Entretien avec Joshua Oppenheimer, à l’occasion de la sortie de « The Look of Silence »

 

On a dit ici tout le bien et les doutes qu’on éprouvait devant ce bel objet triste qu’est le dernier film de Joshua Oppenheimer, The Look of Silence. Film génial ou dégueulasse selon les camps, traitant tout autant son sujet qu’y puisant matière à une réflexion sur l’image et le processus filmique lui-même, il signe d’ores et déjà un des sommets de cette année cinématographique. Parce que stimulant, parce que limite, parce que plein de questions troublantes, il éclaire autant que perpétue un processus de mise en scène déjà en cours dans son pendant halluciné, The Act of Killing, qui ressort pour l’occasion en salles dans sa version Uncut (le film n’était sorti en salles dans une version amputée, plus encore sur Arte, et n’a été sorti dans sa version de 2h46 que sur DVD et Itunes).

Et si le temps fut trop court pour puiser dans les nerfs des effets parfois obscènes qui en soutiennent la démarche ou d’épuiser les doutes, l’homme, affable et précis, se révèle à l’image de ses films : un fantastique storyteller toujours prompt à éclairer par l’exemple le plus concret la densité d’une démarche indubitablement stimulante.

Pouvez-vous me parler un peu de la création de ce diptyque The Act of Killing / The Look of Silence, et comment les deux films interagissent entre eux, jusque dans leurs genèses ?

Joshua Oppenheimer : Je savais déjà que The Act of Killing à ce moment [le tournage a débuté avant la sortie en salles du premier volet, ndlr] n’était pas du tout un documentaire, mais un « non fiction film », une sorte de rêve enfiévré ponctué de silences.

Et ce qu’il y a de très intéressant si on compare The Act of Killing dans sa version Uncut et The Look of Silence, c’est ce glissement qui s’y opère entre le rêve hanté des tortionnaires et le monde des morts, comme si on visitait ces endroits hantés parce que les vantardises épouvantables des tortionnaires y maintiennent tout le monde dans un état de peur permanent.

Et je voulais que The Look of Silence fasse voyager le spectateur dans l’un ou l’autre de ces silences qui ponctuent le premier film, et vous fasse ressentir : « Qu’est-ce que cela fait d’habiter ici, comme survivants entourés des hommes qui ont détruits ceux qui vous sont proches et qui détiennent toujours le pouvoir du pays ? Comment vivre entourés des fantômes des morts sans sépulture ? »

J’avais la sensation que The Act of Killing était devenu un film flamboyant, une évasion pleine de fantasmes et culpabilité. Et si The Act of Killing était flamboyant, je me suis dit que The Look of Silence devait, si ce n’est être flamboyant bien sûr, mais être au moins aussi innovant, dans le sens où cela devait être beaucoup plus un poème qu’un film-sur-les-droits-de-l-homme. Un poème composé comme un mémorial pour tous ceux qui auront été détruits. Les vies détruites par la peur et le silence. Pas seulement pour les morts, mais pour les vies détruites par la peur.

Et dans ce sens, si The Act of Killing parle de l’histoire fantasmée que les tortionnaires se racontent pour se décharger des conséquences monstrueuses de leurs actes sur la société, The Look of Silence est à propos de ce que c’est pour l’être humain de vivre avec la peur. Depuis plus de 50 ans.

Et donc si chaque projet est fondamentalement différent, ils peuvent se voir comme totalement complémentaires, sur deux aspects d’un même problème : ce que signifie réellement l’expérience de l’impunité.

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Est-ce qu’on pourrait dire alors que, comme son nom l’indique, The Act of Killing est plutôt orienté sur le geste, l’acte, alors que The Look of Silence est bien plus un film sur la parole, les mots ?

JO : Pour moi The Act of Killing n’est pas tant à propos de l' »acte », de l’action, mais plutôt de la performance. Les tortionnaires ne sont pas en train de « rejouer » ce qu’ils ont fait, mais ils interprètent (acting out) leur script actuel de fantasmes et de mensonges, d’histoires auxquelles ils se raccrochent pour pouvoir vivre avec eux-mêmes. Ce qui fait qu’il est finalement assez normal que The Act of Killing finisse par ressembler à un rêve enfiévré, puisqu’il se situe dans la tête des tortionnaires, dans nos cauchemars dans l’esprit d’Anwar, les cauchemars collectifs de la pourriture de tout ce régime politique.

