A défaut d’être « le dernier des pornographes » (selon les mots de Jean-Jacques Pauvert), Esparbec est sans doute le plus notoire et l’un des plus célèbres. Auteur d’une multitude de « romans de gare » chez Média 1000 (une centaine selon la plus célèbre encyclopédie en ligne), il s’est fait (re)connaître par des œuvres comme La Pharmacienne ou La Veuve et l’orphelin, dernier roman interdit d’exposition en 1995.

La Débauche est son dernier roman à ce jour et le premier que je lis de cet auteur. Il raconte l’histoire d’un jeune homme de 17 ans, Gérard, qui débarque chez son frère après avoir été renvoyé d’un « sinistre internat catholique ». Sur place, il tombe sous le charme de sa belle-sœur Armande beaucoup plus âgée que lui et qui l’entraîne peu à peu dans des jeux érotiques de plus en plus osés…

Sans connaitre particulièrement l’œuvre de l’auteur, on constate immédiatement un certain attrait pour les relations incestueuses qui caractérise un certain nombre de ses romans. Ce qui frappe aussi, c’est un style joliment troussé (sans mauvais jeu de mots), direct et sans fioriture. L’amateur/voyeur qui recherche dans la pornographie des émotions bien précises ne sera pas déçu.

Pourtant, si les situations sont relativement convenues (initiation de l’adolescent par une femme mûre, turpitudes bourgeoises, un certain sadomasochisme dans les relations amoureuses…), Esparbec parvient toujours à leur donner un caractère singulier, à les rendre intrigantes et même parfois ensorcelantes.  Je vois trois raisons à la réussite de son cocktail.

Tout d’abord, un vrai sens de l’approche et de l’attente. On le sait, la pornographie pêche souvent par cette morne manière de répéter les mêmes figures imposées sans la moindre volonté de mettre en scène les accouplements et autres jeux érotiques décrits crument. Or Esparbec soigne son atmosphère, parvient à créer un climat lourd et sensuel (Armande qui s’exhibe devant son jeune beau-frère mais qui entame un jeu pervers où elle se donne tout en se dérobant). Du coup, en dépit de sa grande crudité, La Débauche n’apparait pas comme une simple succession de saynètes hard mais comme un vrai roman construit, avec des personnages possédant une certaine épaisseur.

Deuxième point très réussi : cette manière de vraiment mettre en scène les situations les plus érotiques en jouant souvent sur le regard d’un tiers. Le voyeurisme occupe une place importante dans le roman, soit qu’Armande invite Gérard à mater en toute impunité ses sulfureux ébats, soit que Gérard décide d’exhiber aux yeux de libidineux habitants du cru sa nouvelle conquête qui ignore qu’elle est regardée. Ce jeu avec le regard est, bien évidemment, une manière de rappeler au lecteur sa place et de le faire frissonner en lui offrant ce qui lui est communément interdit.

Enfin, le dernier élément est parfaitement résumé par le personnage d’Armande lorsqu’il affirme que « c’est dans la tête que ça se passe. Si je mouille, c’est à cause des idées… ». Il y a dans l’érotisme d’Esparbec une dimension cérébrale évidente. Certes, le « physiologique » occupe généralement le devant de la scène, y compris dans les détails les plus sordides. Mais si on se vautre dans l’ordure, si l’on connaît l’extase en s’abandonnant à ses plus « vils » instincts (mais, après tout, pourquoi les désirs seraient-ils « vils » ?), c’est aussi pour des raisons « intellectuelles », pour mesurer ce qui fait aussi la nature même des hommes. C’est sans doute un peu exagéré de placer ce roman sous le signe de Georges Bataille mais il y a parfois un peu de ça, une manière de s’aventurer dans les gouffres et de tirer le plus grand plaisir d’une certaine souffrance (physique ou « morale »).

Je ne révèlerai évidemment pas le fin mot de cette histoire mais là encore, l’auteur parvient à nous surprendre et nous oblige à reconsidérer l’œuvre à l’aune de ces dernières lignes mais également  toute la production littéraire d’Esparbec et ses recoins secrets.

Une réussite dans le genre, donc, mais à réserver bien entendu, selon la formule consacrée, à un public (très) averti…

 

La Débauche (2017) d’Esparbec

La Musardine, 2017

ISBN : 978-2-84271-807-7

155 pages. 15 €

Sortie le 19 janvier 2017

© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

A propos de Vincent ROUSSEL

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.