Le début des années 2000 marque une résurrection du cinéma de genre britannique. Christopher Smith (Creep, 2004), Neil Marshall (The Descent, 2005) ou Danny Boyle (28 jours plus tard, 2002) impulsent un nouvel élan de l’épouvante et du fantastique. Très vite, certains cinéastes détournent les codes précédemment posés afin de donner naissance à des œuvres humoristiques, tel le génial Shaun of the Dead d’Edgar Wright. C’est dans ce contexte que Paul Andrew Williams tourne son second long-métrage, Bienvenue au cottage. Après le polar London to Brighton, le réalisateur s’essaie à l’horreur rigolarde et réunit Andy Serkis et la playmate / chanteuse Jennifer Ellison pour un long-métrage sympathique mais guère mémorable. S’ensuivent le thriller Cherry Tree Lane et la comédie dramatique Song for Marion avec Gemma Arterton et Terence Stamp, ainsi que diverses incursions sur le petit écran. Il revient aujourd’hui à son style de prédilection avec le vigilante movie Bull récompensé par L’Oeil d’or du meilleur long-métrage international au dernier PIFFF et projeté dans le cadre des Hallucinations Collectives, désormais disponible en Blu-Ray et DVD chez ESC Distribution. On y suit donc Bull (Neil Maskell), un homme mystérieux qui est de retour chez lui après dix ans d’absence pour se venger de ceux qui l’ont trahi…

(© Copyright Signature Entertainment 2021)

Dès son intrigant générique, dévoilant les silhouettes d’hommes se détachant sur un ciel gris, réunis autour d’une tombe fraîchement creusée au petit matin, le film impose un mystère au cœur de décors terriblement banals. L’Angleterre de la classe moyenne y est dépeinte comme un terreau favorable à la criminalité. La police corrompue et les voisins qui se taisent sauvent les apparences d’un quartier bien sous tous rapports mais renfermant des secrets funèbres. La monstruosité qui affleure n’en est que plus perverse, chaque maison recèle son lot de mystère et de cadavres dans les placards. En cela, le personnage de Norm (glaçant David Hayman) est symptomatique. Patriarche travailleur et respecté de tous, il s’avère diriger la petite bourgade d’une main de fer, parrain local qui fait régner la terreur en toute discrétion. Les noms des personnages ont d’ailleurs une portée littérale : Norm incarne la normalité, Bull (taureau en anglais) est une force de la nature qui fonce tête baissée sans se soucier des conséquences de ses actes. Sec, brutal et efficace, le film prend à rebours les attentes du récit de vengeance classique. Le protagoniste, à la fois affable et sans pitié, ne dévoile son vrai visage et ses intentions que par touches presque impressionnistes avant de passer à l’action de la manière la plus violente et cruelle qui soit. La mise en scène sèche accompagne le dessein de son antihéros, collant à ses gestes, ne souffrant que de quelques afféteries (tels ces ralentis ou la bande-originale pléonastique et omniprésente) heureusement en rien dommageable à la réussite de l’ensemble. Au détour de quelques scènes, Williams fait même montre d’un savoir-faire certain lors de montées de tensions à l’instar de cet interrogatoire sanglant mené par un Bull hilare à bord d’un manège de fête foraine (lieu récurrent dissimulant nombre de non-dits).

(© Copyright Signature Entertainment 2021)

Comme son titre l’indique, le long-métrage tourne entièrement autour de son personnage principal. L’excellent Neil Maskell semble même reprendre peu ou prou le rôle qu’il tenait dans Kill List de Ben Wheatley, père de famille poussé au pire par une organisation destructrice. Néanmoins, la croisade meurtrière est ici pleinement volontaire et mûrement réfléchie, il en est l’instigateur et non le jouet d’une manipulation. Exterminateur impitoyable que le réalisateur cadre d’abord par fragments (son œil, une partie de son profil) avant de le filmer en plan large en train d’abattre froidement un homme. Cette distance maintenue vis-à-vis des actes de Bull est l’une des forces du film. Loin d’excuser sa « mission » malgré certains instants touchants (lorsqu’il prononce les dernières phrases que son fils lui a dites, le présent et le passé se mêlent par la force du montage), le metteur en scène introduit le protagoniste comme un assassin froid et conserve une part de mystère quant à ses raisons profondes. La nature de sa folie n’est dévoilée que par des courts flashbacks qui se changent en séquences de plus en plus longues au fur et mesure que l’intrigue progresse. Le spectateur ne comprend le motif de sa descente aux enfers que très tard, évitant ainsi l’un des écueils du vigilante, à savoir prendre parti pour un héros dangereux et considérer la violence montrée, non comme complaisante mais cathartique. Rien de tout ça ici. Les actes sont froids, insoutenables, injustifiés et injustifiables. Au détour de quelques plans où il est déjà présent dans le cadre mais invisible à tous avant de se dévoiler lentement, celui-ci se change même en véritable boogeyman de film d’horreur, voire en Grand Méchant Loup de conte de fées lors d’une scène d’angoisse jouissive. Constamment sur la brèche entre réalisme brut et surnaturel, le long-métrage entretient son mystère et se joue de nos attentes en évitant le registre du fantastique lors de certains dialogues (« Pas comment, mais pourquoi ? »). Dans ces conditions, il est foncièrement regrettable que Paul Andrew Williams rate son final lors d’un twist inutile et peu subtil qui vient expliciter les zones d’ombre et annihiler toute l’ambiguïté autour de la figure de son ange de la mort. Bull demeure néanmoins un polar prenant et très bien exécuté, délesté de tout superflu et tendu jusqu’à la dernière seconde.

(© Copyright Signature Entertainment 2021)

Disponible en Blu-Ray et DVD chez ESC Distribution. 

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A propos de Jean-François DICKELI

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