Woody Allen-  » Rifkin’s Festival »

Rifkin’s Festival s’ouvre sur une séance d’analyse et c’est le récit de Mort Rifkin qui lance la projection. Celle du personnage, dont l’identité est façonnée par le cinéma, mais aussi celle du spectateur qui, en se glissant dans le rôle du psychanalyste qui écoute Mort, projette à son tour son propre « film ». Avec ce cinquantième long métrage, Woody Allen met à nouveau en abyme le cinéma et c’est réjouissant.

Mort Rifkin (Wallace Shawn, apparu dans de nombreux seconds rôles des films de Woody Allen, Radio Days, Shadows And Fog, Le sortilège du scorpion de jade ) est professeur de cinéma, reconverti dans la littérature. Il accompagne sa femme, Sue (Gina Gershon), attachée de presse au festival de San Sebastian. Celle-ci est chargée de la promotion du nouveau film de Philippe (Louis Garrel), un jeune cinéaste très en vue et qui lui met plein la vue.

Quand Mort estime qu’il ne vaut rien s’il n’écrit pas un roman digne de Dostoïevski, Philippe lui, réalise un film « contre la guerre », tel un Raskolnikov hors du commun mais préférant la chaleur de San Sebastian au froid du front sibérien. Aussi le triangle structurant ce qui pourrait être un vaudeville, se met en place. Philippe et Sue s’attirent et se séduisent à vue alors que Mort pense les avoir à l’oeil.

©Apollo Films

Mais c’est sans compter sur l’ingéniosité du récit. L’entrée en scène du docteur Joanna « Jo » Rojas (Elena Anaya) vient surprendre Mort), suite à des douleurs persistantes dans la poitrine, qui ne sont autres que des maux de cœur. Peu à peu, cette rencontre initiale entre les deux personnages s’approfondit et là «  se tisse la parole autour de son noyau le rêve qu’on appelle ( eux ) »(1).

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Joanna et Mort partagent une sensibilité pour le même cinéma, un amour pour New York et Paris et un mariage promis à une fin annoncée. Et les rendez-vous de Mort avec Joanna, d’abord provoqués, puis désirés, déclenchent d’une certaine manière, non sans l’esprit joyeux et plein de drôlerie de Woody Allen, l’esprit créateur de Mort : Mort se projette en rêves comme en pleine réalité dans des fragments de films aimés, constitutifs de ce qu’il est ou du sens qu’il donne à l’existence. C’est alors Bergman, Buñuel, Truffaut, Godard ou Welles qui viennent habiter en noir et blanc son histoire personnelle, son enfance, sa lutte pour trouver un sens à sa vie ou ses idées de l’amour et du romantisme. On assiste là à une  psychanalyse qui s’applique autant à son double de personnage qu’au cinéaste convoquant ses maîtres. Le directeur de la photographie, Vittorio Storaro, enregistre d’ailleurs cette vie intérieure de Mort en noir et blanc pour célébrer cette nostalgie cinéphilique. Mais ces projections, qui sont tout autant un travail de l’esprit que celui d’une imagination créatrice sous les feux de l’amour, s’en voient transformées pour la construction d’une œuvre : celle d’accomplir ce que Mort veut vivre et ressentir.

©Apollo Films

Rifkin’s Festival est aussi drôle que mélancolique. La parole y est encore au cœur du récit, la mise en scène pleine du plaisir de l’emprunt, de l’invention, se jouant des codes filmiques pour les subvertir : Woody Allen est «  du côté de l’intériorité à laquelle le rire donne accès, sous une forme qui n’est, en réalité, que l’adéquation enfin possible entre ce que le cinéaste met en jeu de lui-même dans ses films et l’espace de son intimité » (2).

(1). Tristan Tzara, L’homme approximatif, 1925-1930, Paris, NRF, Gallimard.

(2). Veillon, 1988, Le Cinéma américain, Paris, Seuil.

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A propos de Maryline Alligier

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