Delphine Girard – « Quitter la nuit »

Une nuit, Anna, opératrice au numéro d’urgence de la police belge, reçoit un appel. Croyant d’abord à un faux numéro, elle comprend très vite que la jeune femme qui vient de la joindre est en danger. La victime parle à mots couverts. Elle est en voiture, vers on ne sait où, et elle a sans doute été violée. Si la scène trouve une conclusion, il faudra aussi vivre avec ses stigmates. Pour Aly, la victime présumée, pour Anna, que l’appel vient briser en faisant remonter un trauma longtemps enfoui. Et pour Dary, l’ami, accusé du viol.

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C’est alors un film étonnant, bin qu’imparfait, qui s’ouvre, dans ce premier long métrage de Delphine Girard. Oscillant entre le thriller (Dary a-t-il violé ?) et l’étude sociologique, il construit, à travers ces différentes trajectoires, une zone grise assez stimulante : Dary peut-il avoir transgressé, lui, le pompier au casier vierge et n’ayant jamais fait preuve de violence ? Aly peut-elle mentir, quand on constate qu’elle n’a pas le comportement exemplaire attendu des victimes, et qu’elle prend même une douche à son retour, rendant impossible toute identification ? Y avait-il consentement, puisque tous deux semblent admettre qu’il y a eu acte ?

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En retravaillant en échos sa séquence d’origine (où la parole déjà, était masquée puisque Dary était présent), quitter la nuit, film plutôt classique au demeurant dans sa réalisation, propose alors une réflexion dynamique sur ce qui peut se dire, et surtout s’entendre. Sur la parole accueillie ou questionnée. Sur le besoin de la société d’assigner à chacun des rôles face à ces situations, quitte à enfermer les protagonistes dans une impossibilité (Aly est-elle une menteuse ou son silence dit-il simplement son impasse à transmettre avec justesse ? Pourquoi ne pleure-t-elle pas ? Pourquoi ne « joue » — t-elle pas le personnage de martyre que l’on attend d’elle ?)

(spoiler) Mieux, en déployant son indécision, il ouvre à la perspective d’une réconciliation ou d’une issue : Dary, nous l’apprendrons trop tardivement, a violé Aly, sous le coup de l’alcool. Mais Dary n’est pas un homme « mauvais ». Il l’est par cet acte, mais ce n’est pas sa définition unique, et ce viol, sans doute isolé dans son parcours, est le signe d’une violence dont il est à la fois acteur et victime. Il cherche alors à s’expier. Et Aly de lui répondre : « ce n’est pas acceptable que tu ne saches pas pourquoi tu as fait ça ». Il y a, dans cette phrase, tout l’horizon du film : dire, ce n’est pas simplement excuser. C’est comprendre, analyser, creuser les racines du mal. (fin spoiler)

Tout le film tend vers cet instant de rachat, du processus de cautérisation impossible des plaies, de l’incapacité d’acceptation, par les différentes parties comme par le monde.

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On ne saisit alors pas pourquoi, de cet incident dramatique du viol, le scénario fait le choix d’en générer un suspens au mieux artificiel, au pire assez déplacé vu son propos. La scène originelle se trouve ainsi saucissonnée en micro-séquences qui chacune en révèlent un peu plus, mais ne cessent de repousser la vérité, comme une étonnante carotte malvenue.

On ne saisit pas vraiment non plus pourquoi arrive si tard, dans un dénouement qui ne cesse de conclure et se vautrer dans des images (les filles qui dansent entre elles=sororité ?) ou des démonstrations (la grande séquence de retrouvailles entre Anna et Aly) qui s’étalent dans une sucrosité étrange, les croisements de trajectoires des trois personnages principaux.

En détournant la vigilance vers cette unique résolution, il amenuise la réflexion, des spectateurs comme des protagonistes, puisqu’ils recevront la révélation au même instant (Daryl, en entendant la bande au tribunal, lance la scène mentale du souvenir du viol).

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Dommage : d’un film gris, où chacun fait comme il peut face au drame, il devient un film à thème, un film-débat, certes extrêmement stimulant (en témoignent les nombreuses discussions post projection, que cela soit au sein de la presse ou avec les spectateurs, sans parvenir à véritablement circonscrire les personnages), mais qui empêtre un peu ses sublimes ambitions et son enjeu.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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