Promesse du cinéma indépendant outre-atlantique avec son premier long-métrage, Moi, toi et tous les autres, qui obtint la Caméra d’Or au Festival de Cannes, également romancière et artiste plasticienne, l’américaine Miranda July, signe son troisième film en quinze ans. Peu « aimable » au premier abord – c’est à dire autant que son héroïne – Kajillionaire constitue une proposition atypique qui derrière un vernis d’humour et de décalage recèle une grande sensibilité et des propos forts. On y suit la trajectoire d’une jeune femme, Old Dolio (nous vous laissons le soin de découvrir l’origine de ce patronyme) qui s’ouvre peu à peu à la vie et à la liberté.

© 2020 Focus Features, LLC. All Rights Reserved

Car Old Dolio apparaît d’emblée comme un personnage en décalage total avec son environnement. Une scène d’ouverture à l’humour grinçant nous donne des pistes parlantes : la jeune femme est la complice (ou le jouet) de ses parents dans l’exécution d’arnaques, vols, jeux concours et autres demandes de récompenses destinés à faire rentrer un peu d’argent  dans la tirelire familiale. C’est leur occupation constante, quotidienne, menée à la fois par nécessité (même si le local leur servant de logement est régulièrement inondé par l’entreprise voisine propriétaire, ils ont un loyer à payer) et par une pingrerie hallucinante. Mais cette famille n’en a que l’appellation et si on ignorait que Old Dolio était la fille de Theresa et Robert on penserait qu’elle est leur associée et certainement pas leur fille. Aucun lien, aucune chaleur entre eux, juste une vie de combines, de marchandage et d’absurdité.

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Old Dolio traîne manifestement une déprime aussi ample que son survêtement informe dix fois trop grand pour elle, obtempère à contrecœur auprès de ses parents, ignorant, dans toute sa naïveté, qu’un autre mode de vie est possible, qu’un autre type de relation humaine existe et qu’elle possède un libre-arbitre. C’est la dimension la plus émouvante de Kajillionaire, sorte de transposition du mythe de l’enfant sauvage dans notre civilisation contemporaine. Particulièrement bien écrit et construit, le film parvient à savamment ménager son évolution de la comédie au drame, en se concentrant d’abord sur la vie quotidienne du trio et son rapport humoristiquement exagéré à l’argent (fait étonnant, cet aspect est traité sans que l’on associe Old Dolio et ses parents à des personnes subissant la pauvreté, car ce sont plutôt les traits de caractère égoïstes et sans gêne des parents qui sont mis en avant), avec des scènes drôles et décalées, puis en égrenant les grains de sable qui font tout dérailler et qui ouvrent la voie à Old Dolio et au bouleversant affranchissement dont elle va faire la conquête.

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Evan Rachel Wood est édifiante dans le rôle de cette jeune femme chrysalide que les événements aident à devenir papillon. Maladroite, souvent inexpressive ou mutique, elle laisse affleurer des émotions, des pensées, des désirs un peu bruts et candides que l’on croiserait plutôt chez un enfant, mais qui lui enseignent qu’elle est un être humain doué de sentiments, et que la vie qu’elle a menée jusqu’à maintenant est très étroite et triste comparé à ce que le monde et les autres ont à lui offrir.

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Son guide sera Mélanie (brillante Gina Rodriguez), une jeune porto-ricaine tout d’abord présentée comme gentiment superficielle, avant qu’elle n’incarne progressivement l’intelligence du cœur dans ce qu’elle a de plus fin et de plus vrai. On engrange ainsi une somme de petits moments, d’attitudes, de phrases, qui nous amusent, nous glacent – et parfois même les deux à la fois, comme cette séquence incroyable du vieux monsieur mourant que Old Dolio aide à partir – et que l’on place dans notre petit sac de spectateur, avant que tout fasse sens avec une limpidité et une beauté désarmantes et que l’on plonge la tête dans ce sac où tout était là, épars, prêt à éclore. Kajillionaire est surprenant de bout en bout, atypique et universel, audacieux, évident. Old Dolio fait maintenant véritablement partie de la famille : lumineuse.

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A propos de Audrey JEAMART

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