« J’essaie de chercher la parole dans les errances »

Tout en bas du ravin, les cadavres de ferrailles sont harnachés par les enfants, hissés par le père jusqu’au pont, et se balancent dans le vide au-dessus d’eux. Ce sont des corps soûls, rouillés et brûlants, de toutes tailles, qui attisent l’avidité du père de famille et harassent les enfants. Des corps voués à une refonte intégrale, au recel. Tout est sec ici, et tout est vertical. Les ordres du patriarche, le paysage de rocaille, les silhouettes des deux gamins. Et puis, l’inespéré : Oscar tombe sur la Vierge. Une Vierge immaculée, réutilisable telle quelle. Elle aussi, on l’enrubanne, et l’on assiste à sa laborieuse Assomption vers la remorque du père.

 

Il Mio Corpo 2020 |Copyright Nour Films

 

Ainsi commence Il mio Corpo, de Michele Pennetta : sur l’ascension de statuaires sous le soleil de Sicile. Pennetta nous prévient : nous sommes dans une Italie désertée des dieux. L’Italie du Mouvement Cinq Étoiles et des naufrages en Méditerranée. C’est justement l’un des migrants venus par la mer que choisit le documentaire comme second protagoniste : Stanley, jeune Nigérian qui partage son espace de vie avec l’un de ses compatriotes en demande d’asile. Il vit grâce aux services rendus pour la paroisse et aux rétributions du prêtre conducteur de 4X4, qui lui permettent à peine de payer le marchand de sommeil. Sans se connaître, Oscar et Stanley ont une trajectoire commune. La foi dans la résistance pour le premier, la résistance dans la foi, pour le second.

Il mio Corpo est un film sur ceux qui sont regardés par en-haut, et sur l’impossible relation au père. Le Père sourd aux prières, ou le père trop bête pour aimer. Même morts, les pères sont écrasants, en témoigne cette scène où la famille d’Oscar se trouve réunie pour ce qui semble être l’énième visite au grand-père, perché dans une des niches du colombarium. « Tu as guidé tes enfants comme tes enfants guident les leurs ». Le regard du jeune adolescent défie le marbre.

À la veille de sa sortie sur les écrans français ce mercrdi 26 mai, nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir avec Michele Pennetta au sujet de son magnifique troisième film et deuxième long-métrage.

Notre entretien

AH: Vous êtes né en Lombardie, vous avez étudié en Suisse, à Lausanne et à Genève. Qu’est-ce qui vous a mené jusqu’en Sicile pour vos trois derniers films ? D’où vient la fascination pour cette île ?

MP: Je suis né dans le nord de l’Italie mais j’ai grandi dans le sud, dans les Pouilles. J’ai vécu la majeure partie de mon enfance dans le sud pendant que mes parents terminaient leurs études dans le nord, et donc la dernière fois que je suis retourné dans le sud j’avais 18 ans. À cause de mon enfance, j’a toujours eu cette fascination pour le sud de l’Italie. Pour la Sicile, c’est arrivé pendant mes études, au lycée, quand on a commencé à étudier l’auteur sicilien Giovanni Verga en littérature italienne. Il a toujours raconté les microcosmes sicilien, dans les années 40 et 50. Il été à la littérature italienne ce que les néoréalistes ont été au cinéma italien. Il parle des pêcheurs sans emplois, des mineurs, des enfants qui travaillaient dans les mines pour nourrir la famille… Et donc à la fin de mon cursus en cinéma à Lausanne [NDLR : ÉCAL-HEAD], un peu au hasard, j’avais envie de faire un premier film en Sicile, et donc j’y suis allé un peu « en mode touriste », en essayant d’aller chercher ce que j’avais lu chez Verga. Je me suis confronté à son univers, et avec mon premier film j’ai commencé à m’intéresser aux courses [NDLR: dans son premier film, A Iucata, 2013]. Ce qui m’intéressait c’était déjà essayer de rentrer dans ces milieux-là, à chaque fois dans mes films ce sont des microcosmes inaccessibles pour la plupart des gens…

AH: Comment on se fait accepter en tant qu’artiste et documentariste en Sicile, dans des milieux mafieux de paris équestres, sur un bateau de pêche clandestin ou dans la famille d’un homme violent et alcoolique ?

