Réalisé, produit, écrit et interprété majoritairement par des femmes, On the Go résonne comme un écho lointain au roman culte de Jack Kerouac, On the Road (Sur la route), manifeste de liberté et d’aventure pour toute une génération éprise de grands espaces. Le temps passe et le refrain est toujours identique avec quelques variantes : il s’agit bien de tailler la route, de fuir le confort d’un système étouffant, et aussi – autre temps, autre mœurs – de repenser le féminisme à l’aune de notre époque. La référence revendiquée des deux réalisatrices est à chercher du côté d’un film underground espagnol du début des années 80, Corridas de Alegria de Gonzalo Garcia Pelayo, drôle de zèbre surtout connu comme joueur de casino qui lui a permis de devenir un homme  riche. Ce road-movie transgressif, réalisé en pleine période « movida », sur l’amitié et les désillusions amoureuses, sert de modèle à On the Go, joyeux foutoir excentrique qui rappelle par intermittence La Fille du 14 Juillet d’Antonin Peretjako, sans aller aussi loin dans l’absurde.

On the Go

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Les codes d’un sous-genre fantasmé par les beatniks et les hippies sont revisités, transposés quelques décennies plus tard dans l’Espagne contemporaine, au sein d’un récit pittoresque qui en reprend tous les tropes. Un cinéma de la marge qui revendique haut et fort ses imperfections, ses dérapages incontrôlés, son aspect art brut et ses digressions surréalistes. L’histoire, ténue, construite comme un happening pelliculé, ne s’embarrasse d’aucune vraisemblance, ni développement inutile. Milagros, 37 ans s’interrogent sur sa fertilité, sur son désir d’être mère ou non. Sans réfléchir, elle emprunte (ou vole) la vieille Chevrolet de son père pour un périple à travers l’Andalousie. Elle embarque avec elle son ami gay, Jonathan, qui vient de foutre le feu à un bar. Tous deux croisent dans un seaquarium une jeune femme étrange d’origine asiatique (irrésistible Chacha Huang) qui prétend être une sirène. Et comme toutes les sirènes, elle a besoin d’eau et elle sent qu’elle dessèche.  La fine équipe file droit vers la mer pour une mini-odyssée inattendue et décapante, sillonnant l’Andalousie entre Séville et Cadix, rythmée au son d’une BO endiablée, fortement épicée de flamenco. On y croise, au gré de rencontres fantasques, un conducteur homophobe, un artiste au corps de rêves, des flics qui se font subtiliser leur arme, envoutés par le cri de la sirène etc.

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Maria Gisèle Royo et Julia de Castro, qui interprète également Milagros, parviennent à s’affranchir des clichés et des conventions pour livrer un film libertaire, sexy et drôle, audacieux et charmant qui ose la confrontation d’idées contraires perturbant le cheminement des personnages. La jeune sirène rêve d’une vie très rangée, tandis que Milagros porte en elle le désir de devenir mère. La subversion passe par la grande ouverture d’esprit de cinéastes portant un regard complice envers ces marginaux magnifiques. L’intelligence de cette petite production indépendante tient avant tout à l’ambivalence des personnages, tiraillés entre le non-conformisme et la fuite en avant anarcho-punk et une envie secrète de se ranger, liée à des injonctions économico-sociales. Ce déchirement entre des pôles contraires établit une connexion directe avec le spectateur.

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Tourné dans l’urgence en16 mm avec des moyens très limités (moins de 75 000 euros), On the Go, tire le meilleur parti de ses défauts, à commencer par un manque de rigueur formel, où des plans sophistiqués se juxtaposent à un filmage désordonné caméra à l’épaule dans une lumière naturelle, procure un plaisir immédiat, une euphorie éphémère, celle d’un conte féministe et camp, traversé de visions oniriques, d’un humour dévastateur et d’une mélancolie insidieuse qui rappellent les premiers pas de Pedro Almodovar. Le tout en moins de 75 mn.

(Espgne / 2023) de Maria Gisèle Royo et Julia de Castro avec Julia de Castro, Omar Ayuo, Chacha Huang

 

 

 

 

 

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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