D’un autre côté, The Look of Silence essaye de mettre en scène quelque chose de difficilement traduisible il me semble dans d’autres langues qui serait essayer de montrer ce à quoi ressemble le silence (« trying to show what the silence looks like »), de le rendre visible. Et si le silence nait de la peur, son horizon serait donc essayer de rendre visible quelque chose d’encore plus invisible qui serait la peur elle-même.

La raison pour laquelle je dirais que ce n’est pas à propos de la transmission des mots, du témoignage, c’est parce que le rush qu’Adi regarde dans The Look of Silence [celui où les tortionnaires rejouent la scène du massacre de son frère au bord de la rivière, ndlr] est lui une performance, peut-être moins surréelle et stylisé que dans le précédent projet, parce que les tortionnaires ne sont pas en train de dramatiser leurs gestes dans le style hollywoodien, mais ils sont toujours les interprètes pour un public imaginaire (ce qui nous ramène à la question : qui est ce public ? et comment veulent-ils être vus par eux ?).

Et dans les échanges entre Adi et les tortionnaires, bien qu’ils échangent des mots, la caméra est presque exclusivement concentrée sur les réactions, les silences et les pauses. Sur les doutes, hontes et peurs des tortionnaires et la colère : sentiments inévitables quand Adi se présente devant eux en disant « je suis un être humain, comme mon frère était un être humain ». A ce moment, ils perçoivent cela, et l’armure qu’ils s’étaient bâtis contre la morale s’effondre quand ils doivent regarder Adi dans les yeux et y voient quelque chose de terriblement effrayant : leur propre conscience.

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Peut-être alors que j’avais tort, dans ma question. Peut-être était-ce le but d’Adi, que d’obtenir des excuses, quelques mots, et que vous filmez plutôt cet empêchement, cette impossibilité à dire.

JO : Exactement. Je suis parti tourner The Look of Silence en 2012, après un échec en 2003 où Adi et les survivants subirent des pressions, et il avait passé les sept dernières années à regarder les rushes des survivants et tortionnaires que je lui envoyais, m’encourageant à toujours continuer.

Et quand je suis revenu en 2012, après le montage de The Act of Killing, mais avant sa présentation (puisque je savais qu’elle provoquerait mon interdiction du territoire), je ne savais pas encore qu’Adi serait le principal sujet du film, simplement un collaborateur important. Lorsque nous nous sommes assis ensemble, il m’a confié : « j’ai passé les sept dernières années à regarder ces rushes. Cela m’a changé. J’ai aujourd’hui besoin de les rencontrer et leur demander pourquoi ils ont tué mon frère ».

J’ai d’abord refusé : il n’y avait jamais encore eu de films où les victimes confrontent leurs bourreaux toujours au pouvoir. Et Adi m’a calmement dit : « laisse-moi t’expliquer pourquoi c’est important pour moi. ». Il a alors sorti une caméra que je lui avais prêté en 2010 comme une sorte de carnet de note, un journal de bord qui pourrait inspirer le film, et il m’envoyait régulièrement des cassettes. Mais j’ai appris alors qu’il y avait une seule cassette qu’il ne m’avait pas envoyé, et il l’a mise en tremblant dans la camera, a appuyé sur Play et m’a montré la scène qui se trouve reproduite dans le film. Celle où son père rampe dans la maison en hurlant, réclamant de l’aide et se croyant dans un endroit étranger.

Adi s’est immédiatement mis à pleurer : « c’est le premier jour où mon père n’a pas pu se souvenir de qui que ce soit de sa propre famille. Et s’il avait oublié le nom des meurtriers de son fils, de tous ceux qui avaient détruit sa vie, il n’avait pas oublié la peur. Et maintenant rien ne pourra le sauver et il mourra dans une prison de peur, comme des millions d’autres survivants. Je ne veux pas de ça pour mes enfants. Je pense que si je vais voir ces tortionnaires, ils comprendront que c’est leur chance de faire la paix avec leurs voisins, d’être pardonnés, et nous pourrons vivre ensemble comme êtres humains, et non victimes/tueurs. »

Et quand Adi m’a demandé de tourner ce film, je lui ai demandé un temps de réflexion. J’ai alors pensé que comme j’avais tourné The Act of Killing mais que personne ne l’avait encore vu, les gens de la région me pensaient encore toujours proche des hommes les plus puissants du coin. Et ces gens qu’Adi voulait rencontrer étaient certes puissants, mais uniquement à un niveau régional : ils n’auraient pas le pouvoir de nous emprisonner, juste au pire de nous menacer, par peur d’offenser leurs supérieurs dont ils me pensaient proche.