MP: Je pense que la première approche, c’est d’abord celle de la recherche, pas juste la fascination pour les causes clandestines. J’ai commencé par me demander pourquoi les gens faisaient ces genres d’activité — sans juger — et donc, comme je le disais, j’y suis allé comme un touriste au début, et après j’ai assez vite été accepté par ces gens-là parce que paradoxalement je ne m’intéresse pas à ce qu’ils font mais à ce qu’ils sont, à qui ils sont. La chose la plus longue dans mon travail c’est de comprendre qui les gens sont. Je passe énormément de temps avec eux avant de les filmer ; jusqu’au moment où ils m’acceptent. Et donc cette approche est humaine, elle met à l’aise les gens auxquels personne ne s’intéresse, à part peut-être pour des reportages télé… Pour les courses clandestines par exemple, il n’y avait jamais eu de film qui a pu être tourné de l’intérieur. Tout ce que l’on voyait de cette activité, c’était seulement des cadavres de chevaux trouvés ici et là dans les rues. C’était ça, le point de départ… puis j’ai essayé de comprendre pourquoi ce type de personnes vivant dans ces quartiers étaient obligés de faire ça. Il y a une raison liée à la survie de leur propre famille et de leur entourage, ce n’est pas pour le plaisir. Ce sont des endroits où la loi et l’Etat sont absent. Et c’est une chose commune aux trois films, je pense. Les gens y construisent leurs propres lois.

Il Mio Corpo 2020 |Copyright Nour Films

 

AH: Oscar et Stanley, les deux protagonistes qui ressortent de la narration, sont des personnages très lumineux, très solaires. On a l’impression qu’ils vont chacun trouver en eux les moyens de s’en sortir, de s’extirper de leur situation, que vous les avez cueillis au début d’un conte qui commence mal… Est-ce que c’est quelque chose que vous aviez souhaité initialement ?

MP: Avec eux, oui, c’est clair… Ce qui change par rapport aux deux précédents films c’est qu’il y a une proximité de moi vers eux beaucoup plus marquée. Ce n’est pas quelque chose que j’ai décidé tout de suite, mais ça s’est construit avec le temps que j’ai passé avec eux, petit à petit. La lumière qu’ils dégageaient est devenue la vraie protagoniste du film. C’est aussi la raison pour laquelle à la fin du tournage, on a décidé de les faire se rencontrer… On a d’ailleurs tourné une séquence qui n’était pas prévue.

AH: Le père d’Oscar, au début du film, se plaint de son fils qu’il juge fainéant et pas assez docile, et il dit « Je vais l’échanger contre un noir à la première occasion ». Et là, on passe à cette seconde histoire, parallèle, avec Stanley, qui est un migrant nigérian. Qu’est-ce que les deux personnages partagent, selon vous ?

MP: Il y a plusieurs choses. La plus concrète, pour moi, c’est le territoire. Ce territoire, le centre de la Sicile, est exploité à la fois par la famille d’Oscar et par les migrants. Il y a aussi la même sensation que les deux ont de vivre une vie dessinée par quelqu’un d’autre et pas par eux mêmes. Quelque part, les deux véhiculent cette grande envie du libre arbitre qui leur a été volée. C’est la chose qui m’a poussé à essayer de tisser ces liens, coudre ces histoires au montage.

Il Mio Corpo 2020 |Copyright Nour Films

 

AH: À la base vous vouliez suivre seulement la famille d’Oscar, notamment son grand frère, et Stanley n’a été rencontré que pendant les repérages.

MP: Oui, je l’ai rencontré en vivant sur place. J’ai passé presque une année à faire des repérages, à aller et venir. J’ai essayé de comprendre ce territoire, et pourquoi des gens décident de ne pas le quitter. Parmi ces gens-là il y a les ferrailleurs. Je suis tombé sur Oscar et Marco, et je pensais que le protagoniste serait Roberto, le grand-frère, parce que j’avais « bêtement » idéalisé que dans le grand-frère se trouvait le conflit avec le père. Mais le premier jour de tournage, on a tout de suite compris que ce n’est pas là qu’il fallait chercher… Roberto avait déjà accepté son destin de ferrailleur. Son petit frère Oscar en revanche se trouvait dans un moment de sa vie où il ressentait encore cette épée de Damoclès. Et puis Stanley est arrivé après. Bien sûr j’avais un peu l’intuition de raconter une deuxième histoire, et j’avais pensé aux migrants parce qu’aujourd’hui c’est la deuxième population qui vit dans cette région, c’est un très grand centre de migrants en Europe, Pian Del Lago. Il y a beaucoup de migrants qui errent, à faire des petits boulots. Stanley, je l’ai rencontré en faisant du repérage dans une église, parce qu’Oscar devait aller au baptême d’un cousin, et j’étais allé voir l’église avant. Et Stanley nettoyait le sol de l’église. J’ai demandé au prêtre qui c’était. Son statut était très différents des statuts des autres migrants que j’avais rencontré jusque là [NDLR : il avait un permis de séjour, donc le droit de travailler] et surtout ce qui m’avait frappé c’était son envie de ne pas partir. Son envie de rester là et de s’intégrer. Pour lui l’intégration dans cet endroit était fondamental, c’était un peu sa mission. C’est là que je me suis dit qu’Oscar et Stanley avaient beaucoup de choses en commun et que j’ai décidé de les mettre ensemble.

