Les OVNI existent-ils ? Grande question, traitée avec grand sérieux par les uns, avec un sourire en coin par les autres, et avec farouche incrédulité par les derniers. La trame scénaristique de UFO Sweden de Victor Danell repose entièrement sur ce mystère apparemment insoluble : le père de la petite Denise, Uno (Oscar Töringe), est-il un illuminé chassant des chimères extraterrestres par le biais de l’observation météorologique et les relevés éoliens et hygrométriques ou un chercheur aussi décalé que clairvoyant ayant sacrifié sa vie et déséquilibré celle de sa fille pour faire d’une forme de complotisme échevelé une réalité scientifique ? Disparu au volant de sa vieille Saab rouge pendant sa traque des entités extraterrestres qu’il a retrouvées par ses recherches frénétiquement notées sur ses cahiers griffonnés, le scientifique, source de deuil et de vénération pour Denise, est un angle mort : toujours présent par le truchement des signes qu’il a laissés tout en étant physiquement absent, il surplombe la vie de sa fille devenue ado rebelle (elle est alors interprétée par Inez Dahl Torhaug) et elle-même enquêtrice brillante. Quand, suite à une succession d’événements inexpliqués, la Saab tombe du ciel dans une étable, Denise se met en tête de retrouver son père, peut-être encore vivant.

Une Saab comme passé et présent (©REinvent Studios)

UFO Sweden prend donc les allures d’une quête qui, bien entendu, s’avère à double entrée : à la recherche des vies venues d’ailleurs et de celle de son père disparu se superpose la volonté de la jeune fille de se trouver elle-même, elle qui est hébergée dans une famille d’accueil, et dont le seul entourage bienveillant se trouve être une jeune policière aux allures sororales, Tomi (Sara Shirpey). De ce point de vue, le film de Danell a clairement infusé dans les premiers temps du cinéma de Spielberg, auquel on pense souvent : l’obsession pour les aliens ne semble rien d’autre que l’expression d’un mal-être existentiel, d’une solitude face à un monde médiocre, vénal que les personnages chercheraient finalement à poétiser par l’impossible du merveilleux. Version suédoise de Rencontres du troisième type, UFO Sweden suit la même trajectoire que le film séminal de Spielberg en faisant de sa protagoniste adolescente une jeune duplication du père de famille déboussolé interprété alors par Richard Dreyfuss, faisant graviter ses obsessions autour de sa vie intime jusqu’à ce que celles-ci l’avalent entièrement (au sens propre : le personnage de Roy Neary pénétrera bien dans la soucoupe volante pour ne plus en sortir).

Esthétique spielbergienne (©REinvent Studios)

La raison d’être du film de Victor Danell se trouve bel et bien dans ses vingt dernières minutes, dans sa représentation du monde extraterrestre visité par Denise, surprenante au regard de l’imaginaire commun autour de la question que les nombreuses fictions du paradigme nous avaient déjà offert (nous sommes loin des petits bonshommes verts ou phosphorescents et autres bestioles à tentacules), et faisant basculer la mise en scène vers une abstraction aussi étonnante qu’audacieuse, créant un mystère graphique posant une véritable question esthétique (peut-on figurer ce qui nous dépasse concrètement, ce qu’on ne peut prouver par la simple expression des sens ?) voire métaphysique : cet infra-monde visité par la jeune fille, par sa force d’abstraction sur laquelle nous pouvons tout projeter, semble désigner tous les au-delà possibles, du monde extraterrestre à la mort, la disparition du père pouvant ainsi être considérée selon toutes les acceptions du terme. La recherche d’Uno par sa fille peut donc être considérée comme un récit de deuil tout à fait touchant.

Tout ce qui précède ce passage épatant et mettant un véritable coup de fouet à la fiction semble finalement fonctionnel voire académique, piochant sans vergogne dans une esthétique fin années 80 sans grande originalité (Stranger Things et tous ses épigones sont passés par là) ou dans une narration manipulatrice de l’espace-temps à fins mélodramatiques un peu élimées qui a fait ses preuves tant chez Abrams et Lindelof (la série Lost) que chez Christopher Nolan (Interstellar, à l’influence elle aussi assez prégnante sur le film de Danell). La troupe de pieds nickelés traqueurs d’extraterrestres qui adopte Denise en son sein (l’association « UFO Sweden » du titre) et que préside Lennart (Jesper Barkselius), ancien astrophysicien trahi par Uno et ayant tout perdu ; l’entreprise gouvernementale récoltant des données pour traquer les extraterrestres… Tout cela ne brille pas par sa nouveauté ni même par son habileté (le scénario, tantôt elliptique tantôt inutilement touffu, n’est pas un modèle de souplesse), mais jamais UFO Sweden n’ennuie vraiment tant son récit évoque la madeleine proustienne de ces films à spectacle hollywoodiens ayant forgé un imaginaire à toute une génération de cinéphiles. Le film de Victor Danell se love donc pendant une heure et demie dans le confort d’une certaine forme de nostalgie SF, ce qui est à la fois un défaut (l’œuvre semble rouler sur ses rails rectilignes) et une indéniable qualité, permettant à son héroïne de s’inscrire en maîtresse de ce monde balisé (sa dextérité avec l’outil informatique encore balbutiant en cette année 1996 où se déroule le film en ferait presque une herméneute surpuissante à la Lisbeth Salander) avant de la faire tomber dans un monde parallèle sans espace ni temps dans lequel elle ne maîtrise rien mais lui permettant d’appréhender le futur avec une plus grande sérénité (les vingt dernières minutes, donc).

La traque extraterrestre comme deuil intime (I. Dahl Torhaug ; J. Berkselius) (©REinvent Studios)

Et UFO Sweden de se montrer comme un talentueux trompe-l’œil : une œuvre apparemment gentiment académique dissimulant finalement un talent de créateur de monde d’autant plus fort que sa représentation ne montre que le vide de l’impalpable, et un récit d’aliens sans aliens où l’inconnu principal serait plutôt la perception intime des personnages sur leurs propres sentiments. Bien que film à spectacle, le joli long métrage de Victor Danell se fait certainement plutôt peinture des affects d’une adolescente seule et perdue, moins en quête de son passé certes traumatique que d’un nouveau présent prenant la forme d’une famille de gentils freaks, aussi brinquebalante que solide.

En VOD depuis le 25 mai 2023

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A propos de Michaël Delavaud

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