Toutes les couleurs du bis – « n°13 : 80 classiques du cinéma d’exploitation US »

On pouvait penser que l’avènement du web 2.0 mettrait un terme au fanzinat. En effet, pourquoi s’embêter avec des problèmes de confection, d’impression et de diffusion alors qu’il est devenu très facile désormais de partager ses passions (la définition même du fanzine) en ligne, via des outils qui ne cessent d’évoluer (du forum spécialisé aux réseaux sociaux en passant par le blog). Or si certains fanzines « historiques » (Vidéotopsie, Médusa) ont connu une interruption au tournant des années 2000, ils sont revenus en force depuis une bonne dizaine d’années. Comme si le numérique avait paradoxalement redonné le goût pour le papier et la matérialité de l’objet. D’ailleurs on pourra constater que l’amateurisme bricoleur des années fastes (70 et 80) a laissé place à des objets plutôt luxueux faisant la joie des collectionneurs.

Un fanzine, c’est avant tout un domaine de prédilection (dans notre cas, le cinéma bis) et une plume qui parvient à porter un projet qui lui est cher. Pour perdurer, il faut cette flamme qui a animé un Christophe Triollet (Darkness, son beau fanzine dédié à la censure sous toutes ses formes et qui sort désormais sous la forme de véritables livres), un David Didelot (qui poursuit son travail de créateur de fanzines même s’il a mis un terme à Vidéotopsie) ou un Didier Lefevre (Médusa). Il est évidemment impossible de recenser ici tous les titres de fanzines qui sortent régulièrement mais mentionnons néanmoins l’un des plus passionnants parmi les derniers nouveau-nés : L’Insatiable de Jacques Spohr et son attention portée au cinéma d’exploitation grec (même si son horizon est plus large).

Dans ce paysage, Stéphane Erbisti est parvenu à trouver sa place avec Toutes les couleurs du bis dont le premier numéro a vu le jour en 2011. Belle couverture, maquette élégante au format A5 et en couleurs, le fanzine entend à chaque numéro explorer une filmographie, qu’il s’agisse de celle d’un comédien (Edwige Fenech, Charles Bronson, Traci Lords), d’un metteur en scène (Russ Meyer, Tobe Hooper, Lucio Fulci) ou d’un genre (la nazisploitation).

A l’occasion de ce 13ème numéro, l’auteur nous propose une exploration du cinéma d’exploitation américain des années 10 aux années 80. Comme d’habitude, il débute par un texte introductif qui balaie de manière assez rapide son sujet, en dressant un panorama historique de ce cinéma d’exploitation. Puis il compile un ensemble de notules sur 80 films sélectionnés dans un corpus qu’on devine bien trop large pour pouvoir faire l’objet d’un seul fanzine.

Le principal intérêt de ce numéro de Toutes les couleurs du bis, c’est d’aborder un corpus relativement peu exploré. On sait que les « bisseux » affectionnent particulièrement les années 70 et 80, âge d’or d’un cinéma d’exploitation déviant et audacieux (avec le continent italien comme valeur refuge incontournable). Stéphane Erbisti a le mérite d’aller farfouiller dans les recoins les plus poussiéreux de l’histoire du cinéma, exhumant des films des années 10, 20 ou 30 totalement ignorés par la critique officielle (excepté Freaks de Tod Browning dont la recension ici peut paraître contestable). Il parvient aussi, grâce à des choix judicieusement représentatifs, à dresser un tableau relativement complet des divers filons qui nourrirent ce cinéma d’exploitation : films de nudistes, drugsploitation (ces œuvres mettant en garde la jeunesse contre l’utilisation des stupéfiants), l’ « hygiene picture » (là encore, des films prétendument préventifs contre les maladies vénériennes ou les grossesses non désirées), le burlesque (petites bandes mettant en scène des spectacles de strip-teases, à l’instar du Teaserama d’Irving Klaw avec la divine Betty Page), nudies et roughies (quelques œuvres phares de Russ Meyer et Doris Wishman sont chroniquées ici)… On l’aura compris, le cinéma d’exploitation lorgne sans arrêt sur les sujets que le cinéma hollywoodien « classique » ne pouvait alors aborder en raison du code Hays : le sexe, la violence et la drogue. A partir des années 50, le public jeune devient l’un des principaux clients du septième art. Il s’agit donc de séduire ce public en fournissant aussi bien les « drive-in » que les « grindhouse ». Ces lieux de diffusion sont une manne pour le cinéma d’exploitation qui développe de nouveaux filons : films de plage pour ados, bikesploitation (Les Anges sauvages de Corman et ses motards rebelles) puis une évolution vers de nouvelles « niches » avec plus de sexe et de violence : le « WIP movie » (acronyme pour « women in prison), le « rape and revenge » (La Dernière Maison sur la gauche de Craven, I Spit on your Grave), le porno (Forced Entry de Shaun Costello), la blaxploitation, le cinéma gore…

Le plaisir que procure ce numéro de Toutes les couleurs du bis est de pouvoir picorer au sein de cet immense et méconnu territoire du cinéma d’exploitation et de donner envie de découvrir des films (qui connaît l’œuvre de Dwain Esper, par exemple ? ). Bien sûr, on retrouve ici les travers qui menacent parfois certains fanzines (tous ne sont pas aussi bien écrits que L’Insatiable) : les analyses des films ne sont pas toujours très poussées, la syntaxe est parfois malmenée et Stéphane Erbisti a un peu trop souvent recours à des formules toutes faites : « Un bon film, pour sûr », « Un incontournable du genre, qui mérite sa place en ces pages », « Un petit film à visionner après une dure journée de travail »…

Mais ces petites réserves n’empêcheront pas les amateurs de cinéma bis d’aller faire un tour du côté de ce fanzine qui regorge de curiosités improbables et qui donne envie de faire plein de découvertes.

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Toutes les couleurs du bis n°13 : 80 classiques du cinéma d’exploitation US

Textes et mise en page : Stéphane Erbisti

Éditions Sin’Art

Décembre 2022 – 9 €

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A propos de Vincent ROUSSEL

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