AH: Ce qui m’a marqué dans vos 3 films, et c’est très vrai pour Il mio Corpo, c’est qu’on se retrouve très souvent plongés dans le silence avec les personnages principaux, et notamment dans le silence du travail. Et en parallèle, le paysage sonore est très expressif autour d’eux, très travaillé. Est-ce que le silence vous inspire d’une façon particulière, et comment l’avez-vous travaillé dans ce film ?

MP: Je suis un grand amateur de la puissance expressive des images. La parole dans ce film n’est en effet pas le protagoniste mais j’essaie de chercher la parole ailleurs justement ; dans les errances. Et je trouve quelque chose dans le silence des gens qui ne parlent pas beaucoup, des gens qui subissent. J’essaie de capturer leurs pensées, d’essayer d’imaginer ce qu’ils auraient dans la tête, quelles seraient leurs envies, leurs rêves… Donc c’est clair pour moi : le silence c’est quelque chose qui parle beaucoup plus, qui est un dialogue. Je pousse souvent les silences jusqu’au bout.

AH: Il y a cette séquence où Stanley nettoie le sol de l’église, et le bruit de la serpillère fait corps avec le rythme de la musique religieuse diffusée dans l’espace, derrière lui…

MP: Les silences sont important, mais les sons auss, en effet. À part à la toute fin, aucune musique n’a été rajoutée dans le film. Je tourne énormément avec les sons sur place.  Après chaque prise, l’ingénieur du son avec qui je travaille, Edgar Iacolenna, fait encore une heure d’enregistrement de sons de la rue, des ambiances, des petits bruits… J’adore construire le montage son avec les ambiances du lieu. 

 

Il Mio Corpo 2020 |Copyright Nour Films

 

AH: On doit souvent vous demander comment vous entrecroisez le documentaire et la fiction, savoir quelles situations ont été fabriquées ou recréées, et lesquelles ont été des surprises complètes… Ce qui nous intéresse encore davantage c’est de savoir comment on réussit à faire oublier qu’on est dans un documentaire, qu’on filme le réel… C’est aussi une question qu’on se pose quand on voit les documentaires de Roberto Minervini (Le Coeur battant, The Other Side, What You Gonna Do When the World’s on Fire ?… ).

MP: Avant de tourner Il Mio Corpo, j’ai passé 4 mois avec la famille d’Oscar et avec Stanley, en alternance. J’allais travailler avec Oscar, je mangeais avec eux, même chose pour Stanley. Ma présence était plus qu’acceptée, j’avais obtenu une confiance maximale. L’équipe et moi avons passé du temps avec eux, et en parallèle on imaginait quelle séquence on allait faire, par quoi on allait commencer en s’inspirant de leur quotidien. Ce travail de préparation a été fondamental pour la suite, pour être au coeur. Bien sûr, la caméra et l’équipe ne disparaissent pas, on ne devient pas invisible, ce ne serait pas vrai de dire cela… Chaque fois que tu mets une caméra dans un environnement réel tu es déjà quelque part en train de modifier un peu la réalité. Bien sûr, je ne faisais pas répéter les scènes. Tout ce qui est de l’ordre des dialogues, on savait très bien qu’on ne pouvait pas les refaire. On a essayé d’avoir un dispositif efficace pour être très concentrés pendant la seule prise possible. Pour ça, avec le chef opérateur, on avait une assistante qui faisait les mises au point à distance, en utilisant un outil habituellement employé dans la fiction. Nous, on l’a utilisé dans le documentaire pour faire en sorte que Paolo Ferrari [NDLR : le chef opérateur] puisse se concentrer seulement sur l’action et pas sur la netteté. Et moi, j’étais rarement sur le set, surtout dans l’appartement ; j’étais à l’extérieur, à regarder sur l’écran de retransmission vidéo, et j’étais relié au chef opérateur via une oreillette, pour lui dire s’il devait bouger ou pas. Et donc ce dispositif, en utilisant les outils de la fiction, nous a permis d’être très efficaces. Le choix du format scope y est aussi pour quelque chose : on n’a pas l’habitude de voir dans les documentaires : les spectateurs réalisent qu’ils sont en train de regarder un film. C’est un format qui flirte avec la fiction en rejouant les codes du western. Mais il est aussi très pratique parce qu’on avait moins besoin de sauter d’un personnage à l’autre : dans les scènes dialogues on peut se permettre d’avoir dans le cadre les deux personnages en même temps. Pas besoin de contrechamp ! Ça m’a pris presque trois films et 10 ans pour améliorer un dispositif qui me permettait d’obtenir ce rendu-là, celui de la fiction. C’est un peu comme choisir un pinceau pour un peintre.

