Le concept même d’invention, de découverte cinétique – plus de 125 ans après la naissance du cinéma – peut sembler désuet. Or, cet HFR à composantes variables (High Frame Rate exploité à 48 images par secondes constantes mais combinées de 48fps et 24fps doublées) auquel le film est conjugué semble redéfinir un certain pouvoir de fascination propre aux premiers émois du cinéma. Il y a, dans cet Avatar, une mise en scène évidente, d’une lisibilité sans faille et un jeu brillant sur les surfaces et la manière dont les personnages s’y frottent avant de les traverser physiquement ou par différents jeux sur la profondeur de champs. Dans l’horizontalité, bien sûr, mais aussi sur plusieurs axes y compris dans la verticalité du plan. De plus, à cette vitesse de défilement, le flou de mouvement disparaît et la netteté prend le pas sur toute chose. Et le cinéma de Cameron qui n’aura peut être jamais tant cherché à capter un environnement – aussi improbable soit-il – de trouver une nouvelle manière de le représenter. C’est en ce sens qu’Avatar, La Voie de l’Eau redéfinit notre rapport à la cinétique. Après Peter Jackson et surtout Ang Lee – qui avaient déjà pu travailler ce rendu désormais uniquement délimitée par le cadre – Cameron entreprend cette fréquence ne permettant plus la stylisation normée du réel qu’est le 24fps et abandonne cette norme imposée par elle-même pour des raisons d’abord logistiques puis économiques et devenue aujourd’hui, dans bien des cas, parfaitement obsolète. Ce déroutant mais pur outil de mise en scène technique et cérébral, le cinéaste le manipule par ses divergences. A 48fps, la fluidité du mouvement limite les saccades liées à la 3D, et les variation à 24fps donne à voir un changement de rendu entre intimité et action, entre surface et profondeur. Mais là où demeure tout l’intérêt de ce travail composite se trouve dans la reprise directe de la principale idée thématique du premier opus. Celle de passer d’un monde à l’autre, de travailler le décèlement de nouvelles sensations, d’un nouveau décorum, d’un nouveau corps, d’un nouvel Avatar. Le dépaysement n’aura jamais été aussi total.

Copyright Walt Disney Company

La découverte de ce nouveau monde se voit brillamment traitée à travers les yeux de protagonistes enfants à différents stades de leur évolution. Une grande partie de l’émotion primitive créée par le film vient de cet endroit. De ce désir d’initiation à de nouveaux sentiments, de nouvelles anatomies. Cette notion du regard renouvelé laisse rejaillir une autre grande idée du premier film. Une phrase en ritournelle, qui résonne comme un mot d’amour entre les personnages : « I see you ». I see you again, pourrait-on dire. Je te vois, te revois et c’est pourquoi j’apprends perpétuellement à te découvrir. Cette nouvelle façon de voir achève la mise en exergue de cette idée : nous ne pouvons plus faire acte de cécité. Avec un dernier plan qui reprend celui du premier et qui, dans un mouvement de caméra semblable jusqu’à une paire d’yeux s’ouvrant brusquement, finit d’entériner ce concept. Jake Sully, le personnage utilisé pour créer la rime n’est plus ni un personnage pivot, ni un personnage nouveau mais il vient de renaître au contact d’un monde, au contact des siens et n’aura, on l’imagine, plus aucun but – dans cette nouvelle vie qui s’ouvre après un deuil familial et idéologique – que la lutte éternelle. Ainsi, le profane s’ouvre au sacré et les consciences s’offrent un second éveil.

