalité. Malgré les pénuries de nourriture et d’eau, il s’agit de continuer à tenir le coup.

Toute tentative de sortir de l’immeuble, et parfois de la cuisine, expose celui ou celle qui s’y aventure à tous les dangers. Afin d’évoquer la guerre, Philippe Van Leeuw choisit d’en revenir à l’individu, victime lambda d’un conflit qui le dépasse. Plaçant la survie et le besoin de préserver les rituels essentiels (repas, toilette, coucher) au cœur de son récit, il déroule le fil d’une journée dont les repères, bousculés par les agressions extérieures, menacent de s’écrouler.

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Oum Yazan, mère de famille dont le mari est absent, veille sur ses enfants, son beau-père et un couple de voisins accueillis dans le vaste appartement. Pilier du groupe, elle tente de maintenir un équilibre fragile, se taisant parfois, allant jusqu’à mentir pour préserver la cohésion de la communauté.

La caméra, souvent portée, sensible au langage des corps, suit les déplacements dans de longs plans séquences et construit un théâtre d’ombres dans l’espace circonscrit des pièces de vie. De grands rideaux masquent la lumière vive venant du dehors, les silhouettes se découpant dans des clairs-obscurs subtils. De l’extérieur parviennent les déflagrations, les émissions de radio captées sur internet, les appels téléphoniques quand il y a du réseau.

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Philippe Van Leeuw parvient à déployer son récit dans le cadre contraignant qu’il se fixe. La première scène, presque attendue mais essentielle, marque le début d’un lent dérèglement de la journée et place chacun face à l’inconnu : tout ce qui participe à l’équilibre fragile du quotidien peut être détruit à la minute prochaine. Il faut alors vivre chaque instant, surmonter chaque difficulté, résoudre chaque problème pour pouvoir vivre le suivant.

Le film résonne d’une tension sourde. Anxiogène et angoissant, il s’autorise de courtes poses, respirations essentielles pour chaque personnage (la mère s’allongeant sur la grande table fraîche, le grand-père marquant sa tendresse pour le petit fils, le cousin flirtant avec sa cousine, la domestique se passant de l’eau sur le visage…), avant de reprendre le fil du réel.

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Une famille syrienne illustre la souffrance des civils au milieu de combats qu’ils ne comprennent plus. Premières victimes du conflit et de ses dommages collatéraux tout en menant la lutte pour la survie, les femmes se trouvent souvent en première ligne : le film rappelle que le viol est une arme de guerre.

Composé principalement de syriens et mené par la palestinienne Hiam Abbass, le casting fonctionne comme une troupe et illustre l’approche théâtrale du réalisateur. La fiction, dans sa démarche de composition, maîtrisant un déroulé narratif subtil, parvient alors à rendre compte du réel avec une acuité qui en multiplie la puissance.

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