Quel plaisir de soutenir le jeune cinéma français ! C’est en effet toujours un bonheur lorsque s’offrent à nos yeux un regard neuf, un style personnel, une vision du monde originale, une fraîcheur, une honnêteté sans concession vis-à-vis de ses personnages et des spectateurs qui auront le plaisir, l’honneur et l’audace de plonger dans cet inconnu fondateur du septième art hexagonal de demain. Malheureusement, Entre les vagues, second film de la jeune réalisatrice Anaïs Volpé, est loin de posséder toutes les qualités recensées ci-dessus, cultivant en son sein une stratégie narrative assez systématique et franchement malsaine envers ses protagonistes qui rend ce long métrage quelque peu antipathique.

Cette stratégie est celle dite «  de l’ascenseur émotionnel », très simple à expliquer et à comprendre : vous plongez vos personnages (et du même coup vos spectateurs) dans une situation pour mieux la retourner dès l’instant suivant afin de créer un effet de choc et d’exacerber artificiellement les sentiments sur l’écran et dans la salle par son allure de twist affectif. Nous pouvons décliner cette stratégie de « l’ascenseur émotionnel » à tout ce qui implique de la relation humaine, en incluant cette présente chronique qui s’est permis d’exemplifier la cruauté de l’effet produit par son démarrage trompeur. Car il y a en effet quelque chose de cruel dans cette façon de ménager la chèvre et le chou, d’alterner sciemment la douceur des joies et réussites avec la dureté d’airain de la réalité ; Entre les vagues repose émotionnellement sur l’effondrement progressif des espoirs que le film parsème tout au long de son récit, et semble se délecter des coups de massue que ses diverses ruptures semblent produire.

Amitié cocasse (D. Lukumuena ; S. Yacoub) (©KMBO)

Le démarrage est pourtant prometteur : Alma et Margot sont deux amies apparemment inséparables ; elles sont comédiennes en herbe, courent les mêmes essais et les mêmes castings, ne trouvent pas de rôles, galèrent dans une vie un peu médiocre. Mais la chance sourit à ceux qui ont l’audace et la patience : les deux jeunes femmes sont simultanément choisies pour interpréter la pièce de théâtre contemporain d’une dramaturge italienne, Kristin (Sveva Alviti), Alma dans le rôle principal, Margot assistant aux répétitions comme doublure.

Le synopsis s’arrêterait là, nous serions convaincus : le récit de leurs galères, de leur difficulté à percer et des flux et reflux de confiance que tout cela provoque chez les jeunes comédiennes peut alimenter un long métrage de façon conséquente. Cette première partie est par ailleurs plutôt enlevée, amusante, assez enthousiasmante malgré son énergie mal canalisée, son agitation un peu épuisante mais à la fraîcheur juvénile indéniable. Cependant, cela semble ne pas suffire pas à Anaïs Volpé qui, en une séquence lapidaire, jette son film dans la dépression plombée du mélodrame lacrymal, donnant alors l’impression qu’elle voudrait cocher toutes les cases possibles : après la légèreté, le poids ; après le rire, les larmes ; après les sourires frais et francs de ses actrices, leurs yeux mouillés remplis de peur et de faux espoirs. Le premier « ascenseur émotionnel » se trouve dans cette césure, dans ce basculement soudain qui ressemble de près ou de loin à une volonté de prendre le spectateur au piège, de le lester sur son siège tout en lui faisant oublier qu’il était quelques minutes auparavant capable de rire, ou en le rendant honteux d’avoir pu éprouver de la joie.

Amitié sombre (D. Lukumuena ; S. Yacoub) (©KMBO)

Et Entre les vagues de faire de cette brutalité du chaud et froid soufflés en alternance son programme visant au choc thermique continuel, tentant de trafiquer quelques espoirs qui permettraient la résolution de situations apparemment insolubles et l’aboutissement du destin de ses héroïnes pour les mieux détruire dès la séquence suivante, se repaissant parfois de façon vraiment complaisante de la douleur que provoque cette cruelle descente. En plus de permettre toutes les facilités mélodramatiques possibles et imaginables, la méthode n’est pas très honnête, la réalisatrice-scénariste instrumentalisant ses personnages, leurs interprètes, leurs pleurs et leur talent indéniable pour en faire des marionnettes du malheur, cherchant à prospecter à moindre frais les larmes amères d’un spectateur résolument manipulé et en droit de penser à un moment donné qu’il s’est fait berner.

De ce film contestable et énervant, nous sauverons son binôme d’interprètes, Déborah Lukumuena (actrice actuellement très présente sur les écrans) et, surtout, l’intense Souheila Yacoub (précédemment vue dans le Climax de Gaspar Noé et chez Philippe Garrel dans Le Sel des larmes). Leur présence, leur façon de se donner corps et âme, de donner du corps et de l’âme à un récit qui ne les mérite pas vraiment rendent Entre les vagues un peu plus supportable. Le film d’Anaïs Volpé reste cependant une œuvre aux intentions suspectes et déplaisantes.

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A propos de Michaël Delavaud

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