Mais pour parvenir à la dévastatrice puissance émotionnelle de ce dernier acte, de ce dernier plan, un délirant déferlement de rééditions d’images et de la plus pure mise en scène n’aura pas suffit. C’est là qu’intervient la maestria « bonimentielle » de Cameron. Entre autres idées géniales, universelles et donc intrinsèquement contemporaines, celle des parents avançant toujours en retard sur leurs enfants découvrant le monde avec un regard inédit et qui – par définition – sont donc plus en contact avec celui-ci, prend une place primordiale dans le métrage. Le schéma narratif est clair : les enfants font leurs expériences dans le dos des parents. Les parents tentent de régler les problèmes créés, avec un temps de retard. L’antagoniste (Quaritch), lui, est complètement largué puisqu’il apprend à contre-temps et dans une forme de haine ce que le protagoniste aura appris dans le premier film (la mère préexistant à cette nouvelle forme empruntée par Sully et donc à Quaritch et à ses propres enfants). Les parents se voient mis en danger dans leur propre gestion des évènements. Et les enfants de venir respectivement les sauver de leur mort certaine toujours aidés – sauf pour l’unique jeune humain – par des composantes animales du macrocosme aquatique. Touk, personnage enfant, la plus jeune, dans une totale candeur, crois en tout ce qui lui est appris, tout ce qu’elle voit. C’est d’elle que vient l’espoir au moment où tout semble perdu. « Sully’s stick together !» dit-elle en répétant la maxime familiale. Réapprendre le monde à travers les erreurs de nos enfants plus en contact avec celui-ci. Pour Cameron, la vie réside dans l’entraide familiale, inter-espèce, dans l’action commune mais aussi et surtout dans les coulissements générationnels et dans la confiance aux nouvelles générations plus en adéquation et donc plus à même de comprendre le monde qui les englobe et qui, d’une certaine manière, émane d’eux-mêmes. C’est exactement là, à 71 ans, que le cinéaste situe l’avenir. Terminator 2, sorti 31 ans plus tôt, ne viendra certainement pas le contredire.

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Cette submersion plurielle s’avère accentuée par son travail de la 3D qui joue assez peu avec un relief expansif mais plutôt un creusement, comme une invitation à pénétrer d’avantage dans un film toujours plus enveloppant. Une proposition d’immersion que Cameron travaillait déjà énormément en deux dimensions par sa mise en place et une grande profondeur de champs tout en jouant sur les passages de celle-ci à l’instar de John McTiernan ou George Miller, autres grands cinéastes de la tridimensionnalité écrasée. Le HFR a aussi cet intérêt qu’il permet de rendre plus impressionnant, plus immersif encore les connexions avec le réel et de brouiller son rapport à l’irrationnel. Mais ce particulier séquençage d’image ne va pas sans défauts. A partir de 48 images par seconde, les saccades entre avant et arrière plan généralement liées à la 3D se voient quasi intégralement annihilées. Les incessants passages à une fréquence inférieure – si passionnants soient-ils – se font donc d’autant plus remarquer. Et les coutures, parfois d’un plan à l’autre, abîment la splendeur de l’émotion. On peut cependant imaginer le réalisateur, coutumier du fait (le T-800 et le T1000, l’un en dur, l’autre en CGI ou le morphing du Titanic passant de l’un à l’autre), de mettre en parallèle ses incursions dans le futur du cinéma afin de rendre la progressive disparition de son passé plus visible encore. Chez Cameron, il y aura toujours eu la disparition (formelle, Historique, des ères, des personnages…) avant la recréation et ce parfois même au sein d’un unique plan (à nouveau, la transformation du Titanic ou les fondus enchainés de Terminator). A chacun d’y voir l’un des prismes créatifs de son cinéma, comme une désintégration des défunts possibles faisant jaillir l’universel.

Cet éclatement des canons visuels, cette invitation au revoir se retrouve jusque dans la structure même du film qui résonne assez littéralement comme une réinterprétation, une redécouverte du premier opus. Brassant les exacts mêmes passages – dévoilant point par point et crescendo tout l’univers et le propos du film, le rendant systématiquement plus fascinant que la seconde d’avant – revus sous différents angles avec en ligne de mire une liberté, une anormalité bien plus grande. Il suffit de revoir les deux Terminator pour se convaincre du caractère auteurisant et réflexif d’une telle démarche de reprise. Le film donne à voir des tropes parfaitement intégrés après des millénaires de récits, de monomythe et toute une Histoire du cinéma. Tous ces codes (ces clichés diront certains, mais qu’est-ce qu’un cliché sinon un code privé de son sens), les siens, ceux que Cameron, cinéaste omniscient et dont chaque films est cité dans celui-ci, va réinterpréter de l’intérieur pour les fondre et leur offrir une nouvelle peau. Un cinéma qui n’a de cesse de se désintégrer pour se recomposer. Un cinéma en mue intestine. C’est peut être ici que se situe son rapport au primitif, à l’essence même de la narration qu’il brasse depuis toujours. Un pied dans le passé (souvent du point de vue du récit), un autre dans l’avenir (souvent du point de vue de la technique) et entre un questionnement sur le présent. Ce qui reste, ce qui instantanément meurt et ce qui deviendra. Pure et transcendante beauté oscillant entre le visible et l’invisible, le grand spectacle et l’intime, le classique et le moderne, les éléments de pure série B, les milliers de références… Toutes ces ouvertures en font un film gargantuesque, plein et universel, que chaque pensée nourrit, que chaque échange transmute. En parler, c’est le redécouvrir. Et c’est en ce sens – peut être plus encore que par son rapport au populaire ou par la délirante machine marketing qui l’accompagne – qu’il est un véritable évènement de cinéma. Contingence bien trop rare aujourd’hui.