AH: Le fond s’adapte à la forme, et vice-versa…

MP: Exactement, et puis il faut dire qu’aujourd’hui on vit dans un moment historique, où la frontière entre la forme des cinémas de fiction et des cinémas documentaires n’a jamais été si mince… Et ça, c’est aussi grâce aux progrès techniques qui permettent au documentaire d’utiliser des outils de la fiction et inversement. Je vois parfois des films où c’est peut-être l’inverse : un film de fiction mais filmé comme un documentaire ! C’est aussi possible grâce à des caméras qui sont beaucoup plus sensibles à la basse lumière et qui sont désormais accessibles au documentaire.

 

Il Mio Corpo 2020 |Copyright Nour Films

 

AH: J’ai lu dans une de vos interviews que la question migratoire, notamment celle des naufrages d’embarcations de migrants, vous l’avez croisée un peu par hasard en tournant votre premier film, mais que vous ne vous sentiez pas assez mûr pour la traiter. Qu’est-ce qui vous a fait murir entre temps ?

MP: C’est bien sûr la réalité, aussi. C’était présent dans mon deuxième film [NDLR : Pescatori di corpi, 2016]— envers lequel je suis très critique par ailleurs. Lorsque je voulais tourner Pescatori, j’ai filmé un groupe de pêcheurs clandestins qui étaient eux-mêmes confrontés à l’immigration. Et pour moi ça a été une occasion, dans mes deux derniers films et encore plus avec Il mio corpo, de montrer l’immigration de manière différente, éloignée des images qu’on a l’habitude de voir. En 2015, on a eu un bombardement d’images. Dans tous les journaux, on voyait des corps de gens sur les plages, cela infusait partout dans notre langage de la vie de tous les jours ; on avait perdu de vue le fait que c’étaient des humains. Cette déshumanisation de l’immigration à ce moment-là m’avait beaucoup touché. Dans Pescatori, j’a pris le parti de raconter l’immigration via le point de vue de quelqu’un d’autre, le point de vue des pêcheurs clandestins. Leur travail est menacé par les flux migratoires… Et dans Il Mio corpo, c’était l’occasion de mettre en miroir, comme le dit la scène finale lorsqu’ils se regardent, un Nigérian et un Sicilien. Ils ont les mêmes problèmes. C’est ce que je cherchais à explorer dans le film : comment dans cette Europe-là, on est tous « dans le même bateau ». La question n’est pas de savoir quelle quantité de migrants viennent, mais comment c’est possible qu’aujourd’hui il y ait en Europe des réalités comme celle d’Oscar et comme celle de Stanley.

AH: J’aime le fait que soit nommée dans votre film cette question de la déshumanisation et de la pitié, qui elle-même induit une certaine violence, à travers une séquence sur la plage où l’un des deux migrants dit d’un chien errant : « Regarde comme il est maigre », et son ami lui répond : « T’en fais pas pour lui »…

MP: Oui, c’est une des surprises qu’on a eues en dérushant… Une fois que j’ai eu la traduction, j’ai découvert ça. C’était très fort cette image du chien, c’était important de la mettre.

 

Il Mio Corpo 2020 |Copyright Nour Films

 

AH: Vous filmez des personnages qui subissent de plein fouet le patriarcat, de manière très verticale. Mais dans ces milieux que vous approchez, il y a plus invisible encore que les ferrailleurs, les pêcheurs, ou les parieurs : ce sont leurs femmes, leurs filles, leurs soeurs. Est-ce que vous envisagez de filmer des milieux mixtes, voire plutôt féminins ?

MP: Oui, c’est une question qui revient souvent (rires). Bien sûr… Là ce sont des milieux qui sont très patriarcaux ; des milieux masculins, tout simplement parce qu’en Sicile il y a l’idée que c’est l’homme qui doit protéger la famille, et la femme devient un tableau, presque un décor, même si l’absence de la femme raconte beaucoup. C’est ce que raconte cette statue de Madone en début de film… Je tourne l’été prochain mon premier film de fiction, qui sera inspiré de faits réels, donc c’est un peu l’inverse du film que j’ai fait là : je pars du documentaire et du réel pour ensuite construire une fiction. Ce sera l’histoire de deux jeunes femmes mineures, une histoire de prostitution en Slovénie. Le choix très masculin du sujet du film c’est aussi respecter la réalité…

AH: Ce qui est intéressant dans Il Mio Corpo c’est qu’il s’agit de deux figures masculines elles-mêmes victimes du patriarcat…

MP: Oui, exactement.

