Mathias Renou, la vingtaine, empoigne sa caméra. Son projet : dans la veine du cinéma vérité, filmer sur le vif son père, Serge Renou, et ses rocambolesques facéties. Il lui offre le rôle de sa vie, un rôle que le cinéma lui dénie, sur fond de crise familiale et de rupture conjugale. Il n’entend faire aucune concession à la réalité et traque sans relâche ses parents dans leur quotidien. Les scènes de ménage abruptes et les frictions entre fils et mère tranchent avec les moments de tendre complicité entre Mathias et son père.

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Copyright : Cinéma Saint-André des Arts

Premier long-métrage de Mathias Renou, Mon père en grand est un film auto-financé et auto-produit. Tourné à l’aide d’une caméra de reportage, avec un budget de 50 euros, il n’est certes pas sans défauts – c’est notamment le son, aspect technique le plus délicat à manier, qui souffre de quelques frictions… et encore, on ne saurait s’y arrêter. L’intérêt du film réside surtout – et ô grand merci, cette sortie hors des sentiers battus – dans l’originalité de sa facture. Petit bijou de facéties, Mon père en grand brouille les frontières entre la fiction et la réalité. Façon cinéma-vérité, d’abord, le film postule comme sujet un documentaire familial. Alors que le père et le fils à l’écran le sont aussi dans la réalité, le rôle de la mère est dévolu à deux actrices. Mathias et Serge incarnent le lien, garant de véracité, entre deux degrés d’une narration enchâssée, éclatée dans la figure double de la mère. Elle est jouée par Marie Rivière dans le récit cadre et campée par Alix Schmidt dans le récit imbriqué. L’effet de mise en abyme vient habilement contredire le postulat de départ (filmer la réalité), déjoué par la fiction, laquelle recourt constamment à la rupture de l’illusion, entre regards-caméra et invraisemblances narratives. Plus que du réel ou de la fiction, le film évoque une scène fantasmatique, accomplissement de désirs réprimés par la réalité.

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Copyright : Cinéma Saint-André des Arts

Si le film met en scène le père comme figure de premier ordre, adulée et chérie, il n’en est pas moins dédié à la mère du réalisateur, tendrement honnie. Omniprésentes, ces deux figures sont à la fois encombrantes et fascinantes. Le père émerge comme un modèle étrange, dans une sorte de généalogie inversée, puisque c’est le fils qui tient la caméra (on ne voit jamais Mathias), le fait acteur et consacre son talent. Plus encore, dans cette inversion, le fils s’affiche comme double du père : il s’identifie à la cause paternelle, épingle les errances maternelles et fait campagne pour réhabiliter le mari trompé et l’acteur dédaigné. Là où l’identification joue à plein, c’est pour mieux souligner la duplicité des postures d’amour et de haine : car le double du fils, c’est tout autant l’amant de la mère, ce jeune étudiant en lettres (Adrien Buzenet) – rival qu’il faut éliminer et sortir du cadre. Et cela, pour mieux maintenir le père dans une position d’exception, qu’il faut par la même occasion « tuer » afin de s’affirmer soi-même tout en restant dans l’invisibilité. Le film déploie ainsi une véritable scène oedipienne, jouant sur la structure du Doppelgänger, à grands renforts de clins d’œil à Hamlet et à Freud, quand ce n’est au film noir et à ses scènes de complots meurtriers.

Certes novice dans l’art cinématographique, Mathias Renou n’en mène pas moins une réflexion intelligente sur le cinéma. On verra des références à la Nouvelle Vague, au western, au road-movie et à la comédie de remariage. Si l’enjeu affiché est celui de la transmission et de la dette filiale, le véritable sujet est le cinéma et la façon dont il reconstruit le réel à travers l’optique de la caméra. Une fois le souci de vraisemblance accepté puis évacué, place faite au lyrisme – un lyrisme nocturne, proche du romantisme, avec des séquences tournées en forêt, dans un décor de campagne, ou encore au bord d’un lac. Et ce lyrisme coexiste avec un esprit potache, un sens de la blague et du burlesque, portés par la complicité de Serge Renou et de son fils, tandis que Mathias et sa mère jouent de la gravité et du sérieux dramatique. En face de la sobriété et de la spontanéité de Marie Rivière, le père navigue entre idéalisation excessive et dégradation burlesque. Et aux alentours, gravitent ces jeunes comédiens graciles, qui incarnent des personnages en quête d’intimité clandestine : Alix Schmidt, dans le rôle de la mère – tellement plus délicate que son mari de Serge -, et Adrien Buzenet dans celui de l’amant ingénu, qui ont pour eux l’amour en partage. Filmés de près, ils évoluent avec un grand naturel et endossent efficacement leur rôle de repoussoir face à ces autres héros dans l’ombre desquels Mathieu (le fils) cherche à les tenir, alors qu’ils le tourmentent de leur entente et de leur jeunesse. On verra donc, surtout, beaucoup d’humour dans ce film, qui voue en fait une très grande tendresse à des figures parentales – ou rivales -, dont il faut se délester Et qu’y a-t-il de mieux que de les voir comme des rôles – des emplois, comme on le dit des personnages de théâtre – dont la force est liée à la pure fonction dramaturgique qu’ils occupent.

Copyright : Cinéma Saint-André des Arts

On retiendra un beau sens de la mise en scène, du cadre et de la lumière, qui mettent délicatement en valeur ces parents terribles, notamment dans le recours au clair-obscur. On retiendra aussi quelques expérimentations audacieuses dans le choix de la bande-son et dans l’accélération de l’image (parfois, on songe aux univers domestiques de Xavier Dolan et à son recours surprenant à la musique populaire). On retiendra surtout le très beau finale, qui prend de la hauteur sur le film : un moment de méditation cinématographique mené en voix-off. Alors oui, on peut reprocher au film de Mathias Renou bien des aspérités, comme un usage un peu abrupt du zoom ou des maladresses sur les raccords de plans. Mais ces imperfections ne nuisent en rien à la poétique très singulière de Mon père en grand, héritier du Jonathan Caouette de Walk Away Renée, et frère cadet des univers émotionnellement tendus d’un Xavier Dolan, entre père et mère, auxquels il ajoute une belle touche de dérision distanciée.

Durée : 1h30

Sortie : le 9 novembre au Saint-André des Arts

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