Je me suis alors dit que si on tournait ca rapidement, avec l’idée de pouvoir s’arrêter à n’importe quel signe de danger et que nous pouvions en discuter avec la famille avant de prendre le moindre risque, et surtout si nous étions prêt à ne pas sortir le film du tout dans le cas où nous ne pourrions protéger ses proches, alors c’était à tenter.

Et donc vous avez totalement raison : il essaye d’obtenir quelque chose, une accroche qui lui permettrait de pardonner, de faire la paix pour le bien de ses enfants. Et il échoue.

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N’était-ce pas tristement et bêtement prévisible ?

JO : J’ai passé 5 ans avec Anwar Congo [le principal protagoniste de The Act of Killing, ndlr], et à la toute fin du film, quand il est déchiré et s’effondre, même à cet instant il ment. Il se ment à lui-même en disant « ma conscience m’a dit qu’ils devaient être tués ». Donc au moment même où il semble suffoquer de sa propre culpabilité, il n’a même pas le courage de s’avouer coupable. Et si en 5 ans, je n’ai rien réussi à obtenir de ces hommes, quoi espérer en une heure de temps ?

Mais si je peux montrer avec intimité et empathie « pourquoi » nous échouons, alors nous pourrons rendre visible ce qui a toujours été invisible mais que chacun sait là-bas : cet abysse de peur qui sépare chacun. Et nous pourrons alors appuyer vers le mouvement amorcé par « Truth and Reconciliation » [projet de commission introduite récemment par le président Joko Wipodo, similaire à celle d’Afrique du Sud suite à l’apartheid, ndlr], afin que du collectif puisse jaillir quelque chose qui était voué seul à l’échec.

 

Un corps collectif qui pourtant peut lui-même se refermer sur un mensonge éhonté. Un peu à l’image de la scène finale, où cette famille se renferme sur la dénégation des meurtres du père, alors que la séquence précédente le montre fanfaronner dans une archive.

JO : Ce qui est important c’est la sensation, la peur. Que même les familles de tortionnaires ont peur. Tout le monde a peur.

Pour la plupart des tortionnaires, nous ne passions que quelques jours à tourner. Mais pour cette famille en particulier, il y a eu plus de trois mois de tournage, notamment lorsque le père était encore vivant. J’ai passé près de trois mois à essayer de mettre en scène le livre qu’il avait écrit [une sorte d’autobiographie de ses massacres et méthodes, dessins enfantins à la clef, ndlr]. Et lorsque je filmais, les enfants et la femme étaient présents, et donc totalement au courant de ce livre, donc je ne les voyais pas nier quoi que ce soit.

L’idée, c’était donc pour Adi d’y aller sur la base de « je sais qui vous êtes, vous savez qui je suis, trouvons un moyen de vivre ensemble. Ce n’est pas à vous de porter les fautes de votre père. »

Mais parce qu’ils savaient qui était Adi, ils ont été sous le choc que je puisse amener le frère de Ramli. Alors qu’il n’avait aucune envie de les provoquer, mais simplement d’aller au-delà de la dénégation, pour espérer avoir un dialogue.

 

Mais est-ce qu’ils ne sont pas en train de mentir pour la camera ? Parce que si je suis avec vous en tête à tête comme maintenant, je peux vous dire la vérité. En revanche, si il y a une caméra, je parle pour l’archive, pour le futur…

JO : Peut-être. Peut-être… Mais aussi à cause de la présence d’Adi et de la gêne qu’il suscitait. Mais oui, lorsqu’ils ne sont pas en situation de fierté, ou de vantardise pour le graver dans le marbre du film (ce que les tortionnaires pensaient faire, notamment dans The Act of Killing), alors ils se bloquent en position de mensonge, et se sentent obliger de mentir.

