Debra Granik-  » Leave No Trace »

Adapté du roman L’abandon de Peter Rock, le très beau film de Debra Granik, Leave No Trace, sort ce mois en DVD et blu-ray.

Tom a quinze ans. Elle habite clandestinement avec son père dans la forêt qui borde Portland, dans l’Oregon. Expulsés de ce refuge, ils se voient offrir un toit, un travail et une « sociabilité ». Lui refuse cette nouvelle vie, tandis que sa fille en est curieuse… Peut-être le temps est-il venu de choisir pour Tom entre l’amour filial et ce monde nouveau qui l’appelle ?

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La seule « société » à laquelle Will est attaché est celle qu’il a créée avec sa fille, dans les profondeurs de Forest Park. Là où il est possible pour lui de se renouveler et prendre conscience de fondre toute action et toute éthique sur le rythme des éléments. La nature bruissante des pinacées immenses et des fougères, premier plan du film, est cet écho rassurant d’une vie buissonnière qu’il partage avec Tom. Ce n’est pourtant pas un retour aux sources pour Will, mais une fuite. Ancien vétéran, dont avec finesse la cinéaste laissera le récit hors-champ, il fuit ses cauchemars. Aussi ce père solitaire apprend à sa fille l’art de la « survie ». Parce que la nature seule semble offrir un possible créatif afin de rester en sécurité, et surtout libre. Etre là, dans l’ ici et maintenant, «  sans laisser de traces », libres comme le vent, comme la lumière dont ils sont l’envers, ombres mouvantes sans se fixer nulle part.

Mais soudainement il va être arraché à cette liberté et arrimé à une habile technique de vivre conforme aux attentes d’une société normative : entretenir une maison, avoir un travail, des relations et des obligations sociales. Tom, elle, ne fuit rien. Et en ce creux intime de petites communautés qu’elle va alors pour la première fois découvrir, elle s’épanouit.

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Debra Granik filme ce parcours vers l’émancipation d’une fille à l’égard de son père avec nuance et délicatesse. Car le film n’est pas un discours ou une réflexion sur l’impossibilité de s’écarter d’une vie normée ou sur les mécanismes de sociabilisation moderne. Leave no trace est avant tout un film sur la liberté d’aimer en quête de son propre chemin. La découverte de ce monde nouveau pour Tom est un devenir. Tom s’éveille en faisant plus que l’apprentissage d’un monde, l’apprentissage de l’autre, le temps d’un après-midi avec un garçon qui élève des lapins, autour d’un feu. Cet éveil à travers l’autre est aussi un éveil à l’amitié, à la confiance. A cet égard, la séquence où Tom apprend à «  apprivoiser » les abeilles grâce à la propriétaire du mobile home est superbe. Là se tient aussi la justesse du film : ce n’est pas le confort matériel qui séduit Tom, pas plus que la quête d’une stabilité mais cette nécessité de la rencontre avec l’altérité.

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L’attention portée aux regards et aux gestes d’un amour filial fort, comme celui de Will qui réchauffe les pieds gelés de Tom à la chaleur de sa peau, intensifie d’autant plus la libération de cette fille qui malgré tout décide de quitter son père, tout en acceptant sa fuite. Tom comprend que la douceur peut être aussi incluse dans ce mouvement d’accueil et qu’elle a ce pouvoir de transformation, «  douceur ( ayant) un rapport au temps qui trouve dans la pulsation même du présent la sensation d’un futur et d’un passé réconciliés (…) » (1)

Aucun jugement alors sur les choix des personnages : la cinéaste regarde avec pudeur ces lignes de vie qui se séparent et pourtant qui perdurent à s’aimer.

  1. Anne Dufourmentelle, Puissance de la douceur, Editions Payot et Rivage, 2013.

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A propos de Maryline Alligier

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