Le mouvement #metoo allait-t-il changer le cinéma, son discours, provoquer une nouvelle vague féministe, un art aussi révolutionnaire, aussi essentiel que cette libération de la parole ? Portrait d’une Jeune fille en feu de Céline Sciamma permettrait de répondre par l’affirmative, tant la cinéaste livre naturellement une réflexion novatrice sur l’amour, l’art et le regard ; mais voilà malheureusement un cas isolé, la plupart des propositions s’apparentant à des tracts, des démonstrations aussi pataudes que dans des films de propagande, brandissant un étendard plutôt qu’un film. Des balbutiements peut-être maladroits ? Toujours est-il que si l’intention est louable et l’accusation claire, le résultat est médiocre et artificiel. Knives and skin, que nous aurions tant aimé défendre pour ce qu’il dénonce en est donc un spécimen, parfait symptôme des meilleures intentions converties en images. Knives and Skin évoque donc la disparition d’une jeune fille suite à un rendez-vous amoureux, dans une petite ville de l’Illinois, et la manière dont elle bouleverse l’existence de ses amis et proches. Jennifer Reeder parlant de son film est particulièrement émouvante, elle explique ses objectifs, une forme d’urgence, toute sa dimension autobiographique, son rapport au cinéma de genre, mais également son désir de lancer des signaux, où la mort de son héroïne représente « un appel à l’action pour les femmes – un cri de guerre puissant. ». Et c’est sans doute par ce volontarisme forcené, son symbolisme outré que la cinéaste rate sa cible. L’art comme outil et comme vecteur constitue le danger d’un cinéma qui se veut porteur d’un message, asséné comme un clignotant. Et si le vrai militantisme, justement, n’était pas dans la démonstration et le désir de rallier le spectateur à sa cause ?

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Indéniablement, la détresse dans Knives and skin est bien là, celle de parents encore laminés sous anti-dépresseurs et d’adolescents dont l’énergie de vie demeure plus forte que celle de leurs géniteurs. Jennifer Reeder dresse un portrait d’une certaine Amérique, reflet d’une réalité vécue. Hélas, le discours de ses personnages, limité à des punchlines à répétition, n’en fait que des mots, leur retirant toute chair. On ne croit pas un seul instant à ces héroïnes, portant l’ironie de la réalisatrice heureuse d’avoir trouvé des bouches pour prononcer ses paroles. Cette caractérisation des personnages trahit le gros souci d’écriture du film. Après la remarquable série Euphoria, difficile de ne pas être embarrassé par des teenagers aussi peu incarnés, soumis à une distanciation brechtienne involontaire.

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L’œuvre de Gregg Araki ne cesse de rôder autour de Knives and Skin comme LA référence évidente tant dans l’esthétique que le sens de l’absurde, de l’ironie et de l’étrangeté dans laquelle glisse le réel : la cinéaste courtise ses couleurs bariolées, sa dimension pop, la crudité de son langage, la tragi-comédie, et le monde au bord de l’apocalypse. Mais là où le cinéma queer d’Araki excelle dans le pessimisme ludique et la folie baroque, celui de Jennifer Reeder l’imite laborieusement. Et si l’on pense évidemment autant à Blue Velvet qu’à Donnie Darko ou même Under The Silver Lake, la bizarrerie sonne faux dans Knives and Skin. Jennifer Reeder offre moins une œuvre insolite qu’une œuvre qui cherche à être insolite, dans une mécanique de moments prétendus absurdes et de logorrhée sans fin.

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On se sent presque honteux, coupables de ne pas aimer Knives and Skin tant on adhère à ce qu’il dénonce. Oui, il faut parler du non-consentement. Oui, la femme dispose de son corps comme elle l’entend. « Je voulais faire un film où l’horreur réside dans la violation du consentement » déclare la cinéaste, c’était une idée magnifique. La teneur allégorique du film d’épouvante est une évidence, une façon d’évoquer les dominations sexuelles et le patriarcat en les allégorisant. It Follows et The VVitch en sont les meilleurs avatars récents. Mais dans Knives and Skin, le message à transmettre résonne comme un cahier des charges, caricaturant le propos jusqu’à le rendre conservateur, à l’instar des slashers accusés d’être puritains, où les ados étaient punis lorsqu’ils consommaient. Certes, deux adorables lesbiennes, s’abandonnant à leur amour, viennent démontrer qu’elles, au moins, se respectent, bien loin des profs qui achètent des culottes sales, ou d’autres qui draguent leurs élèves mineures. Mais surtout, ici on ne couche pas, au mieux on s’échange des objets mouillés de cyprine et l’on se roule quelques pelles. Satisfaite de la crudité de ses situations, persuadée d’installer une connivence avec le public, elle retombe étonnement dans les archétypes qu’elle voulait dénoncer. Son film devient aussi elliptique et subtil que la phrase brodée en douce sur le blouson du décérébré de service : ” Je traite les filles comme de la merde”. Jennifer nous avions compris, pas la peine de nous le mettre devant les yeux en lettres d’or.

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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