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Cette scène me permet de venir à un questionnement assez stimulant dans vos films, concernant votre position en tant que réalisateur, et qui rejoint un enjeu filmique déjà présent dans The Act of Killing. Car au début du film, on pourrait croire à un documentaire « objectif », où Adi serait l’unique personnage principal. Et pourtant, à de multiples moments, vous intervenez dans l’univers du film, brisant le mur, comme ici lorsque vous montrez le Mac en disant : là, vous mentez. Et donc vous bousculez le pacte avec le spectateur.

JO : Dans The Act of Killing, ce n’est pas Anwar, mais la méthode qui est mon incarnation au sein de l’univers filmique. Cette idée de dire : « ok, mets en scène comme tu le veux, comme tu le sens, tout ce que tu as pu faire, et réfléchis-toi à l’intérieur de ses images. Regarde-toi, et nous verrons comment tu réponds ».

Et en regardant Anwar se confrontant à sa propre vision fictionnelle de ses actes et à son propre personnage mental, nous rendons visible la dynamique de sa propre conscience, les relations entre la culpabilité et le fantasme, et les conséquences politiques de tels mouvements internes.

Et dans The Act of Killing, il y a déjà plusieurs moments où j’interviens. Notamment à la fin, où je finis par dire « Non, Anwar, tu ne ressens pas vraiment ce que ressentent tes victimes, parce qu’elles sont mortes et que toi tu ne fais que jouer ».

Mais en fait, je dois avouer ne pas avoir réfléchi à toute l’étendue d’une telle idée, parce que c’est une question très judicieuse et perspicace. Du coup je ne peux que me limiter aux idées stupides qui me viennent à chaud [rires].

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Je vois mon process de réalisation comme un voyage avec les participants, une traversée intime. Et nous créons tous ensemble une réalité qui, protégée par l’espace et le déroulé d’un tournage, va déboucher sur une nouvelle réalité : quelque chose qui ne serait jamais arrivé sinon.

Et parce que, au sein de la pourtant confortable réalité d’un tournage, cette réalité que nous créons nous amène en des terrains inconfortables, elle nous transforme. Et comme elle nous change émotionnellement, ce changement doit devenir l’histoire du film.

Et c’est pour cela que « documentaire » est un mauvais mot : je ne suis pas du tout en train de documenter une réalité pré-existante, mais celle que je suis en train de créer avec tous les participants. Et cette réalité a pour but précis de rendre visible les forces invisibles à l’origine du projet du film, des problèmes qu’il prétend étudier. Que ce soit l’impossibilité pour les tortionnaires d’admettre qu’ils ont tort (The Act of Killing) ou le silence et la peur qui sépare tout le monde dans The Look of Silence.

Et donc, plutôt que de laisser le film utiliser les reconstitutions pour illustrer une autre histoire, comme le font beaucoup de documentaires, il les utilise pour montrer comment le processus filmique en change les propres protagonistes.

 

Le réalisateur étant un protagoniste comme un autre ?

JO : Avec le spectateur, oui. Comme je suis inévitablement pris dans le mouvement, que je change moi aussi et qu’il me semble impossible de traiter un tel sujet sans en faire parti, alors mes films ne laissent pas au spectateur le luxe d’avoir une position critique et objective, un endroit au calme d’où regarder tranquillement cette réalité se déployer. Vous vous retrouvez immergés dans cette réalité avec moi.

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Comment alors gérer le double positionnement d’Adi, lui aussi instable : à la fois personnage du film, et moteur qui incarne le réalisateur dans le film ? Notamment dans cette dernière scène déjà évoquée avec la famille, où il mène tout l’entretien avant que vous ne rentriez brutalement dans le cadre par l’écran d’ordinateur tendu à la famille.

JO : Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais cette scène finit par Adi regardant la caméra, et donc le spectateur. Et ce regard-caméra joue cette double connaissance : qu’Adi a conscience d’être regardé par nous, et nous pris au piège du fait qu’il sait que nous sommes là.

Et arrive donc la question : est-ce que j’ai vraiment envie d’être au milieu de ce bordel ? Et qu’est-ce que ça signifie d’être là, entre tous ces pôles : Adi, les tortionnaires, la famille, le réalisateur ?