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A cela, on peut ajouter le brillant traitement formel et significatif de la surface des choses (le travail sur les peaux, les matières et sur leurs interactions est proprement hallucinant). Il est majoritairement question, ici, d’être au-dessus ou en dessous de la surface de l’eau. Élément miroir, loupe mouvante et translucide qui modifie intrinsèquement la vision et la redécouverte de toute chose. L’intégralité de l’approche stylistique de Cameron semble chercher à magnifier cette idée. A travers plusieurs retournements de caméra, comme les passages obligés entre les différentes face du miroir numérique mais aussi ces fameuses variations de fréquence dès lors que les personnages immergent ou émergent… De telles propositions invitent à tisser le lien pour connecter Avatar aux œuvres des Wachowski ou de Lewis Carroll… Quant à son approche du découpage, elle est peut être l’une des rares choses qui différencient aujourd’hui Cameron de Méliès en son temps. Murnau, autre magicien de la naturalité lyrique, navigant quelque part entre les deux. Dans sa dimension plus intimiste, d’effleurements des consciences et sensations par le concret, comme dans ses ouvertures plus spectaculaires dans le non martial – ou tout au moins plus éloigné de l’action dans la plus pure tradition américaine – on peut penser à Malick. Au-delà d’avoir lui aussi adapté une variation autour du mythe de Pocahontas et de travailler remarquablement l’ellipse, Terrence Malick aura pu, comme Cameron, utiliser la technologie pour créer une forme d’intériorité aux êtres filmés (la naissance de la compassion entre deux dinosaures dans The Tree of Life, par exemple) en gardant une parfaite adéquation avec la nature cosmogonique des choses.

De Malick et Miller on pourrait aussi retirer un semblable traitement antispéciste voir carrément animiste en installant un rapport parfaitement horizontal entre les humains, les Na’vis et les Tulkun (espèce de baleines pandoriennes). Et ce jusqu’à, par un dispositif de subjectivation du regard et à plusieurs reprises, nous mettre dans la peau de ce nouvel héros marin, personnage à part entière du récit. A nouveau, peut être les seuls Miller ou récemment Skolimowski auront osé aller aussi loin dans leur annihilation de la hiérarchisation animale au cinéma. Et Cameron de d’entériner la création d’une empathie véritable avec les Tulkun à travers un lien maternel (les petits nagent moins vite et la mère – analogue d’un personnage na’vi – ne les quittera pas quoiqu’il en coûte), mais aussi leur pacifisme forcené et leur capacité à imaginer, à créer. Ils ont appris à ne pas tuer, on le sait depuis les « old songs », dit-on. Sillon creusé d’un certaine approche de la narration à laquelle Cameron se réfère jusqu’à son cinéma dans sa plus pure et calme contemporanéité.

