La carte blanche d’Ovidie fut une merveille de soirée ! Alors que l’exercice, si intéressants ou rares soient les films choisis, ressemble souvent à une liste égrenée dans la programmation, Ovidie s’en est emparée en  proposant une soirée thématique unique forte d’un fil rouge bien spécifique. Comme elle l’expliqua lors de sa présentation, l’occasion qui lui était offerte lui donna envie de réunir le public autour d’une Soirée punk neuroatypique, avec des films traitant de la création et de la neuroatypie, soit un fonctionnement cognitif différant de la norme, ici source d’une créativité fascinante, d’un art à la fois intime et sans filtre. Tout en précisant que musicalement il ne serait pas question que de punk, et que la neuroatypie serait aussi accompagnée de bipolarité et de schizophrénie. Sur ces thèmes elle choisit des œuvres l’ayant marquée, qu’elle avait envie de partager.

Voir autant de personnes réunies en salle 300 pour découvrir ses coups de cœur fut la première satisfaction de celle qui raconta avoir parfois organisé des séances, notamment pour son Festival international de films de chiens, devant une poignée de personnes seulement, se rendant à l’évidence que ce qui passionne un être humain ne passionne pas forcément tout le monde. Plaisir ensuite de redécouvrir ces films qu’elle avait aimés, comme dans son salon mais entourée du public.

Composée de deux documentaires, d’un court métrage et d’un showcase suivi d’une séance de questions réponses, la soirée fut riche, cohérente, pertinente, passionnante. Merci à Ovidie pour sa programmation et son implication, et maintenant place aux artiste atypiques !

La soirée commença très fort avec l’excellent documentaire The Punk Syndrome de Jani-Petteri Passi et Jukka Käarkkäinen, découvert par Ovidie en 2012 au Fifigrot, Festival du Film grolandais. Le film suit le quotidien du groupe punk finlandais Pertti Kurikan Nimipäivät (La fête de Pertti Kurikan), dont les quatre membres sont atteints d’un handicap mental. A la juste distance, les réalisateurs captent le travail musical et l’intimité de Pertti, guitariste et fondateur du groupe, Kari, charismatique chanteur, Sami, bassiste et Toni, batteur. De tranches de vie en concerts survoltés, de moments de doute en réussites flamboyantes, les quatre compères s’adonnent à leur art avec passion, en marge des sentiers battus.

La discrétion de Kalle, leur manager, mettant en évidence son rôle plus paternel que commercial, fait briller le grand sujet du film, la raison d’être du groupe, et le profond moteur de ses membres : le besoin d’expression. La propension mélancolique de Pertti, et celle colérique de Kari, notamment, trouvent dans la musique, l’écriture, le chant, un exutoire qui les rend profondément touchants.  Privés d’un mode de vie (seul Pertti vit seul dans son propre appartement) et d’un mode de pensée communément considérés comme « normaux », leurs émotions trouvent lors des répétitions et sur scène un espace libre où exploser, dans les riffs de guitare et les cris révoltés, qu’ils abordent des problématiques citoyennes (les dirigeants en prennent pour leur grade), sociales, ou personnelles (des frustrations, des peines qui les animent), au travers de textes très ancrés dans le quotidien, à la fois très terre à terre et en même temps empreints d’une délicieuse poésie absurde. Les scènes de communion avec leur public sont très belles, car les différences s’effacent, tous réunis autour de sentiments universels. Musicalement le groupe est très bon, et les spectateurs ne viennent pas voir des curiosités, sur scène, mais bien de vrais musiciens porteurs d’idées partagées, d’artistes qui se produisent avec leurs tripes et leur cœur.

Très proches d’eux et empathiques, les réalisateurs captent toutes sortes de moments,  certains  extrêmement drôles, d’autres poignants, cherchant à dresser le portrait des artistes autant que des êtres humains, se confiant avec une sincérité désarmante, que cela passe ou non par les mots, que cela soit direct ou implicite, conscient ou juste flottant. C’est le grand talent du film que de saisir au vol tous ces éléments, tout en nous inspirant cette belle admiration pour quatre hommes différents de nous et au fond si semblables. Une vraie réussite, et une réelle connivence avec Ovidie qui dix ans plus tard n’a jamais oublié ces punks au cœur tendre.

