Javier Sebastian – "Le cycliste de Tchernobyl "

Avec le cycliste de Tchernobyl, Javier Sébastien, auteur espagnol, signe un roman exigeant mais parfaitement maitrisé. Son récit repose sur la vie de Nesterenko, chercheur dans le nucléaire du temps de l’ancienne URSS. Récit décousu tant les faits historiques et la fiction la plus inventive s’entremêlent dans une grande liberté de ton. 

 

Plusieurs temporalités entrent en jeu dans ce roman. L’histoire débute à Paris sur les Champs Elysées. Hasard du destin, le narrateur, haut fonctionnaire espagnol, tombe sur une vieille personne visiblement abandonnée devant un magasin. Il ne connait pas son identité. Néanmoins, une intuition l’incite à ne pas l’abandonner. Il le recueille en usurpant son état civil. Très vite, il comprendra les menaces qui pèsent sur lui. Dès les premières pages, l’auteur met en place une intrigue relevant du roman policier.

En parallèle de cette rencontre, l’auteur suit Nesterenko à Pripiat ; ville symbole de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Après le cinéma, avec la Terre outragée de Michale Boganim, la littérature s’empare de ce moment de l’histoire. Javier Sebastian, à la limite du fantastique, imagine la continuation d’une forme de vie dans cette zone interdite car hautement radioactive. Les autos tamponneuses, la piscine…sont restées figées à travers les années. La vue de cette ville, désaffectée en urgence, laisse perplexe et interroge sur les fondations friables de la société occidentale. Au cœur de cette ville, oubliée des hommes, l’auteur reconstitue une communauté humaine. Malgré les souffrances causées par la radioactivité, une fraternité lie ces individus. L’auteur souligne ainsi cette capacité de résilience de l’être humain qui, face à un destin incertain, célèbre la jubilation d’être en vie. Les habitants ne manquent pas une occasion de célébrer le temps perdu ; à l’occasion d’un bal par exemple ; « Les sœurs Zorina avaient décoré la salle de guirlandes, confectionnées avec les pages d’un carnet transpercées par un fil. Elles préparaient des boissons à base de pelures de pommes […] Mais personne n’échangeait plus d’une vingtaine de mots, ils se contentaient de sourire. Ou baisser les yeux en attendant la musique. Quand on danse, on ne pense plus qu’à danser. On n’a pas besoin de parler. » L’auteur énonce des faits extravagants tels cette initiative de Nesterenko de bâtir des statues en hommage aux disparus « parce que nous sommes tous des colons de la vie radioactive » ou encore la vente aux enchères sur internet  « d’un chien né avec des pattes de derrière privées d’ossature. »

Au-delà du récit fictionnel au cœur de Pripiat, l’auteur s’appuie sur des éléments biographiques et historiques. D’une part, il intègre à son récit des documents officiels soulignant, par exemple,  l’impact sanitaire de Tchernobyl sur les habitants. D’autre part, il relate la réaction des autorités dès la survenue de l’accident. Ainsi, Nesterenko fut un des premiers liquidateurs arrivés sur les lieux de la catastrophe pour prodiguer les mesures à prendre. Javier Sebastian rapporte, également, ce moment de sacrifice où un homme se porte volontaire pour plonger dans le bassin de refroidissement de la centrale. « Bientôt, il allait entrer dans l’histoire des Héros de l’Union Soviétique. Les applaudissements cessèrent, il déclara qu’il était heureux et demanda qu’on le conduise tout de suite au bassin de refroidissement, il n’y avait pas de temps à perdre. […] Le plongeur perdit toute sa peau et mourut rapidement. » Ces drames qui permirent d’éviter une explosion de la centrale nucléaire sont relatés avec une émotion toute particulière. Apres l’accident, Nesterenko continuera d’apporter son aide aux populations autour de la centrale avant de dénoncer les dangers du nucléaire.

Sebastian rend ainsi hommage à tous les anonymes qui perdirent leur vie ; victime de ce terrible mensonge d’état. Il souligne aussi le courage de cet homme, Nesterenko qui dénonça, toute sa vie durant, et ce malgré les menaces du régime soviétique à son égard, les dangers engendrés par l’énergie nucléaire. Javier Sebastian allie différents styles d’écriture avec brio pour signer un roman singulier sur le courage des hommes face à un pouvoir omnipotent.   

         


Le cycliste de Tchernobyl
un roman de Javier Sebastian
Aux editions Métaillié

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A propos de Julien CASSEFIERES

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