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Il est, par ailleurs, nécessaire de questionner le rapport à la violence des Na’vis. Souvent, chez Cameron, une grande bataille aura permis de sauver le monde ou au moins de s’y essayer. Ici, il en est plusieurs dont aucune n’est immense mais plutôt un ensemble de petites luttes, de fuites qui amèneront la nécessité de l’affrontement, à repousser l’envahisseur déjà passé par le feu allégorique de l’industrialisation. Soit, l’un des grands propos de Cameron. Comment le prolétariat, l’Homme, la Femme, la simple famille, l’oppressé lutte contre les conséquences de l’industrialisation et de la guerre qui les consument pour l’évident profit. Cameron, cinéaste maverick et schizophrène sait ça mieux que personne (on peut d’ailleurs s’amuser à imaginer dans le personnage du scientifique, un double cynique du réalisateur et la RDA, société qui l’emploie, en Disney Company). Comment continuer à nourrir un imaginaire martial déterministe tout en développant une idée diamétralement opposée. La fascination développée par l’imagerie utilisée créant une rupture radicale (jusque dans la psyché et le traitement des protagonistes) à même d’alimenter le propos. N’en déplaise à Truffaut. La mère veut d’abord fuir la guerre (en refusant les codes éducationnels militariste et patriarcaux ainsi que les luttes armées du père) tout en adoptant une attitude plus agressive dans son rapport aux autres, aux étrangers. Elle est d’abord celle que l’on n’écoute pas. Celle qui subit le patriarcat et qui finira par en adopter tous les codes, à la changer de genre, jusqu’à devenir la guerrière la plus sanguinaire, la plus sacrificielle (dans un geste souvent réservé aux antagonistes masculins), à prendre le rôle de Jack dans Titanic lorsqu’il s’agit de sauver l’autre de la noyade… C’est quelque chose que Cameron à mainte fois mis en avant (exemplairement dans Aliens…) mais sans jamais en montrer le trajet, le processus. Elle est celle qui amènera à la lutte contre la fuite et pour unique raison. Les pères, déchirés dans leur rôle auto-infligé, cherchent à préserver le cocon familial de toute domination tout en inculquant la violence à ce même cocon. C’est à travers ce cheminement à deux destinations que le film démontre l’échec du père, l’échec des codes patriarcaux ne pouvant mener qu’à la débâcle et à la mort (ici, d’un enfant déjà trop pris dans la volonté absolue de protection masculine du père). Là où les mères prendront la décision claire de la défense lorsque les enfants, parfois même pas encore nés, seront mis en danger. (Cf. Bien des plans, parmi les plus émouvants du film, comme celui montrant Neytiri se jeter avec une fluidité dénuée de la moindre once d’hésitation dans un typhon pour sauver son enfant). La violence fait partie intégrante de l’Histoire des espèces et réfuter son ambivalence, son éventuelle utilité et son pouvoir d’attraction serait simplement imbécile. Le cinéma de Cameron semble représenter l’intégration même de cette idée.

Dès lors, la possibilité de développer un rapport au Western « pacifiste » (exemplairement, l’évocation de La Porte du Diable d’Anthony Mann ou à La Flèche Brisée de Delmer Daves, films bien plus complexes qu’ouvertement pacifistes) parait plus qu’envisageable. Évidemment, depuis le premier Avatar, impossible de ne pas revenir sur le schéma narratif du film sans l’apposer au western classique et à son évocation du génocide amérindien. Mais ici, d’un côté (humain, conquérant), on veut défaire les frontières, pacifier les récalcitrants et coloniser pour dominer par l’appauvrissement des terres et des éléments. De l’autre (Na’vi), on cherche rapidement à fuir la guerre coloniale déjà pratiquée, à laisser ses terres, à émigrer, à immigrer, à s’adapter ou à accueillir. (Il en est littéralement question à travers le personnage de Jake Sully, d’abord colon devenu néo-arrivant, puis chef de guerre devenu réfugié politico-climatique). Lutter contre les maux créés par l’autre humain, l’humain d’avant, le héros de western. C’est là où nous sommes, ce vers quoi nous allons, ce qui nous attend. C’était déjà parmi les questionnements de bien des westerns modernes dont Avatar, La Voie de l’Eau récupère l’efficacité, la simplicité d’apparence et le propos en creux au sein même d’un genre (peut être celui empruntant le plus à l’essence même du cinéma) contradictoire et extrêmement codifié.

