"Théâtre sans Animaux", m.e.s. Jean-Michel Ribes (en tournée).

Dans Théâtre sans Animaux, Jean-Michel Ribes convoque les trublions, les originaux, les secoueurs d’opinion, pour bâtir une pièce légère à l’humour décapant.


 
Pourquoi ne dessine-t-on plus les carpes ? Porter une perruque de Louis XV permet-il d’arrêter de fumer ? Peut-on oublier le prénom de sa fille ? Doit-on dire à une comédienne qu’elle n’a pas de talent, d’autant plus lorsqu’il s’agit de votre belle-sœur ? Autant de questions auxquelles l’auteur, metteur en scène et directeur de théâtre Jean-Michel Ribes essaye de répondre avec la verve qu’on lui connaît.
 
Composée de huit saynètes aux noms évocateurs (Égalité-Fraternité –Tragédie – Monique – Musée – USA – Dimanche – Bronches – Souvenirs), Théâtre sans Animaux est une réflexion amusante sur ces personnages qui nous amènent à penser autrement, sur ces empêcheurs de tourner en rond chers à l’auteur et qui changent le monde à grands coups d’extravagance. En prenant le parti de l’absurde, ce dernier détourne des scènes classiques du quotidien en y ajoutant une étincelle, ce grain de sable dans les rouages dont il va s’amuser à ensuite observer les effets.

« Ils sont chics. Costumes de gala. Louise, tendue, marche vite. Jean-Claude, visage fermé, traîne derrière. Escaliers, couloirs, ils cherchent un nom sur une porte.
 
Louise. – « Bravo », tu lui dis juste « bravo », c’est tout.
Jean-Claude. – (Soupirs).
Louise. – Je ne te demande pas de te répandre en compliments, je te demande de lui dire juste un petit bravo… […]
Jean-Claude. – Je ne peux pas.
Louise. – Tu ne peux pas dire « bravo » ?
Jean-Claude. – Non.
Louise. – Même un petit bravo ?
Jean-Claude. – Non.
Louise. – C’est quoi ? C’est le mot qui te gêne ?
Jean-Claude. – Non, c’est ce qu’il veut dire.
Louise. – Oh ! Ce qu’il veut dire, ce qu’il veut dire, si tu le dis comme « bonjour », déjà il veut beaucoup moins dire ce qu’il veut dire.
Jean-Claude. – Ça veut quand même un peu dire « félicitations », non ?
Louise. – Oui, mais pas plus. Vraiment pas plus.
Jean-Claude. – J’ai haï cette soirée, tu es consciente de ça, Louise ? ! J’ai tout détesté, les costumes, les décors, la pièce et Elle, surtout Elle !
Louise. – Justement, comme ça tu n’es pas obligé de lui dire que tu n’as pas aimé, tu lui dis juste « bravo », un petit bravo et c’est fini, on n’en parle plus, tu es débarrassé et moi j’enchaîne… Tiens, sa loge est là !
Jean-Claude. – Je n’y arriverai pas. »
Théâtre sans animaux, Jean-Michel Ribes.
 
 

(c) Giovanni Cittadini Cesi
 
L’excentricité est bien sûr au cœur de chacune de ces séquences et le spectateur jubile de cette façon qu’elle a de tout investir comme un feu ardent.
 
Comme toujours chez Jean-Michel Ribes, le rire devient résistance et permet de s’interroger avec distance, sur l’absurdité même de la vie et ici, sur la monotonie de cette dernière. Ainsi voit-on l’idiot « concon » de la famille se rebeller contre la suprématie intellectuelle de son frère, le coiffeur réfléchir sur le sens à donner à son existence et le père de famille creusois, abandonner femme et enfant après avoir compris le message quasi divin laissé par un stylo-bille géant fraîchement débarqué dans le salon… le tout dans un rythme effréné qui voit les décors sans cesse se moduler au gré des enchaînements.
 
Créée et montée pour la première fois en 2001, Théâtre sans Animaux est un des plus grands succès de l’auteur qui a reçu pour l’occasion en 2002 trois Molières :
  • Molière du meilleur spectacle comique
  • Molière de la comédienne dans un second rôle : Annie Grégorio
  • Molière de l’auteur francophone pour Jean-Michel Ribes.
La version proposée en 2013 est une version légèrement remaniée pour coller au plus près aux préoccupations actuelles (à titre d’exemple, le mariage homosexuel est évoqué dans une des scènes) et l’occasion pour le directeur du Théâtre du Rond-Point d’affirmer une fois de plus son attachement pour « ces petits moments délicieux qui nous disent que le monde n’est pas définitivement prévu et qu’il existe encore quelques endroits où la réalité ne nous a pas refermé ses portes sur la tête. »
 

(c) Giovanni Cittadini Cesi
 
Si le texte s’avère de temps à autre poseur dans la mesure où il s’écoute un peu en abusant de ces bons mots dont on sait qu’ils font mouche, il reste d’une précision indiscutable et, si tant est que l’on adhère à cette absurdité très proche de celle d’un Ionesco, fait preuve d’une drôlerie indéniable.

Cette pièce est également l’occasion pour les comédiens, grands habitués pour la plupart du théâtre de Ribes, de s’en donner à cœur joie. Une mention toute particulière pour la comédienne Annie Grégorio, d’une truculence exceptionnelle.
 

À noter enfin la scène intitulée « Musée » qui n’est pas sans rappeler un des autres chefs-d’œuvre de Ribes, « Musée Haut, Musée Bas », que l’auteur écrira trois ans plus tard en 2004.
 
« Lili : Tu savais que si tu plisses les yeux devant un Goya ça fait comme un Renoir.
[…]
Anne : J’adore toute cette période qui va de Vinci à Warhol. » Théâtre sans animaux, Jean-Michel Ribes.
 
Pour conclure, Théâtre sans Animaux est une pièce très drôle et efficace dont on ressort léger et frétillant, comme un poisson.
(Sans doute une carpe…).
 
A découvrir jusqu’au 23 mars au Théâtre du Rond-Point puis en tournée :

27 mars – 30 mars 2013 Théâtre National de Nice (06)
2 avril – 6 avril 2013
Théâtre des 13 Vents, Montpellier (34)
9 avril – 11 avril 2013
Théâtre d’Angoulême (16)
14 avril 2013 Théâtre des Cordeliers, Romans-sur-Isère (26)
17 avril – 20 avril 2013
Odyssud, Blagnac (31)
27 avril 2013
Le Prisme, Elancourt (78)

texte et mise en scène : Jean-Michel Ribes
texte publié aux éditions Actes Sud, collection Babel

avec :

Caroline Arrouas
Annie Gregorio
Philippe Magnan
Christian Pereira
Marcel Philippot

scénographie : Audrey Vuong
costumes : Juliette Chanaud
musique : Reinhardt Wagner
lumières Laurent Béal
vidéo : Thierry Coduys et Johan Lescure
chorégraphie : Pierre Rigal
assistante à la mise en scène : Virginie Ferrere
assistant à la scénographie : Simon Stehlé
production : Théâtre du Rond-Point / Le Rond-Point des tournées

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A propos de Alban Orsini

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