La loi homophobe qui vient d’être votée en Hongrie rappelle que les mouvements réactionnaires poursuivent leur essor partout dans le monde contre l’éducation sexuelle et les droits LGBT, notamment au Brésil où le gouvernement de Jair Bolsonaro a multiplié les projets de loi contre la sensibilisation au genre. Secret de famille apparaît à cet égard comme un film salutaire plus que d’actualité, puisqu’il dénonce les clichés et les stéréotypes qui restent associés à notre représentation des sexes. Sa pertinence ne s’arrête pas là puisqu’il raconte également la délicate conquête d’une indépendance féminine dans une société patriarcale, celle de Joanna, jeune fille de treize ans. À la mort de sa grand-tante adorée, elle s’interroge sur les raisons qui ont conduit cette dernière à rester vierge jusqu’à la fin de ses jours. Dans le même temps, elle est peu à peu confrontée à son premier sentiment amoureux qui l’unit à Carolina, sa meilleure amie et au rejet de ce désir par les autres membres de la communauté.

©Epicentre Films

Une séquence résume bien le projet de Cristiane Oliveira, la réalisatrice : aller à l’opposé de l’état d’esprit machiste et autoritaire qui gagne son pays. Alors qu’une chanson virile et misogyne anime le bal des seniors, les deux jeunes amoureuses, réfugiées à l’extérieur, observent le spectacle. Le reflet du visage de Carolina se dessine alors sur la fenêtre, recouvrant ainsi l’ensemble de la pièce où dansent les personnes âgées, comme si une nouvelle ère, plus tolérante et inclusive, prenait le pas sur ce monde traditionaliste. Cette volonté d’aller à l’encontre d’une dynamique régressive se retrouve également dans le choix de la temporalité puisque l’histoire se passe en 2007, durant ces heures de progrès que furent les années Lula et avant la catastrophe : l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. S’il se veut optimiste, le film n’a rien de naïf et s’applique à montrer comment l’intériorisation progressive d’un certain nombre de préjugés les transforment en normes qui conditionnent la formation des jeunes femmes. Par petites touches, l’écriture fait ressortir les pressions sociales qui pèsent sur leurs épaules et qui les conduisent à une position déjà définie. La structure est quelque peu démonstrative mais elle possède une véritable vertu sociologique dans sa capacité à décrire des mécanismes sociétaux qui mènent à un modèle uniforme et conformiste, vierge de toute singularité – autre pied de nez à l’exécutif brésilien qui avait déclaré vouloir retirer des financements publics à l’enseignement des sciences humaines.

Dans son premier long-métrage, Nalu on the border (2016), inédit en France, Cristiane Oliveira faisait déjà de l’adolescence son thème central. Elle réitère cet intérêt ici et s’illustre par sa faculté à retranscrire l’expérience de cette période de la vie. Les contre-plongées et les inserts sur différents éléments du cadre se multiplient, révélant ainsi le caractère morcelé de la vision des deux enfants, qui peinent à saisir la situation dans sa globalité. Au gré de quelques envolées lyriques et en s’attardant sur les détails qui comptent, elle parvient également à dévoiler les nouvelles sensations qui assaillent Joanna – l’amour, l’érotisme, l’éveil à la nature – et qui ajoutent à sa confusion. La cinéaste veut parfois trop en faire et pêche par excès de signification lors de ses séquences de rêve qui n’apportent pas grand-chose à une écriture déjà dotée d’onirisme et de sensibilité. Mais ces rares écueils n’altèrent toutefois pas la subtilité de la mise en scène et la qualité d’un récit structuré autour de deux éléments symboliques dotés d’un fort pouvoir d’évocation : les figurines et les éoliennes.

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Filmés en arrière-plan, ces nouveaux générateurs d’énergie sont montrés comme un objet de fascination pour les deux principaux protagonistes ; horizon inaccessible et fantasmé, affranchi des autorités parentales et scolaires. Ils fixent l’image d’un âge adulte, à la fois proche et encore lointain, qu’elles regardent dans un mélange incertain d’appréhension et d’espoir. Ces objets innovants, qui imposent leur présence dans ce territoire, signalent aussi la modernité qui affleure dans ces petits villages mais qui est maintenue à distance, par crainte de l’inconnu – « Personne ne peut arrêter le temps » déclare Carolina. Ils reviennent à de nombreuses reprises et s’apparentent à cette promesse encore insatisfaite d’une évolution vers le progrès. L’un des enjeux de Secret de famille consistera alors à savoir si les deux adolescentes parviendront ou non à atteindre cet idéal et à mener à son terme leur trajectoire émancipatrice. Ce mouvement conduira à un joli dernier plan dont la résolution ne fait pas oublier les difficultés et les inconnus qui subsistent.

Autre métaphore éloquente, ces petites statues sculptées par la grand-tante pour son commerce et dont la fabrication sera ensuite reprise par Joanna pour son plaisir. Par ce geste, elle revendique l’héritage moral légué par son aïeule : le courage d’affirmer sa liberté et de ne pas laisser sa destinée dictée par les attentes d’autrui. Cette filiation ne reste pas à l’état de note d’intention mais revêt une forme concrète puisque la benjamine poursuit ainsi l’œuvre utopique portée par les confections artisanales de son aînée. Ces petits individus modelés à la main, sur lesquels s’arrête la caméra lors de quelques gros plans, forment à eux seuls un univers alternatif, un contre-modèle social que le film appelle de ses vœux et dont il révèle la nécessité. « Elle faisait plus que fabriquer des bonhommes. Elle créait des mondes. » dira-t-on de la grand-tante au moment de son enterrement. Cette représentation, à divers instants de la narration, de ces mondes miniatures qui s’accordent à nos désirs, procède d’une lumineuse mise en abyme de son cinéma : révéler le réel et les processus néfastes qu’il recèle tout en proposant, dans le même temps, une ouverture vers un ailleurs plus heureux.

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Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

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