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Mais sa narration, bien moins classique, bien moins tenue mais aussi bien plus ample et proche d’une écriture sérielle – que Cameron envisage certainement dans la longueur à travers son potentiel aujourd’hui d’avantage populaire – dévoile la logique d’une œuvre en cinq segments. Le côté plus éclaté de son récit, moins carré qu’à l’accoutumée chez Cameron, semble aussi tout droit venu de l’écriture vidéoludique de plus en plus majoritaire dans ce type de productions. Chaque personnage va expérimenter l’espace comme élément sensoriel et thématique ainsi que les péripéties qui se mettent sur son chemin avec un choix à faire. Généralement deux possibilités. I ou 0. Il faudra accomplir une action ou en abandonner une autre à un tel point que l’on pourrait en croire la suite du film impactée. Mais l’immuabilité du matériel cinématographique se faisant, le choix finira par s’imposer à eux. Se sont des personnages qui se cherchent et puis se trouvent. Sans toujours pouvoir expliquer pourquoi. C’est toute la mystique du film et une idée simple qui nous implique et nous reconnecte aux choses fondamentales, à l’équilibre du monde et de la condition humaine. Dans cet univers insensé, intrinsèquement cinématographique, peut poindre une éclipse lors de la mort d’un personnage. Le passage d’une planète qui absente la lumière d’une autre pour faire sortir la nécessaire part obscur chez les héros. Nouveau rapport au miroir, à l’irisation mais aussi aux chocs des contraires. Il est souvent question d’apparent manichéisme là où les signaux ne font en fait qu’entremêler ombre et lumière, profondeur et surface en chacun des personnages. Les fondus au noir du début se font au blanc à la fin sans aucune polarité. Un enfant meurt un autre naît. La voie de l’eau nous englobe, nous pénètre, elle n’a pas de début pas de fin, tout le programme est là. Entre dualité des substances fondamentales, dans le plus protéiforme taoïsme éventré aux vents des mythes modernes.

Et des obsessions qui dévorent l’époque, il en est une autour de l’identité et du transhumanisme, de la transidentité. Il est bien sûr question d’avatars, de personnages miroir de soi-même que l’on peut redéfinir comme ce que l’on est vraiment. C’était déjà l’un des grands cas du premier, mais la réflexion atteint ici son paroxysme. Je ne suis pas ou plus ce corps-là, j’en suis un autre. Tout cela relié à la technologie même de la performance capture. Bien que le film soit assez distendu ou éclaté sur ce point (quoi de plus logique dans un film qui questionne la puissance communautaire), il semble évident de mettre en exergue l’utilisation du vrai personnage principal. Kiri, – issue d’une immaculée conception – mise à l’honneur sur l’affiche et qui prendra très probablement une première place plus évidente dans les films suivants, est une adolescente interprétée par Sigourney Weaver, magnifique actrice de 73 ans. Soit, une tragique façon – doublée d’une parfaite logique scénaristique – de contourner les attentes hollywoodiennes (Cameron aurait-il vu The Congress, le beau film d’Ari Folman ?!). Aussi, la destruction de la précédente enveloppe au cours de la scène brillamment Shakespearienne dans laquelle Quaritch brise son propre crâne ou plutôt celui de son corps précédent démontre une ingénieuse dualité quant à la détestation/fascination de sa nouvelle chair et achève d’en faire un méchant à l’état d’adolescent. L’équivalence de son personnage du premier film étant reprise dans celui-ci – et jusqu’au moindre de ses gestes – par la générale Ardmore, un personnage féminin, par instant robotisé. Transition du genre par truchement scénaristique. Quant à l’héritage familial, génétique ou identitaire (« You’re not him » dit-on à Spider, le fils biologique de Quaritch, perturbé par la connexion au père), ils ne sont désormais plus des certitudes infaillibles mais bien autant de miroirs teintés de tous les possibles. Cameron convoque alors Platon. Le monde en reflet, le cinéma en ombres et des êtres androgynes séparés par crainte d’un pouvoir rassembleur.

En d’autres termes, cet invraisemblable chef-d’œuvre plastique et technologique s’articule autour d’une mise en scène tant guidée par ses velléités techniques que son désir constant d’amener l’ivresse et l’abondance à l’écran. Avatar, The Way of Water navigue entre le classicisme tragique de son récit, la pertinence de son regard sur le contemporain et sa volonté permanente d’inventer le cinéma de demain. Dans ces circonstances, les quelques bizarreries techniques ou errances structurelles et narratives de cet archétype primitif de grand spectacle ne devraient en aucun cas en atténuer la puissance dramatique. Et son auteur de chercher malicieusement à détruire son propre royaume, de remettre en jeu son propre règne afin d’en prendre lui-même la suite, tout en prouvant que, parfois, l’irrationnel peut se faire matriciel de l’universel.

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