 

De l’écran à la scène, il n’y a qu’un pas, et la soirée se poursuivit avec un showcase acoustique du groupe Astéréotypie, un collectif de slameurs autistes accompagnés à la guitare par celui qui fut leur éducateur spécialisé au moment de la fondation du groupe, et par un claviériste défini comme celui créant le lien entre eux tous. Si quatre chanteurs et chanteuse font partie du groupe, deux étaient présents au Forum des Images, Stanislas et Claire, pour interpréter des textes de leur composition, engagés, drolatiques (mention spéciale pour « Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme » scandé par le charme enfantin et l’énergie communicative de Claire), personnels, reflets de leurs émotions et de leur regard sur le monde. Le sens de la poésie décalée qui les anime, porté par des accents post rock envoûtants, a percuté le public de la salle 300, qui put ensuite partager ses impressions et poser des questions sur la genèse du groupe et son fonctionnement lors d’un Q&A savamment conduit par Ovidie.

La seconde partie de soirée fut amorcée par un court-métrage pas inintéressant mais justement trop court : Hi, How are you Daniel Johnston ?, réalisé par Gabriel Sunday en 2015. Ce court docu-fiction met en scène Daniel Johnston en 2015, tandis que le réalisateur interprète Daniel Johnston jeune. Figure majeure du LoFi, connu pour les innombrables cassettes audio qu’il enregistra dans le garage familial entre deux séjours en institution pour troubles bipolaires, et qui connut un jour la renommée en étant admiré par Kurt Cobain, Daniel Johnston apparaît comme un homme éminemment sympathique et le court documentaire, très soigné, agrémenté de jolis passages en animation donnant vie aux personnages qu’il dessinait sur ses jaquettes, donne surtout envie de se plonger dans le film long qui lui a été consacré en 2005 par Jeff Feuerzeig. La proposition de Gabriel Sunday est très qualitative, mais, et finalement c’est tant mieux, fait un peu office d’amuse-bouche tant il entraine l’envie d’en savoir plus sur celui auquel il rend hommage.

Et c’est avec l’inénarrable Larry Fischer, surnommé Wild Man, que la soirée se termina. Derailroaded : inside the mind of Larry « Wild Man » Fischer, réalisé par Josh et Jeremy Rubin en 2005 se concentre sur la carrière improbable et le caractère atypique, pour ne pas dire régulièrement dangereux, de l’auteur-compositeur-interprète américain décédé en 2011. Dans un ordre non chronologique, les différentes périodes de sa vie sont abordées, son enfance marquée par le cruel manque d’affection de sa mère, ses débuts dans la musique, sa rencontre avec Frank Zappa, qui produira son premier album et coupera les ponts avec lui lorsque le musicien jettera une bouteille au visage du bébé de Zappa,  ses internements dès l’adolescence pour schizophrénie et paranoïa aigue, son installation dans la maison de sa tante d’où il craindra de devoir partir lorsque celle-ci se retrouvera très malade, ou encore ses concerts peuplés de fans tout terrain, scandant avec lui les paroles teintées d’art brut de ses chansons.

Le portrait interpelle à plusieurs niveaux. En tant que personnalité musicale d’abord. Au moment de ses premiers albums, dès 1969, de nombreuses personnes ont reconnu un talent unique, libre, affranchi des codes, né dans la rue tandis que l’artiste proposait « une chanson pour 10 cents ». Avoir cela à l’esprit ne nous empêcha pas de trouver ses interventions scéniques difficilement écoutables, entre dissonance et paroles répétitives criées, entre folie et rage expulsée. D’un point de vue personnel ensuite, puisque le personnage est à la fois inquiétant et antipathique, mu par un comportement erratique, paranoïaque, mais aussi fascinant et émouvant, dans sa quête perpétuelle de succès qui n’est autre qu’une quête d’amour. Une vie hors du commun, semée de douleur et d’embûches, mais aussi de moments de grâce et d’une soif de vie qui trouva son expression dans la musique. Larry eut peu d’amis, mais les témoignages et les joyeux souvenirs du duo Barnes et Barnes contrebalancent les interventions douloureuses et à la limite du malaise du frère de Larry, qui visiblement tenta toute sa vie d’aider son frère malgré sa méfiance à son égard, sans jamais y parvenir.

A l’issue du film, deux images s’entrechoquent, celle du magnifique sourire de Larry dans sa jeunesse musicale et celle du Larry usé et vulnérable qui termina sa vie en voyant  les démons de son esprit apaisés par une médication qui en revanche signa la fin de son inspiration créatrice. Un sacré personnage pour un film sans fard.

Ainsi s’acheva une soirée passionnante, parmi les meilleurs cartes blanches qu’il nous fut donné de voir à L’Etrange Festival !

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A propos de Audrey JEAMART

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