Et il n’y a bien sûr aucune réponse à tout ca, mais pour un instant, filmiquement, nous sommes tous ensemble au même endroit.

 

Quitte à briser le quatrième mur ou déstabiliser Adi pour provoquer cet incofort.

JO : Ce serait une trahison pour moi de n’utiliser Adi que comme une marionnette m’obéissant. Adi change, moi aussi, et à ce moment crucial où les choses deviennent inconfortables, « justement » parce que nous avons des backgrounds et responsabilités différentes (je fais un film qui va être vu, lui a une famille à protéger) nous nous retrouvons à diverger.

Et je me souviens très bien qu’au montage la question s’est posée, et que je me suis dit qu’il fallait montrer cette bascule : ce moment où Adi demande à arrêter la scène et s’en aller, et que je suis en colère ou tout du moins que je voudrais pousser cette famille dans ces retranchements de mensonges pour permettre à Adi d’avoir enfin cette discussion dont il rêve.

Et le monteur m’a demandé « es-tu sûr de vouloir mettre ça, parce que ça ne respecte aucune convention filmique ? »

Cela me semblait inévitable, parce que c’était honnête. Et que ça mettait le spectateur totalement en dehors de sa zone de confort, le poussant en plein milieu de cette pièce.

Et c’est justement une des raisons pour lesquels je voulais vous rencontrer. Un des plans du film m’a mis un peu en colère, au point que je me suis demandé : mais qu’est-ce qu’il fait ? Il s’agit de ce plan filmant la dégénérescence mentale du père d’Adi dont vous parliez, où la caméra le poursuit pendant qu’il hurle. Et pourtant, on comprend en lisant vos entretiens autour du film ou ici que vous n’avez pas tourné ce plan. Et c’est très troublant parce que rien ne le dit au spectateur. Est-ce à dire que le film vaut plus que tout ? Que peu importe même qui le produit ou énonce le discours ? Au point que le mode d’énonciation puisse se modifier même au cours du visionnage ?

JO : Oui, je pense. J’essaye comme je le disais d’amener le spectateur au cœur du film. Et pour la plupart des spectateurs….Ce qui ne veut pas dire que votre réaction n’est pas…correcte, même si ce n’est pas celle que j’espérais provoquer et bien que je vois que certaines personnes réagissent ainsi… Et je crois que concernant la démence, pour notre fin de vie il n’y a que deux choses. L’une garantie, qui est l’oubli, et une que nous pouvons espérer, qui est l’amour.

Et quelle réponse apporter à l’oubli ? (hésitation)

Mais pour la plupart des spectateurs le film est fait avec suffisamment de tendresse et d’amour pour se dire « bien que je ne comprenne pas ce qui se passe maintenant, il doit y avoir une réponse ».

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Dans cette idée de l’oubli d’un pays, vous évoquiez tout à l’heure ce mouvement duel, voué à l’échec lorsqu’il est solitaire, mais dont on espère qu’il puisse prendre l’ampleur du collectif. Est-ce là le sens des premiers et derniers plans du documentaire ? Ces haricots chrysalides emprisonnant des papillons ? Quelque chose de minuscule, un mouvement invisible et caché ?

JO : Oui… Mais une métaphore dans un film ne peut jamais vraiment s’expliquer simplement. Il faut qu’elle conserve un mystère tenace, sinon ça devient un symbole. Pour moi, ces haricots sont une sorte d’espoir, quelque chose d’inextinguible mais tragiquement si subtil que l’on pourrait le manquer, marchant sans regarder et les prenant pour de simples cailloux. Pour moi, ils symbolisent la mémoire, la persistance de cette mémoire que le régime a tenté d’exterminer. Ce sont les fantômes qu’on a tenté de faire disparaitre, et qui pourtant ne meurent pas.

Mais c’est si fin, si minuscule, que la mère d’Adi à la fin du film finit par demander « êtes-vous vraiment là ? ». Elle en doute, se demandant s’ils finiront par sortir, mais nous, nous voyons : la mémoire refuse de s’en aller.

 

 

Propos recueillis à Paris, le 17 Septembre 2015.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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