AH: Vous nous parliez de la Madone… Le titre « Il mio corpo » ; l’ascension de la Vierge ; Stanley qui travaille pour une paroisse ; le Stabat Matter à la fin… Est-ce qu’il y aurait là une thématique que vous vouliez explorer, ou est-ce simplement un effet collatéral du fait de tourner en Sicile ? Ça m’a aussi beaucoup fait penser au cinéma d’Alice Rorhwascher, à Corpo Celeste notamment… 

MP: C’est sûr que les pays méditerranéens sont encore très religieux, il y a une place importante pour les croyances. Je parlerais presque d’une religion en déclin dans ces lieux-là. Petit à petit au tournage je me rendais compte que ce facteur était très présent et au bout d’un moment j’ai essayé de tirer deux ou trois ficelles pour voir où cela nous mènera. Cette séquence d’ouverture où la madone est soulevée par une corde, on l’a tournée à la fin. Beaucoup de problématiques liées à la figure maternelle apparaissaient chez les personnages, du coup cette madone c’est une icône. Et en même temps c’est souligner aussi cette absence de la femme. C’était beaucoup plus clair : elle devait avoir sa place… Pour moi la religion et la réalité se mélangent ; le physique et le métaphysique vont ensemble. C’est aussi l’histoire du titre. Il devait évoquer le corps du Christ (« ceci est mon corps » ; le sacrifice), mais aussi des corps qui sont abimés par le travail. Donc il y a cette frontière, un peu comme celle du documentaire et la fiction. Ce sont des symboles de la réalité. Le Stabat Mater au générique c’est la même chose. Le texte raconte le sacrifice du corps, donc il y avait une forte résonance avec le film. Je ne suis pas habitué à mettre de la musique dans mes films donc c’était une véritable discussion. Mais ce qui m’intéressait c’était aussi son histoire, à ce morceau… plus que les paroles. Pergolese était un moine qui est mort très jeune, à 23 ans… Et il n’a jamais écrit ses musiques sur partitions. C’est Mozart, à l’âge 12 ans, qui se trouvait à Naples pour faire un de ses nombreux concerts dans les cours d’Europe et qui a écouté pour la première fois le Stabat Mater de Pergolèse. C’est là qu’il a décidé de le transcrire sur partition. Et je trouvait cette rencontre très belle : une rencontre qui ne s’est jamais faite physiquement, mais c’est la rencontre entre deux jeunes hommes. Quelque chose les a liés.

AH: Comme dans le film…

Oui ! J’ai réalisé qu’il avait une vraie place là-dedans. Mais je ne voulais pas utiliser une version existante ni une version chantée par des adultes. Je voulais des enfants, et avec beaucoup de chance je suis tombé sur un choeur d’enfants amateurs à Genève et sa directrice, een une ou deux semaines, a appris le chant à ces enfants et on est allés l’enregistrer dans une cathédrale à Genève. Pour moi c’est important que ce soient des enfants, car ils ne sont pas aussi précis dans la voix et il s’en dégage une vraie fragilité, des faiblesses. C’est aussi le miroir de ce film. Voilà pour le storytelling (rires) !

AH: La sortie du film a été repoussée deux fois à cause des confinements successifs,  j’imagine que l’attente n’a pas été facile… Comment vous vous sentez aujourd’hui ?

C’est assez abstrait ! Paradoxalement j’ai l’impression qu’un train est parti. On a tous vécu un an et demi complètement absurdes, et pour le film c’est la même chose. On n’a pas pu aller à Cannes  [NDLR : il était programmé dans la sélection de l’ACID 2020], il y a beaucoup de choses qui ont été annulées ; c’était bizarre, je n’arrive pas tellement à comprendre. C’est vrai que s’il était sorti à la date prévue ça aurait pu faire plus d’entrées et lui donner un peu plus d’élan, et pour un film comme ça qui ne reste pas longtemps en salles c’est important… Mais je ne vais pas me plaindre, on a tous vécu la même chose. Le film sort enfin, c’est le principal ! C’est le premier film que je fais qui a un souffle international… Il y a une sortie française, allemande, suisse, et peut-être italienne.

Propos recueillis par téléphone par Antoine Héraly. Merci à Michele Pennetta pour le temps qu’il nous a accordé.

 

Il Mio Corpo 2020 |Copyright Nour Films

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