Le laid doit constituer ou pouvoir constituer un moment pour l’art (1) .

Antoine Desrosières signe «  un film » empli de laideur. Mais une laideur qui en rien ne serait l’envers du beau et constituerait au même titre que lui le tissu de l’art. « Sexualité »(2), « violence »(3), « réalisme social »(4) et « dissonance »(5) ne libèrent en rien « des valeurs puissamment esthétiques »(6). Pourquoi ? Parce-que cette impression immédiate de laideur que donne A genoux les gars est autre chose : le tissu du «  film » est en réalité celui de la vulgarité. 

Vulgarité formelle d’abord. Une écriture d’une pauvreté assez remarquable. Nulle impertinence d’ailleurs mais plutôt une incorrection de la forme. Le «  film » ressemble à un montage de vidéos de youtubeurs mises bout à bout, ayant ses règles et sa «  rhétorique » que l’on pourrait résumer en une économie de la distraction ( l’affichage des sms plein écran dans une salle de classe est éloquent). Les dialogues sont à la hauteur de la pauvreté formelle. Est-ce véritablement rendre grâce à ces jeunes filles victimes de chantage à la sextape et de harcèlement sexuel qui ne dit pas son nom de les réduire à une parole ( qui se veut pourtant au cœur du film) : «  wesh, frère, gros » ? Et c’est là qu’apparaît alors ce qui est le vrai scandale du film : Desrosières fait des abus dont sont victimes ses personnages féminins un marivaudage. Imposer une pipe ? Un truc de gosses. Si l’une affirme au début du film , «  l’important c’est pas ce qu’on fait, c’est ce que ça me fait », espérons que personne ne retienne cet aphorisme, pour le moins ambigu, s’agissant d’un viol. Les filles, contraintes de faire des fellations à leurs partenaires- l’une afin que le petit ami de sa sœur ne lui soit infidèle préfère se mettre «  à genoux » devant lui afin de satisfaire sa jouissance – n’ont de cesse malgré tout de minimiser un acte sexuel au final non consenti. Elles excusent même à demi-mots ces garçons, des salauds complètement stupides. Et si elles ne résistent pas, pourquoi ne pas ajouter : ne l’ont-elles pas un peu cherché ? Ou sont-elles vraiment trop bêtes ? 

Haramiste (2014) nous avait paru culotté, osé dans sa manière de balayer les idées reçues, en mettant en scène deux jeunes femmes musulmanes (déjà Inas Chanti et Souad Arsane) parlant librement sexualité, au delà des clichés. Avec A Genoux les gars la méthode Desrosières s’écroule, troquant la subversion contre l’obscénité. Son regard est celui d’un œil qui jouit du viol, se délecte du spectacle de jeunes femmes se démenant avec leurs partenaires. La caution de la co-écriture du film par les deux actrices en devient d’autant plus perverse (et désagréable), car elle en légitime en quelque sorte l’irresponsabilité, elle l’excuse par la candeur juvénile. La faute n’incombe certainement pas à Inas Chanti et Souad Arsane qui ont mis leur écriture au service du voyeurisme d’un cinéaste. A genoux les gars apparaît donc comme un exercice de manipulation pure et il y a de quoi s’étrangler lorsqu’on l’entend qualifié de premier avatar du mouvement #metoo où que Desrosières définit son oeuvre comme féministe voire préventive contre les abus sexuels, tant son contenu est à mille lieues de son discours. Faut-il désormais un mode d’emploi pour appréhender une oeuvre, qui ne peut se suffire à elle-même ?

Certes, elles finissent par se venger en mettant cette fois les gars à genoux. Mais «  le film » ne dit pas clairement que le harcèlement de ceux-ci  est grave, il leur accorde même des traits d’esprit, enfin version banlieue c’est-à-dire qu’ils sont capables de faire des vannes tout en demandant une fellation.  Pire, il installe un rire de connivence plus qu’embarrassant avec les harceleurs. Ben voyons, ça n’est pas si grave et ne soyons pas bégueules, rions avec eux !

Or,

L’art doit faire son affaire de ce qui est mis à l’index en tant que laid, non plus pour l’intégrer , l’atténuer ou le réconcilier avec son existence par l’humour, qui est plus repoussant que toute chose repoussante, mais pour dénoncer dans le laid le monde qui le crée et le reproduit à son image (7)

Et là quelle est la dénonciation à l’oeuvre ? La vision caricaturale des banlieues en dé-complexifie tous les enjeux, frise le mépris, entretenant une complicité douteuse avec la médiocrité. L’art ne peut ériger la vulgarité en loi formelle au risque de se perdre dans l’impuissance, et pire encore dans l’ambiguïté.  

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  1. Adorno, Théorie esthétique, Klincksieck, Edition Translation, juin 2011.
  2. Ibid
  3. Ibid
  4. Ibid
  5. Ibid
  6. Ibid
  7. Ibid

Crédit photos Copyright Les films de l’autre cougar

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