Mario Imperoli – « Comme des chiens enragés » (1976) [Blu-Ray]

Comme on peut sans douter, Come cani arrabbiati (1976) de Mario Imperoli ne partage pas avec le Cani arrabbiati (Rabid Dogs, 1974) de Mario Bava la seule similitude de son titre. Le cinéaste avoue d’emblée assez modestement ses influences, cite son modèle, se définissant plus comme un artisan que comme un auteur. Mario Imperoli annonce la couleur dès le départ, fabriquant un film à la manière de Cani arrabbiati et suivant en quelque sorte la vogue du moment. On retrouve effectivement des jeunes kidnappeurs sadiques qui, en pleine Italie des années de plomb, s’adonnent aux braquages, aux viols et aux meurtres, mais sans la puissance nihiliste et poisseuse du film de Mario Bava.

capture d’écran © Le Chat qui fume

Come cani arrabbiati (1976) s’avère être un poliziescho très classique et particulièrement efficace, l’œuvre d’un réalisateur ne cherchant jamais à offrir au spectateur autre chose que le spectacle qu’il attend. L’a-mateur est servi car Come cani arrabbiati racole à tous les étages de manière plutôt explicite à grand renfort de nudité frontale et de scènes de violence. Le synopsis laisse évidemment le champ libre à tous les excès visuels. Inspiré par un fait divers qui défraie la chronique dans les années 70 et dans lequel, suite à un braquage, deux jeunes filles sont violées, l’une des deux n’y survivant pas, Comme des Chiens enragés évoque l’odyssée meurtrière d’un trio – deux garçons, une fille – multipliant leurs frasques et leurs actes sadiques. Nulle héroïsation à la Bonnie and Clyde chez Mario Imperoli, le cinéaste détestant ses personnages et ne leur offrant aucune possibilité de rédemption. Cela s’avère d’autant plus intéressant politiquement, qu’ils sont des fils et fille de bonnes familles opérant en réaction contre les privilèges de leur caste pour une rébellion illusoire. Ils incarnent en quelque sorte cette mauvaise graine qui pourrit l’Italie, cette honte dont on voudrait se débarrasser. Par tous les moyens. Si l’on pense évidemment à la vision de la délinquance juvénile d’Orange Mécanique, Come cani arrabbiati rappelle énormément le film de Vittorio Salerno réalisé une année auparavant, l’impressionnant Fango bollente, qui met en scène de la même façon des salauds, non pas issus de basses couches populaires, mais des bourgeois au futur assuré par leur papa, propres sur eux, des garçons plein d’avenir menant une double vie. Nous ne sommes plus ici dans l’idée de l’expression d’une révolte revendicatrice en vue de changement, car si l’acte est politique, il est radical et considère le néant et la monstruosité comme un aboutissement. Cette idée de gratuité et d’amour du vide se montre le plus fascinant dans ces personnages. Sans aller jusqu’à flirter avec l’extrême droite comme le fait Umberto Lenzi, et contrairement à Vittorio Salerno ouvertement du côté du peuple, le message de Mario Imperoli est ici très ambigu et quelque peu réactionnaire dans les solutions proposées. Si la phrase finale est on ne peut plus douteuse (« on ne va pas pleurer la mort d’un criminel »), la position du cinéaste – qui se disait ouvertement de droite, à l’heure où Francesco Rosi faisait un cinéma politique de gauche – n’en demeure pas moins intéressante dans son tiraillement et sa dimension schizophrène.

capture d’écran © Le Chat qui fume

Les criminels sont bien ici les privilégiés, les oppresseurs (ou fils d’oppresseurs et de politiques corrompus comme en témoigne Tony) et méritent d’être livrés à la foule de défavorisés, elle-même en furie – montrée comme des bêtes hurlantes pas très belles à voir. La vision, bien que pas si claire, laisse tout de même percer un désenchantement total qui démythifie quelques peu les poncifs du genre. Mario Imperoli renvoie à nouveau à l’éternelle vision d’une police ayant « les mains liées » face au taux de criminalité et à une politique corrompue, mais ne tombe pas – contrairement à Umberto Lenzi – dans la réponse du « faisons nous justice nous-même ». Aussi, si le cinéaste se refuse à toute sympathie complaisante vis-à-vis de ses petites ordures, celui qui les poursuit, le commissaire Muzi ne provoque guère d’empathie et mène son enquête sans héroïsme ni stratégie intelligente. Peu respectueux d’une hiérarchie qui l’écœure, marginal au sein même de sa direction, il n’en demeure pas moins aussi peu charismatique qu’arrogant et méprisant, en particulier avec sa collègue Germana. La manière dont il la traite, entre conviction de sa supériorité, indifférence et machisme, lui proposant de servir d’appât en se faisant passer pour une prostituée tient plus de l’abjection que de la conscience professionnelle. Il n’y a d’ailleurs bien que Germana qui contraste et provoque une quelconque émotion au sein de ce cloaque de l’humanité. Fantasme : le scénario aurait gagné à composer un personnage féminin moins soumis, qui ne finisse pas si facilement dans le lit du héros, alors qu’elle parait bien décidée à lui tenir tête – les archétypes ont la dent dure quand le cahier des charges doit être appliqué.

capture d’écran © Le Chat qui fume

Même s’il obéit aux règles du divertissement de l’époque, même bien rythmé, tendu et prenant, Come cani arrabbiati n’est pas une œuvre séductrice cherchant à être agréable, comme si Mario Imperoli, tout en illustrant le genre, avait bien du mal à camoufler son amertume. Alors, dans ses séquences les plus glaçantes, l’épouvante saisit parfois devant le spectacle d’une violence horriblement banale, terriblement contemporaine. Car finalement ces petits bourgeois ne respectant en rien l’individu et voulant exterminer avec joie des prostituées ou des homosexuels, cette lie de la société n’incarnent-t-ils pas autre chose que le fascisme ordinaire ?

La copie proposée par Le Chat qui fume est irréprochable. Cette édition propose en supplément un entretien d’une demi-heure avec Claudio Bernabei assistant-réalisateur de Mario Imperoli sur Comme des chiens enragés. Il revient sur sa collaboration avec le réalisateur et ne cesse de dire combien il était agréable de travailler avec lui. Sans jamais crier au génie, il défend ses films comme caractéristiques de ce qui se faisait à l’époque, qui suivaient un peu le mouvement. Mario Imperoli n’a jamais chercher à transcender le genre, juste à mettre en scène des films divertissants pour son public, toujours honnête avec lui-même. Il est émouvant d’entendre Claudio Bernabei  défendre spontanément un cinéma modeste et populaire sans chercher à le survendre pour ce qu’il n’est pas.

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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