Arnold de Parscau –  » Une barque sur l’océan « 

Par amour pour Margaux, jolie pianiste française expatriée à Bali dans une villa luxueuse, Eka, jeune balinais qui accumule les petits boulots, décide d’apprendre à composer de la musique, espérant une nouvelle vie…

Deuxième long-métrage d’Arnold de Parscau (après Ablations), Une Barque sur l’Océan a pu être produit grâce à une campagne de crowdfunding et tourné avec un très petit budget, une toute petite équipe et des acteurs pour la plupart non-professionnels. Un projet vaste et très personnel, conçu comme une somme d’hommages et de déclarations d’amour. L’intrigue n’est autre qu’une libre adaptation du roman Martin Eden de Jack London, dans laquelle la musique classique prend la place de l’écriture, le réalisateur ayant grandi dans une famille de mélomanes. Le titre, Une Barque sur l’Océan, fait d’ailleurs référence à la troisième pièce pour piano des Miroirs de Maurice Ravel. Quant au choix du lieu, Bali, il s’agissait là encore de mettre en lumière des paysages connus et aimés.

Une barque sur l'océan : Photo Dorcas Coppin, Hari Santika

Copyright Wayna Pitch

Suivant un schéma narratif très proche de celui du roman de Jack London, le film se réapproprie les nombreuses thématiques abordées dans ce dernier. Derrière ce qui aurait pu être l’histoire d’une simple romance à Bali, le choc des cultures, la lutte des classes, le besoin de reconnaissance et d’élévation sociale, sont autant de thèmes fondamentaux qui occupent finalement le devant de la scène. Mais surtout, l’histoire d’amour n’a de sens que parce qu’elle amène vers le véritable sujet du film : l’amour pour la musique. C’est le coup de foudre amoureux qui pousse le jeune homme à s’intéresser au piano. L’étape cruciale de la conquête amoureuse ne convainc pas vraiment, souffrant d’un canevas et d’une mise en scène trop classiques, rendant le tout un peu factice : scène en scooter cheveux au vent, les multiples gros plans sur la bouche de Margaux ou sur ses doigts qui glissent sur les touches du piano, la séquence romantique où chacun apprend à l’autre à dire « je t’aime » dans sa langue maternelle… tout y est. Finalement, Eka tombe-t-il vraiment amoureux de Margaux ou plutôt de ce qu’elle représente (la culture occidentale, la réussite…) ? Se pose également la question du rapport du jeune homme à la musique. Ses ambitions et sa détermination sans faille ne résultent-elles pas uniquement d’une quête de reconnaissance et d’élévation sociale ? Une quête de reconnaissance qui l’amène rapidement à changer d’attitude, passant du jeune homme timide, déterminé et maladroit à l’artiste incompris, égocentrique et agressif, qui semble avoir oublié son passé et malmène son entourage.

Une barque sur l'océan : Photo

Copyright Wayna Pitch

Un virage s’amorce, une sorte de parenthèse dans l’enchantement, qui marque le retour à la réalité, le début des échecs et des questionnements. C’est quand la musique (élément central du film à tous les niveaux) prend le pas sur le reste que les situations de rupture s’enchaînent et les obstacles s’accumulent. Les maisons d’édition refusent systématiquement les compositions du jeune prodige pour qui rien ne va assez vite (il commence à peine à apprendre le piano qu’il souhaite déjà composer ses propres morceaux). Très vite, on lui rappelle d’où il vient. Sa sœur, bienveillante mais plus en prise avec le réel, tente en vain de l’aider à trouver le juste équilibre entre sa passion et la nécessité de gagner sa vie en ayant un « vrai » travail. Quant à la famille de Margaux, elle ne manque pas de souligner le statut du jeune balinais, entré à leur service comme jardinier, « pas assez bien pour leur fille ». C’est là que le film prend un peu plus d’ampleur, jouant la carte du récit d’apprentissage, tout en attaquant frontalement les questions sociétales.

Une barque sur l'océan : Photo Hari Santika

Copyright Wayna Pitch

Malheureusement, la mise en scène reste illustrative. La caméra, omniprésente, empêche une réelle implication émotionnelle. Les qualités esthétiques du film – maîtrise des cadrages, photographie magnifique – se retournent régulièrement contre lui, lui donnant l’aspect d’une carte postale. Cadres larges, plongées vertigineuses mettant en valeur l’immensité des paysages, ou encore atmosphère fumeuse, partitions répandues au sol traduisant le bouillonnement créatif, rien n’est laissé au hasard. La narration, également un peu sage et traditionnelle laisse peu de place à la surprise. Le spectateur, très accompagné, comprend trop souvent ce qui va advenir. À l’inverse, certains partis pris interrogent, à l’image de cette ellipse temporelle un peu abrupte, à l’issue de laquelle on découvre un Eka riche, célèbre et totalement transfiguré. Pari tenu malgré tout pour ce film, qui parvient à s’approprier à sa manière la matière narrative du roman pour amorcer la réflexion autour de sujets universels. Les acteurs non-professionnels sont très convaincants (Hari Santika notamment, qui incarne Eka, mais aussi Elisza Cahaya, sa sœur) et les seconds rôles donnent du poids à l’intrigue en l’ancrant véritablement dans un cadre spatio-temporel bien défini, lui permettant de s’affranchir de son étreinte romanesque parfois un peu étouffante.

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A propos de Marjorie Rivière

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