Déjà remarquée aux festivals de Venise et Clermont-Ferrand pour ses courts-métrages, Amanda Nell Eu passe pour la première fois au format long avec Tiger Stripes, un conte fantastique moderne et contestataire. 

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Quelque part en Malaisie, dans les années 2020. Zaffan, 12 ans, voit son corps se transformer bien au-delà des effets de la puberté. Rejetée par les autres et terrifiée par les changements qu’elle perçoit en elle, la jeune fille devra apprendre seule à connaître sa vraie nature. 

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Pétri de références allant des contes populaires et superstitions malais au cinéma de genre (et surtout de monstres) des années 80 et s’inscrivant directement dans le sous-genre très actuel du « récit fantastique d’émancipation », Tiger Stripes est un objet filmique imparfait mais surprenant.
D’un côté il déroule une intrigue sans surprise, appliquant les archétypes d’un récit de construction adolescente dans l’air du temps en en respectant scrupuleusement étapes et symboles : le fantastique comme miroir de la pulsion et de la libération face à une société patriarcale oppressante. La fameuse question d’un cinéma « nécessaire » dans sa rébellion mais devenu routinier dans sa structure reste ouverte. Peu d’originalité, donc y compris dans sa texture esthétique, de sa photographie à certains tics de mise en scène « à la mode ». De l’autre, il l’emporte, par son évidente sincérité, sa frontalité salvatrice associé à d’authentiques trouvailles visuelles – principalement en ce qui concerne ses effets spéciaux aux influences bis évidentes..

Outre ces quelques moments de bravoure esthétique, la plus grande qualité du film se trouve être la justesse avec laquelle, prétextant relater la transformation de sa protagoniste en « monstre » – cet élément sous-tendant toute son intrigue – Tiger Stripes dépeint non seulement – de manière certes assez attendue – les troubles liés à l’adolescence (changements corporels, complexes, incompréhension des parents et des enseignants, difficultés relationnelles, sentiment de solitude…) mais aussi et surtout – et avec autrement plus de singularité – les travers d’une société malaise déchirée entre traditions (culturelles et spirituelles) et modernité (incarnée dans le film par la place qu’y prennent les nouvelles technologies) et dans laquelle de nombreux progrès restent à faire quant à la condition des femmes, ce dernier point s’avérant vite être le véritable sujet de ce long-métrage où la notion – hautement subjective – de « monstruosité » cache tout naturellement des questions d’ordre politique et culturel. 

Les véritables monstres du récit ne sont ainsi clairement pas Zaffan mais bien ceux qui l’entourent, d’une camarade jalouse et cruelle à un monde adulte – et donc une société – hostile à la différence, voire carrément obscurantiste (ainsi qu’en témoigne une improbable scène d’exorcisme mis au goût du 21ème siècle) ne faisant qu’aliéner et martyriser la jeune fille en condamnant, sans chercher à l’aider ni à la comprendre, sa différence, alors même que son seul désir est d’être acceptée et laissée en paix. 

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Analyse en bonne et due forme de la « fabrication » d’une sorcière par une société patriarcale ostracisant toute femme jugée trop « libre » ou différente des autres, Tiger Stripes brosse ainsi le portrait d’une génération de jeunes filles malaises prises entre le poids de traditions desservant leurs intérêts et les attributs pourtant omniprésents d’une modernité porteuse d’espoir pour elles, celle-ci se voyant principalement à travers l’importance des nouvelles technologies et des réseaux sociaux – tels que TikTok – dans la vie de ces filles trouvant dans la possibilité de se filmer, habillées comme elles le désirent, en train de danser pour des millions d’yeux anonymes, et ce à l’insu de toute figure d’autorité (scolaire ou parentale) l’ultime moyen de vivre librement leur adolescence. 

Porte-voix d’une jeunesse en quête d’émancipation, épousant parfois avec maladresse mais toujours avec sincérité l’esprit sensible et rebelle de son héroïne, Tiger Stripes est un premier film foisonnant, prometteur et bancal, mais un indiscutable portrait au vitriol du monde d’aujourd’hui.

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