C’est quoi la famille?

Ici elle se réduit à peau de chagrin, à un père et à son fils, relation sanguine et conflictuelle qui détermine tout l’enjeu de ce film âpre et sobre, permettant de découvrir un cinéaste, Gustavo Rondón Córdova, dont c’est le troisième long métrage.

Le début évoque furieusement le merveilleux film de Luis Buñuel, Los Olivados. Le cinéaste braque sa caméra dans les rues mal famées et chaotiques de la banlieue de Caracas. Il filme sans fioritures et démagogie l’errance d’une bande de pré ado livrés à eux mêmes, et s’attarde sur l’un deux,Pedro, petite frappe de 12 ans au regard délinquant en herbe dur, fermé, connaissant davantage les lieux de perdition que les bancs de l’école. Une virée nocturne en boite de nuit, suivie d’une partie de jeux vidéos pourraient laisser craindre le pire, soit le portrait consensuel d’une jeunesse à l’abandon dans une ville gangrenée par la misère et le crime organisé.

Le père de Pedro, Andrès, apparaît sous le regard de son fils qui l’observe,mutique. En deux plans, le réalisateur capte l’incommunicabilité prégnante qui se cristallise autour de ces deux figures classiques du cinéma. Un père distant mais présent qui se tue au travail, cumulant les petits boulots ingrats pour s’en sortir sous le regard parfois cruel de son fils qui rêve certainement d’un avenir meilleur.

La familia : Photo Reggie Reyes

Copyright Tamasa Distribution

Et puis le drame surgit. Un garçon du quartier menace Pedro et sa bande avec un flingue. La séquence, tendue, est remarquablement filmée, caméra au poing,avec une énergie salvatrice et doublée d’une absence de complaisance. Plutôt que de montrer l’irréparable, Gustavo Rondón Córdova mise sur la sobriété, le refus du spectaculaire, en filmant hors-champ la violence, ne montrant pas le moment où Pedro plante un bout de verre dans le ventre du garçon.Ce dernier déambule dans a rue rencontrant alors Andrès désemparé, tentant alors de l’aider jusqu’à l’instant fatidique où il voir arriver son fils ensanglanté: il comprend dès lors la portée de la situation. Pour sauver leur peau d’une vendetta, le père et le garçon prennent la fuite, et se cachent là où ils peuvent être accueilli.

Toute cette longue introduction, immersive et passionnante, résulte d’un impressionnant sens du découpage et de l’ellipse, de la narration allant à l’essentiel, maîtrise du style caméra à l’épaule saisissant l’urgence, refus de la musique. Il est dommage que le film ne poursuive pas cette voie, lui imprimant une authenticité proche du documentaire dans ce qu’il a de plus noble,baignant dans une lumière vive et crue. Après cette entrée en matière estomaquante, le film va emprunter une voie plus prosaïque vers un scénario à l’écriture ténue et classique, invoquant davantage de fiction mais aussi de conventions.

La familia : Photo Giovanny García, Reggie Reyes

Copyright Tamasa Distribution

Les rapports conflictuels entre père et fils vont forcément, petit à petit se résorber, ils vont apprendre à se connaitre. Cette dimension plus consensuelle évite néanmoins le sentimentalisme, La familia restant digne, ne s’enlisant pas dans des situations psychologiques et démonstratives. Les dialogues s’en tiennent à leur caractère informatif. Les personnages existent à l’écran par leur présence animale, très physique, toujours sur le qui-vive,apportant beaucoup de crédibilité à ce drame social. Leurs affrontements sont comme des uppercut entre leurs brefs échanges verbaux très crus et leur manière de se dévisager comme des inconnus.

La familia dresse aussi en filigrane le portrait convaincant d’un système paranoïaque, bâti sur la répression individuelle, où tout un chacun se méfie de son voisin, où personne ne tend plus la main à l’autre. Le réalisateur filme une déshumanisation, une désolidarisation des pauvres entre eux. Dans une métropole où la violence est devenue quotidienne, où la peur est normalisée, banalisée,considérée comme une émotion inhérente à la nature humaine et surtout comme constamment présente. En dépit de quelques facilités narratives, ce road movie instable émeut, récit d’une fuite permanente mais aussi du rapprochement entre deux êtres.

La rigueur de la mise en scène, derrière l’apparente facilité d’un naturalisme hérité du formidable Pixote d’Hector Babenco, doit beaucoup à la réussite de ce petit film modeste et sans concessions.

 

 

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Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

 

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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