Isabel Coixet – « The Bookshop »

En 1959, dans un village anglais du Suffolk, Florence Green (Emily Mortimer, très convaincante) rachète un local à l’abandon depuis des années pour y ouvrir une librairie. De la demande de prêt à la banque jusqu’au fonctionnement de son commerce, elle va connaître une résistance insoupçonnée de la part des habitants. Une jeune fille qui n’aime pas lire et un veuf solitaire seront ses plus fervents soutiens face aux stratégies les plus viles de son entourage.

© Lisbeth Salas / Capelight Pictures

Pour son nouveau film, Isabel Coixet adapte le roman La Librairie, de Penelope Fitzgerald. On attendait beaucoup de cette incursion rurale, à l’heure des prémices des droits des femmes. The Bookshop était d’ailleurs auréolé d’une belle réputation, avec ses trois Goyas (dont meilleur film et meilleure réalisation) attribués en début d’année. Le résultat n’est ni particulièrement enthousiasmant ni vraiment déplaisant, la faute à une mise en scène détachée  et à un scénario ne donnant pas suffisamment d’incarnation à ses personnages.

© A contracorriente Films

Isabel Coixet dresse le portrait d’une bourgade inerte et ancrée dans ses principes. Il ne faut pas faire de vagues ou balayer l’ordre établi. Florence Green cherche juste à apporter un équipement culturel à une zone qui en est dépourvue. Les petites gens annoncent d’emblée qu’ils ne mettront pas les pieds dans la boutique, et la haute bourgeoisie ne supporte pas qu’une initiative soit prise hors de son cercle d’élites. Toutes les catégories socioprofessionnelles se mettent d’accord (pour des raisons distinctes) comme sur l’opposition à la librairie. Le film souligne ainsi la nécessité de la culture comme facteur de cohésion sociale.

Il est intéressant de constater que la classe aisée, représentée par Violet Gamart (Patricia Clarkson, parfaite), prend le contrepied argumentaire. L’« Old House », que Florence Green a achetée, lui paraîtrait plus appropriée pour un centre culturel, bien que le reste du peuple n’ait pas été sollicité. C’est sur cette base que Violet Gamart fera acte de résistance pour récupérer son pouvoir, qu’elle considère déchu. Elle prend pour sbire Milo North (James Lance), un écrivain vivant uniquement de son succès passé, et va même jusqu’à appeler une de ses connaissances au Parlement de Londres pour obtenir gain de cause devant la loi. Les plus riches n’apparaissent qu’en meute (lors de soirées mondaines ou de rendez-vous officieux), alors que les autres habitants sont dessinés individuellement selon leur fonction (les artisans, le pêcheur, la femme au foyer…). Isabel Coixet renforce la sensation d’une société gérée depuis les antichambres par les puissants, où les plus modestes ont un rôle installé et préconçu, incompatible au changement. Les bases sont bien ancrées et tout le monde s’en satisfait, d’où le malaise créé par l’ouverture de la librairie.

© Aidan Monaghan / Capelight Pictures

Le problème est que le film montre les « anti » sans mettre en valeur les « pro », qui fréquentent bel et bien la librairie. Qui sont ces clients flânant dans l’« Old House » ? Qu’est-ce qui les pousse à acheter Lolita ? À force de voir le point de vue des détracteurs surreprésenté, on se demande qui peut fréquenter le commerce et comment celui-ci peut fonctionner économiquement (Florence Green déclare que ses ventes sont plutôt bonnes). Un point de vue plus nuancé aurait permis de comprendre plus en détail comment la vie d’un village peut être chamboulée par une telle initiative « entrepreneuriale », déchaînant les passions dans les deux sens.

Du côté des défenseurs du projet, le vieil Edmund Brundish (un Bill Nighy inspiré) et la jeune Christine (épatante Honur Kneafsey) illustrent deux facettes générationnelles: l’ancien monde et les citoyens de demain. C’est justement une Christine d’âge mûr qui narre l’histoire : elle s’est approprié le savoir grâce à la transmission de Florence Green. Cependant, ces deux piliers n’ont guère de poids face au mastodonte politique qu’est Violet Gamart. Quand on met des bâtons dans les roues à Florence Green, cette dernière fait comme si de rien n’était pour la simple et bonne raison qu’elle reçoit un soutien, que le spectateur ne verra jamais concrètement. Il est malgré tout difficile de croire qu’elle ne s’appuie que sur les lettres d’Edmund Brundish et sur les facéties de la petite fille. De plus, elle n’est au courant à aucun moment des rumeurs à son égard, alors qu’elle vit dans ce même village. Son univers paraît finalement étriqué, autocentré, et en complète opposition avec ses démarches d’ouverture aux œuvres littéraires.

© Lisbeth Salas / Capelight Pictures

L’axe du « bien » et du « mal » est extrêmement bien délimité, voire trop. Il repose sur des dialogues interminables, que la mise en scène n’anime pas. La conclusion de chaque échange est courue d’avance. On espère déceler un malaise social, mais l’absence d’enjeux sonne creux. Les ellipses narratives sont en revanche habilement habillées par des plans larges sur les paysages anglais ou par des gros plans attestant des saisons qui passent. Tout est très propre et aseptisé, à l’image des manières exquises de Violet Magart, et l’ennui guette sous l’extrême longueur des scènes. La temporalité du récit a beau être en phase avec les procédures judiciaires et la propagation des ouï-dire, elle ne convient sans doute pas à un long métrage. Rien n’est à redire sur la direction artistique de la belle reconstitution historique. Le pertinent propos sur les efforts déployés en vue de l’échec de Florence Green est malheureusement noyé par un environnement un peu lisse. The Bookshop demeure un film d’espoir, qui à défaut d’emmener loin, traite soigneusement ses sujets.

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