« Straight White Men », m.e.s. Young Jean Lee

« Je rêve d’un Noël social ! ».

Réunis pour les fêtes de fin d’année dans la maison familiale, trois fils et leur père se retrouvent, discutent et font les idiots. Il y a le frère qui vient tout juste de divorcer, l’auteur un peu lunaire et enfin il y a Matt. Matt a un problème : lui qui avait pourtant tout pour réussir _ il est beau, il est intelligent, il est drôle_ peine à trouver sa place dans la société. Obligé de vivre avec son père pour des raisons financières, il semble porter chaque jour un peu plus le poids de son échec.

Sa famille parviendra-t-elle à découvrir ce qui le ronge vraiment et à lui redonner confiance en lui ?

Elle nous avait littéralement bluffés en 2012 avec son cabaret burlesque The Untitled Feminist Show, sans doute l’un des spectacles les plus rafraîchissants et pertinents de cette année-là, la metteure en scène américaine Young Jean Lee revient en France pour notre grand plaisir (il faut bien avouer qu’on l’attendait en trépignant !) avec ce Straight White Men tout aussi génial que risqué. Young Jean Lee effectue en effet avec ce spectacle un virage à centre quatre-vingts degrés en proposant une forme classique et hyperréaliste très éloignée de ses précédentes propositions qui flirtaient toutes avec la performance. Ce faisant, elle interroge son savoir-faire et se met littéralement en danger.

« Chaque nouveau projet est l’occasion de faire quelque chose que je n’ai jamais fait et que je ne sais comme aborder. Ma dernière pièce était sans dialogue, purement gestuelle, et celle d’avant était chantée et dansée alors que je ne sais faire ni l’un ni l’autre. J’ai tendance à choisir ce qui serait mon pire cauchemar et jusqu’à présent je ne m’étais jamais intéressée à l’écriture d’une pièce traditionnelle linéaire. J’ai travaillé à plusieurs reprises sur l’identité et je me suis dit que l’identité que j’aimerais le moins aborder était celle de l’homme blanc hétérosexuel. Je vois la structure traditionnelle en trois actes comme la forme théâtrale qui lui est attaché par excellence, une forme qui a toujours été utilisée pour présenter des histoires d’hommes blancs hétérosexuels comme des récits universels. Cela me semblait intéressant d’explorer simultanément les limites de cette forme et de ce contenu – de réunir les deux dans un seul grand cauchemar », Young Jean Lee à propos de Straight White Men (propos recueillis par Barbara Turquier).

(c) Wolfgang Silveri

(c) Wolfgang Silveri

À première vue le spectacle, qui prend des allures sages de sitcom très écrite et raconte une histoire somme toute banale, semble assez fade tant dans le fond que dans la forme très classique, mais ce serait bien vite oublier la volonté cabotine de Young Jean Lee de placer le spectateur au cœur de la réflexion. La clé de cette histoire est en effet donnée dans le titre : le spectacle est avant tout une interrogation sur l’homme blanc hétérosexuel.

Qui est-il ? Quels sont ses privilèges ? Représenter la norme, est-ce de tout repos ? Quel est le poids qui repose sur ses épaules ?

Matt représente en effet ce qui n’a pas fonctionné dans cette norme imposée par la société : il n’a pas réussi à s’accomplir en tant que personne et ce choix qui lui est propre de vouloir rester dans cette situation semble incompréhensible. Pour sa famille cette décision est forcément symptomatique de quelque chose de plus sournois : sans doute Matt cache-t-il une quelconque homosexualité, ou bien encore se peut-il qu’il soit dépressif ? N’est-il pas encore tout simplement compromis par quelques idéologies politiques perverses ?

« Plutôt que de dire que Matt est confronté à un problème, on pourrait dire qu’il donne à voir un problème. Son père et ses frères croient qu’il a refusé ou qu’il n’a pas réussi à accomplir son droit de naissance en tant qu’homme blanc hétérosexuel. Ils pensent – comme une partie sans doute des spectateurs – que ce refus est un geste absurde : irrationnel, inutile et contreproductif. Mais il faut ajouter que Matt ne dit rien qui indique qu’il souhaite “refuser son droit de naissance”. Il dit simplement que la meilleure chose qu’il puisse faire dans la vie est d’être un bon fils qui s’occupe de son père. S’il s’agissait d’une fille et non d’un fils, cela ne semblerait peut-être pas si mystérieux ou absurde pour sa famille ou pour le public » Young Jean Lee à propos de Straight White Men (propos recueillis par Barbara Turquier).

« Matt, es-tu un loser sans raisons ? »

Si de nombreuses pièces interrogent la place de l’Autre dans la société (qu’il s’agisse de sexualité, de couleur de peau, ou bien encore de handicap…), bien peu questionnent la banalité des privilégiés de la norme. Parce que très justement il appartient de facto à cette dernière, il n’y que peu d’intérêt à s’arrêter sur la condition de l’homme blanc hétérosexuel pour la représenter tant tout est dit au travers de ses actions même. Young Jean Lee prend pourtant le parti de donner à voir frontalement ce personnage si classique de la fiction pour le confronter véritablement à sa position. Ce regard se révèle finalement très novateur et poursuit sans qu’il n’y paraisse le travail de la metteure en scène sur l’identité, qu’elle soit sexuelle, sociale, politique, économique ou ethnique.

« Mes pièces sont très différentes les unes des autres, en termes de forme et de contenu, même si certains thèmes restent les mêmes. Mon prochain projet parlera de l’histoire américaine et sera joué par une  troupe intégralement constituée d’Amérindiens » Young Jean Lee à propos de Straight White Men (propos recueillis par Barbara Turquier).

Nous serons au rendez-vous.

A découvrir jusqu’au 19 octobre au Centre Pompidou dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.

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A propos de Alban Orsini

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