« CET ENDROIT PEUT A TOUT MOMENT FAIRE L’OBJET DE LA VIGILANCE TM D’OUR NATION’S TRUTH ».

La Vigilance, c’est ce programme télévisé inventé pour régler définitivement ou presque le sujet qui rend l’Amérique malade : les armes à feux et les tueries de masse.
La Vigilance, c’est un programme calculé par algorithmes et qui peut se déclencher partout, à n’importe quel moment, annoncé par une série de faux tweets et de bruissements de réseaux : au supermarché, dans une école, une église, un rassemblement urbain, qu’importe. Soyez VIGILANTS.
La Vigilance, c’est quelques hommes armés jusqu’aux dents, gopro sur la tête, et un contrat simple : celui qui élimine le maximum de monde et ressort indemne gagne le pactole. Celui qui abat un des tireurs gagne une part du pactole.

Et bien sûr, surtout, le pactole Absolu est pour ONT, organisme média proche du gouvernement, maitre d’œuvre du programme et génies des algorithmes, calculant les probabilités d’approbation, le taux de personnes et flics dans un lieu, générant des publicités par IA, augmentant les budgets en direct (si un meurtre a lieu dans votre enseigne, c’est banco pour vous niveau image) ou remplaçant en mode deepfake  le visage d’une participante parce qu’asiatique (comment voulez-vous la faire passer pour une bonne américaine ?).

Une fois encore, la voix demande : « Vous êtes-vous préparés ? »
Une vidéo en vision nocturne de Moyen-Orientaux lambdas prenant d’assaut une ambassade, avec en bande-son le claque des AK-47. Des images de drones : le bombardement de bases de missiles.
Des petites embarcations endommagées arrivant dans des ports, bourrées à craquer de refugiés désespérés. De répugnants bidonvilles pleins d’enfants à la peau brune et aux yeux caves. Un campement en flammes dans le désert.
La voix demande : « Etes-vous attentifs ? »
[…]
«…nous ne portons tout bonnement pas assez d’intérêt à nos stratégies de maintien de l’ordre et de défense… » suivi par « … les méchants ont de l’avance sur nous. Ils passent à travers les mailles de nos filets, ils échappent à nos filtres ! » puis par « …on ne peut pas compter sur la technologie. Elle peut être mise en échec. Tout peut être mis en échec… »

 

Vigilance, de Robert Jackson Bennett, c’est donc le nouveau brûlot de l’excitante collection Une Heure-Lumière du Bélial’, qui rappelons-le, se veut de proposer dans divers univers des récits courts, percutants, et riches en sense of wonder, et dont la force de proposition est bien souvent de glisser, grâce à sa brieveté, sans retenue aucune dans son hypothèse.
C’est peu dire que Vigilance, par son rythme haletant et ses rebondissements tendus, obéit à chacun de ces termes, malgré un résumé et une thématique pourtant déjà bue jusqu’à la lie.

Rien de neuf alors sous le soleil de la NRA?

Certes, le thème des jeux cathartiques court depuis l’Antiquité romaine, et se couler dedans pour dénoncer les vices d’un système n’est pas non plus la floraison d’imaginaire absolu. Certes, encore, sa dystopie télévisuelle le rapproche d’une certaine veine politique dont le filon connut son apogée dans les années 70 avec des œuvres comme Network, Un après-midi de chien, etc., quand le cinéma de genre d’un Romero ne s’amusait pas de nos addictions consuméristes et pulsions de violences.

Teintez-le de compétition, et vous tombez sur Rollerball, Hunger Games ou sur le fabuleux « Marche ou crève » de S. King, qui renouvelait déjà le concours de danse de « They Shoot Horses don’t they » d’Horace McCoy en organisant un marathon infini dont le principe était simple : à chaque heure, on abat le dernier. Soit un winner, don’t be a pussy.

« Dans la salle de régie, McDean ordonne : « Hashtag  #RIPMollyJones en tendane sur tout, vite. » (p. 121)

Certes. Mais en renouvelant l’ensemble de ce corpus à l’échelle du terrorisme et des tueries de masse, en retirant presque intégralement le registre social (riche ou pauvre, tant que vous êtes une cible, c’est ok) et en intégrant au cœur de son dispositif un mélange détonnant d’un public tout à la fois victime et voyeur(ce qui, aux yeux des organisateurs, relèvent de la même chose, « L’Homme Idéal » devant son poste ou en ligne, archétype du votant Républicain), public qui n’est même plus un humain mais une froide analyse data et algorithmiques, Vigilance finit par tracer en une centaine de pages tendues un paysage désolé et désolant qui rappelle un peu trop notre époque sous l’agent Orange (not four more years…), où s’agitent des pantins apeurés et pétris de certitudes, cherchant une vérité qu’ils ignorent volontairement être manipulée par les instances dirigeantes.

Fake news, algorithmes des GAFAM, Cambridge Analytica, deepfake et cie, attisés à coups de slogans :

« A force, cela a conditionné les Américains à ne plus pouvoir concevoir leur pays autrement qu’en danger permanent. Voyant au JT des gens tirer, des gens hurler, des gens mourir, ils se sont mis à croire…que c’était tout simplement la vie normale. Et qu’il leur revenait de leur faire avec.
Là réside l’explication générale de la réaction des gens à Vigilance. Si un Américain apprenait qu’une de ses connaissances, un membre de sa famille ou un de ses amis s’était fait descendre dans l’émission de McDean, sa réaction n’était pas : « Comment diable peut-on permettre à ONT de tuer nos concitoyens ? »
Mais : « Pourquoi cet abruti n’avait-il pas un flingue pour riposter ? Pourquoi n’était-il pas préparé ? Pourquoi n’était-il pas vigilant ? »

 

L’ennemi, toujours extérieur : le Noir, le Mexicain, le Chinois. L’Autre. Ca vous rappelle quelque chose ?
Vigilance, en ne cédant jamais son délire série B et en poussant sa logique jusqu’au Z dans sa conclusion, parvient à tisser, mine de rien la toile des peurs d’une Amérique exsangue, géant vieillissant au pied tremblants, qui s’enfonce inexorablement dans l’hystérie. Ca vous rappelle quelqu’un ?

La logique destructrice, jusqu’au suicide, non dans un grand boom (l’ampleur, c’était les horizons sixties), mais dans une multitudes effarants de « pop » et de retweets.

« Comme c’est facile de nous faire nous détruire, en Amérique, songe-t-elle. Il suffit d’en faire un spectacle.»

 

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Le Bélial’, 178 pages, 10.50 euros. En librairie.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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