Bill Cardoso – « KO à la 8e reprise »

« cinquante jours et cinquante nuits au Congo. J’y ai tout vu. »

Zaïre, 1974. Le monde retient son souffle : Mohammed Ali VS. George Foreman. En jeu ? Le titre de champion du monde poids lourds de boxe anglaise.

Enfin, le monde, entendons-nous : le monde occidental, surtout, le monde hors Zaïre, qui accourt comme à Disneyland assister au combat, journalistes à foison, vermine aveugle au merdier insupportable du pays sous le coupe de Joseph-Désiré Mobutu, le sanguinaire protégé de la CIA.

Au milieu de la fange, notre héros du jour : Bill Cardoso, envoyé par le New Times pour couvrir le combat, et qui se rend bien compte que le report du combat un mois plus tard risque de provoquer une dérive de l’expérience journalistique.

Un space cake et un spliff plus tard, le tout arrosé d’un bon coup de rouge ou d’un cocktail, lets go : le trip peut commencer.

Dans cette parenthèse de trop du nuit, Cardoso va « tenter » le récit. On y croise en vrac et dans un désordre para-conscient : Budd Schulberg, auteur à succès de Plus dur sera la chute (et scénariste de Sur les quais), qui nous rejoue une séquence las vegas parano où il explose une porte pour échapper aux iguanes, une digression sur les veilleurs de nuits dans les magasins et leurs feux sacrés, le marché noir du zaïre Vs. Dollar, Stanley et Livingstone, les bookmakers et les financiers sportifs, nos boxeurs Ali et Foreman, trop loins, un cobra et une tentative d’empoisonnement, sans compter la malédiction Vaudou, Norman Mailer ivre prenant la place de Sonny Wilson à une conference de presse déchaïnée, une vague arnaque internationale et toujours ce putain de billet d’avion retour introuvable, si seulement Hank Schwartz voulait bien se démener…7149649-10961909

Et le fantôme de Mobutu, partout, nulle part. Paranoia des micros cachés, omniprésence visuelle et médiatique, retransmissions de matchs interrompus quand l’équipe nationale perd, peur des villageois, mots pesés et l’effroi tu, partout. Expérience d’un pays sous la coupe d’un « connard », où l’international-journalism vient jouer la mascarade hallucinée du sport et du pouvoir pour vivre un énième « combat-du-siècle » : « un cadeau du président Mobutu au peuple zaïrois et un honneur pour l’homme noir », promet l’affiche.

Difficile alors de hiérarchiser ici à jeun cette descente aux amphèts : car qu’importe le python ou le vaudou chez tonton Bill tellement défoncé qu’il finit par laisser un double maléfique prendre la plume à la troisième personne.

  • THE RUMBLE IN THE JUNGLE.

Cardoso, de toute manière à demi-éveillé, tape systématique « à côté » : de ses pompes, dans son rythme et sa narration, hachée et vagabonde, incapable de se focus ; de son enjeu, tant le combat soit-disant-historique ne prend qu’une page maximum dans les ultimes pages, et si on apprendra au détour d’une phrase qu’il a une interview exclusive d’Ali, oups il oublie de nous parler, parce que le soleil du jardin tape sur la canne d’Ali.

C’est un flot logorrhéique et gonzo (dont la légende veut que Cardoso soit le premier à employer le terme à propos de Thompson), dont le torrent nous emporte sur plus d’une centaine de pages sans un seul chapitre ou respiration.

Et il faut bien avouer que, dans ce grand bain bop ivre et défoncé, qui doit autant à Kerouac qu’à une version off de Sous le Volcan où le consul aurait pris la plume, ce qui impressionne le plus est qu’il finisse par dire quelque chose. A la manière de ces grands films américains seventies où les séquences off et pattes d’eph’ finissaient par prendre le pas sur le Watergate, la pulsation vertigineuse de l’époque : une ambiance, un moment, une sensation.

C’est foutraque, c’est puissamment anecdotique, et pourtant difficile à lâcher tant le flux emporte dans ce réel halluciné. Vous en reprendrez bien une ligne ?

En librairie le 4 Février 2016.

Editions Allia, 112 pages, 7.50 euros.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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