Plongez dans les chimères des trois plus grands illustrateurs féériques anglais de la fin du XIXe – première moitié du XXe siècle, j’ai nommé Edmund Dulac, William Heath Robinson et Arthur Rakham, ressuscités par trois superbes monographies, parues chez Les Moutons Électriques dans leur collection Artbooks féériques (dirigée par Christine Luce) et réunies dans un coffret. Si leurs illustrations de contes, leurs rêves de tapis volants, de fées, de géants et de monstres, de légendes orientales ou celtiques nous sont familières, on a tendance parfois à les confondre.

C’est justement l’occasion de jouer au jeu des comparaisons, et de déceler à la fois leurs caractéristiques communes et leurs différences. Quel plaisir hypnotique que de naviguer dans cet imaginaire, de se laisser porter par la beauté des couleurs, que ce soit les beiges caractéristiques de Rakham ou les nuits bleutées de Dulac, ou les tonalités parfois plus art déco de Robinson, souvent plus proches d’Aubrey Beardsley en particulier lorsqu’il aborde la gravure. De ces trois bons génies on dit souvent qu’ils ont inspiré la fantasy moderne. Mais à vrai dire, à quelques rares exceptions près (Brian Froud ou Alan Lee), ils la surpassent dans leur authenticité, leur infinie poésie et l’héritage des légendes (un peu comme Dark Crystal surpasse Willlow) qu’ils s’approprient, de la tradition du conte à l’illustration de classiques de Shakespeare, de Cervantes en passant par La Motte Fouquet ( Le magnifique Ondine pour Rakham).

  Le trait si particulier d’Arthur Rakham (1867-1939), que l’on pourrait qualifier de pionnier, se distingue sans doute grâce à son exquise finesse, la douceur inégalée des visages, où les volutes s’entremêlent à la fragilité des ailes de ses créatures. Edmund Dulac (1882-1953) était à la fois le plus français des illustrateurs anglais ou le plus anglais des illustrateurs français puisque né à Toulouse il fit carrière en Angleterre en quittant la France dès 1905. Chez lui les songes se nimbent parfois de brume, plus hantés que chez son ainé, plus tourmentés au point que ses œuvres parviennent à suggérer insidieusement la peur et l’inquiétude, voire le vertige au cœur de la mer ou dans les forêts où guettent des créatures et surveillent les hiboux. Son inspiration, son esthétique hérite souvent des symbolistes et des préraphaélites, appliquant parfois à son art leurs élans, leurs expressions, leurs mouvements et leur sens de la pause. Quant à William Heath Robinson (1872-1944) c’est peut-être le plus fou des trois, et celui qui annonce une entrée dans un autre siècle, maniant plus volontiers le comique, la caricature des visages vers un esprit présageant de la bande dessinée et annonçant aussi d’autres illustrateurs tel Samivel. Il est passé en outre à la postérité pour ses dessins de machineries absurdes aux mécanismes improbables au point que l’expression « heath robinson » soit restée dans la langue anglaise pour désigner des engins bizarres. Robinson diversifiera son art, le poussant vers le non-sens, participant à des magazines, y développant un sens du gag visuel, vers un âge d’or du dessin de presse et de la vignette, et entamant également une carrière de cartooniste. On entre avec lui dans une ère où l’image désormais est prête à s’animer.

Voici donc trois ouvrages à la fois beaux et instructifs, permettant de faire connaissance avec les hommes après avoir été conquis par leur Art, nous informant sur leur vie et leur carrière, quelque part entre l’âge adulte et le monde de l’enfance… un endroit où sous peine de devenir idiot, il convient de toujours garder un pied.

André-François Ruaud – Rackham, Robinson, Dulac (étui)
Edité par Les Moutons Electriques – collection Artbooks Feeriques

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